L’article 1832 du Code Civil dispose que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. » Il en ressort que la société est un contrat entre au moins deux personnes.
Cependant, en 1985, le législateur a bouleversé la vision traditionnelle de la société en consacrant l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL). Il a par la suite étendu les sociétés unipersonnelles en 1999, avec la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU).
Ces sociétés unipersonnelles résultent de la volonté d’une seule personne. Autrement dit, ce sont des sociétés à un seul et unique associé. Elle trouve son origine dans un acte unilatéral.
Ces modèles sociétaires ne sont pas des formes sociales à part entière, mais plutôt une adaptation des règles de formes sociales préexistantes, respectivement de la société à responsabilité limitée (SARL) et de la société par actions simplifiée (SAS).
Par ailleurs, les données collectées par l’Agence France Entrepreneur ont montré l’engouement des sociétés unipersonnelles. En effet, 17 % des sociétés créées étaient unipersonnelles. Il est donc nécessaire d’expliquer l’attrait pour les formes unipersonnelles (I). De plus, il ressort de ces données une préférence pour un des modèles, puisque 12 % sont des SASU, contre seulement 5 % pour les EURL. Ces sociétés unipersonnelles peuvent être créées par des personnes physiques qui sont de simples entrepreneurs, mais elles peuvent aussi être utilisées par des grands groupes pour constituer des filiales. Ainsi il est intéressant de voir ce qui rend plus attractive la SASU par rapport à l’EURL (II).
I- Pourquoi créer une société unipersonnelle ?
Depuis leur création, les sociétés unipersonnelles présentent de nombreux avantages pour l’entrepreneur seul qui souhaite se protéger (1). Cependant, entreprendre n’est pas sans risques, la protection n’est pas sans limites comme dans toute forme sociale (2).
- Les avantages d’une société unipersonnelle
D’une part, un des objectifs principaux de la société est d’organiser son entreprise sous la forme sociétaire. En effet la création d’une société engendre de facto, la création d’une personne morale ayant la personnalité juridique. La technique sociétaire a beaucoup d’avantages (passer des actes, rechercher des financements…), mais celui recherché par toute personne qui entreprend est la protection de son patrimoine personnel. Ainsi la création d’une personne morale lui confère automatiquement un patrimoine qui sera distinct de celui de ses associés.
En outre, la forme sociale confère plusieurs autres avantages. Non seulement, elle protège le patrimoine de l’associé, mais aussi elle permet de gérer le patrimoine de la société. D’une part, elle facilite la transmission de l’entreprise, que ce soit entre vifs ou en cas de mort de l’associé. En effet, en cas de cession d’une société ou de transmission aux héritiers, ce seront des titres qui seront transmis. La forme sociale est donc plus pratique pour transmettre la société, ce qui assure sa pérennité. D’autre part, la personne morale de la société survit pour les besoins de la liquidation. Cela signifie que la mort de l’entrepreneur n’entraînera pas forcément la fin de l’entreprise individuelle.
Par ailleurs l’intérêt financier d’entreprendre en créant une société est aussi un avantage prépondérant de la forme sociale. En effet, la forme sociale permet de se financer plus facilement, notamment en ayant recours aux marchés financiers. Une société peut émettre des titres ou des obligations (selon la forme sociale choisie), ce qui permettra de solliciter des investisseurs extérieurs à la société.
De plus, l’intérêt fiscal de la forme sociétaire n’est pas à négliger. L’entrepreneur individuel sera soumis à l’impôt sur le revenu, et pourra atteindre la tranche à 45 % du barème de l’IR. En revanche une société peut être soumise par principe ou sur option à l’impôt sur les sociétés. Le taux d’imposition est alors de 25 %, voire 15 % pour une partie du bénéfice si elle remplit les conditions du taux réduit.
Cependant, la forme sociale pourrait être utilisée à des fins différentes que son utilisation classique. Par exemple par un entrepreneur seul qui souhaite bénéficier des avantages de la forme sociétaire sans s’associer. Elle peut aussi être utilisée comme mode de gestion des filiales à 100 %, qui permet à la société holding d’être l’unique associée de ses filiales.
Le législateur est venu résoudre ce problème en consacrant les sociétés unipersonnelles. Ainsi, une personne quelle soit physique ou morale, peut décider unilatéralement de créer une société et être le seul associé. L’associé unique est protégé car pour tous les actes passés, ce sera la société qui sera engagée. Ainsi, si la société devient insolvable, les créanciers ne pourront pas recouvrir leurs créances sur le patrimoine de l’associé unique mais uniquement sur celui de la société. Par ailleurs, dans le cadre d’un montage juridique pour gérer les filiales d’une holding, la société unipersonnelle permet de contrôler totalement une autre société.
D’autre part, les sociétés unipersonnelles ne sont pas enfermées dans une forme purement unipersonnelle. C’est-à-dire que les règles des sociétés unipersonnelles sont seulement des adaptations des règles préexistantes. Cela permet d’éviter une dissolution ou une transformation dans le cas où les parts d’une société se retrouveraient dans les mains d’un seul associé, ou au contraire dans le cas où les associés se multiplieraient. Ainsi, d’un point de vue économique, les sociétés unipersonnelles sont aussi avantageuses.
- Les inconvénients d’une société unipersonnelle
Les sociétés unipersonnelles ne sont pas sans risque, aussi bien pour l’EURL que la SASU. En effet la forme unipersonnelle n’est pas un bouclier contre les risques de l’entreprenariat, notamment car la plupart des règles pour les sociétés pluripersonnelles auxquelles elles se rattachent ont vocation à s’appliquer pour elles aussi. Théoriquement les risques pris par un associé unique sont les mêmes que ceux pris par des associés d’une société pluripersonnelle.
Ainsi en cas de procédure collective, si le gérant associé unique a commis une faute de gestion, ses biens personnels peuvent être saisis pour régler tout ou partie de l’insuffisance de l’actif social. Il engage aussi sa responsabilité pour l’évaluation des biens en nature pendant 5 ans à l’égard des tiers.
Pour synthétiser, l’associé unique n’est pas plus protégé qu’un associé dans une société pluripersonnelle, mais il supportera seul les conséquences.
II- Le choix de la société unipersonnelle la plus avantageuse
La SASU et l’EURL sont deux sociétés unipersonnelles qui présentaient des différences les rendant plus ou moins avantageuses (1). Cependant la Loi sur la Modernisation de l’économie (LME) de 2008 est venue effacer ces différences (2).
- Les différences entre la SASU et l’EURL
Le régime de l’EURL se fonde sur celui de la SARL (article L.223-1 du Code de commerce), alors que la SASU se fonde sur le régime de la SAS (article L.227-1 du Code de commerce). La SAS est connue pour être une forme sociale attractive par sa grande liberté statutaire. Cependant lors de sa création, la SASU n’était pas aussi avantageuse que pouvait l’être l’EURL.
Un des points forts de la SASU est qu’elle permet de procéder à des offres pour un cercle d’investisseurs limité. En effet, bien que la SAS ne puisse pas offrir ses titres sur les marchés réglementés, le législateur a autorisé le recours au financement participatif. En revanche l’EURL ne permet d’émettre seulement des obligations (qui ne sont que des titres de créance avec promesse de remboursement des intérêts).
Par ailleurs, la SASU était avantageuse car elle était la seule à permettre la création de sociétés unipersonnelles en cascade. Depuis 2014, il est désormais possible de créer des EURL en cascade, c’est-à-dire qu’une EURL soit l’associée unique d’une autre EURL. Les deux sociétés unipersonnelles permettent ainsi le contrôle des filiales par leur holding, ce qui est un des motifs récurrents de création de société unipersonnelle.
Traditionnellement, l’EURL était perçue comme la forme la plus adaptée pour les petites et moyennes entreprises (PME), alors que la SASU correspondait plus aux grosses entreprises car un capital minimum de 37 000 € était requis ainsi que la présence d’un commissaire aux comptes.
Enfin, une des principales différences est celle du régime social de l’associé unique. En effet le statut social de l’associé gérant unique d’une EURL est celui des travailleurs non-salariés. Cela signifie que l’associé unique ne peut pas cumuler la fonction de gérant et salarié, mais il peut conclure un contrat de travail avec la société s’il est associé dès lors qu’il n’est pas gérant. Ainsi les cotisations sociales sont moins lourdes mais couvrent moins de risques. Ne seront couverts que les risques suivants : assurance maladie (sauf maladie professionnelle), maternité, invalidité, décès, allocations familiales, retraite.
Il est possible de souscrire à des assurances complémentaires pour avoir un régime social “sur mesure”, parfois plus protecteur que le régime général, mais il a un coût non négligeable (par exemple un plan d’épargne retraite).
En revanche, dans la SASU, le président associé unique est affilié au régime général, en tant qu’assimilé salarié. Les cotisations sociales sont alors plus importantes mais permettent de couvrir plus de risques tels que l’assurance maladie, l’invalidité, la maternité, décès, accident de travail, allocations familiales, retraite. Cependant ce régime n’ouvre pas droit à l’assurance chômage, ni à la protection du droit du travail et de la sécurité sociale..
- L’ère de la simplification pour la SASU
La LME de 2008 avait pour objectif la simplification du régime de la SASU. Plusieurs aspects du régime de l’EURL ont été repris dans celui de la SASU. En effet, pour les deux formes sociales, il n’y a plus de capital social minimum, le commissaire aux apports n’est plus obligatoire et les apports en industrie sont désormais possibles. La simplification passe par la liberté qui est laissée aux associés. De plus, certaines simplifications existantes pour l’EURL ont été étendues à la SASU comme l’approbation des comptes par un dépôt des comptes au RCS. Par ailleurs, il n’y a plus de procédure d’agrément, le but étant de faciliter la transition vers une société pluripersonnelle. Les conditions de fonctionnement de ces deux formes sont donc très similaires.
Cette simplification de la SASU pourrait justifier l’utilisation accrue de cette forme par rapport à l’EURL. En effet, l’EURL semble être moins attractive comme la SARL l’est par rapport à la SAS. La SASU permet une grande liberté dans la rédaction des statuts et donc d’organiser la société selon ses besoins, contrairement à l’EURL qui reste très encadrée par le Code de commerce.
Cependant, la liberté laisse place à un risque important. L’EURL reste donc la forme privilégiée pour ceux souhaitant bénéficier d’un cadre juridique plus rigoureux. En effet, la place importante laissée aux dispositions législatives encadrant l’EURL permet de rassurer l’associé unique, ainsi que de le protéger (notamment pour éviter que les statuts soient trop vagues, ce qui lui ferait courir un risque conséquent). Par ailleurs, l’EURL permet d’adopter un régime favorable pour le conjoint collaborateur pendant 5 ans, ce qui est avantageux lorsque l’EURL reste dans un cadre familial. En revanche, la SASU est toujours privilégiée pour être utilisée à des fins de gestion des filiales par une holding. En effet, les groupes peuvent préférer recourir à la SASU en raison de la gestion facilitée à l’intérieur du groupe, plutôt que pour des raisons de gestion interne à la société.
Clara L’HONORÉ – Master 1 Droit des Affaires et Fiscalité
Sources :
Droit des sociétés – M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY – Lexis Nexis
Fasc. 970 : Sociétés par actions simplifiée unipersonnelle – Christine Lebel (sur Lexis360intelligence)
Synthèse Sociétés unipersonnelles – Christine Lebel (sur Lexis360intelligence)
Répertoire des sociétés – Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée – EURL – Patrick SERLOOTEN ; Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON – Section 2 : SASU ou EURL ? (sur Dalloz)