L’importance de la notion d’établissement stable en fiscalité internationale

Pour éviter les phénomènes de double imposition, les États s’accordent par le biais de conventions bilatérales. Dans ces dernières, les deux États vont s’accorder pour départager leur pouvoir d’imposition de chaque catégorie de revenus : imposition dans l’Etat de la source et/ou dans l’Etat de résidence. 

  • L’État de la source d’un revenu est l’État dans lequel l’activité est exercée. C’est à cet État qu’appartient, en principe, l’exercice du pouvoir d’imposer ces revenus.
  • L’État de résidence est défini par la Convention modèle de l’OCDE en son article 4. L’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l’impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. La résidence s’applique à cet État et à toute subdivision politique ou collectivité locale de celui-ci ainsi qu’à un fonds de pension reconnu de cet État. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet État que pour les revenus de source situés dans cet État ou pour la fortune qui y est située. 

La notion d’établissement stable intervient au niveau de l’imposition des bénéfices réalisés par les entreprises.  

En principe, les bénéfices industriels et commerciaux, les bénéfices agricoles et les bénéfices non commerciaux (BIC, BA, BNC) réalisés par les entreprises sont imposables dans l’État de résidence de l’entreprise (qui correspond au lieu du siège de direction). Par exception, s’il est démontré que l’entreprise dispose d’un établissement stable dans un autre État, l’imposition aura lieu dans cet autre État, par un prélèvement à la source

Un contribuable français qui souhaite étendre l’exploitation de son activité dans un autre État devra donc nécessairement consulter la convention bilatérale conclue entre la France et l’État en question, afin de déterminer le lieu d’imposition de son activité.

L’article 5 alinéa 1 de la Convention modèle de l’OCDE définit l’établissement stable comme : « une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». 

I / La caractérisation de l’établissement stable 

Il convient dans cette partie d’expliciter la définition de l’établissement stable donnée par l’OCDE (A), notion qui s’étend à la présence d’un agent dépendant (B). 

1- Méthode classique 

  • Il faut dans un premier temps une installation : on pense principalement à un local mis à la disposition de l’entreprise. Elle n’a pas forcément à en être propriétaire, mais doit pouvoir l’utiliser dans l’exercice de son activité. Il peut également s’agir d’un local au sein d’une entreprise différente.

Si un appareil de production ou un logiciel informatique atteint une certaine autonomie, avec un personnel sur place, il pourra aussi être considéré comme un établissement stable. Il convient donc de préciser que des données ou un logiciel simple ne peuvent permettre à caractériser un établissement stable : en effet, une présence humaine sur place est requise afin de caractériser un établissement stable. 

  • Il faut ensuite que cette installation soit fixe : selon l’OCDE, il faut que l’installation ait vocation à durer. Il en ressort qu’une installation simplement temporaire ne peut constituer une installation fixe. L’important ici est donc la volonté lors de la création de l’installation. En effet, si celle-ci prend fin à cause de circonstances extérieures ou suite à une mauvaise gestion, la qualification d’établissement stable peut tout de même être accordée. 

Ce critère est rétroactif. De ce fait, l’installation pourra être requalifiée en établissement stable si cette dernière se pérennise dans le temps.

  • Cette installation fixe doit permettre d’exercer tout ou partie de l’activité économique, et ce de manière autonome. Il faut donc démontrer l’ indépendance de cette entreprise face à la société mère. Un atelier désaffecté ou une usine désaffectée ne peuvent être qualifiés d’installation fixe d’affaires.

La Convention modèle de l’OCDE a dressé une liste exemplative d’établissements stables aux alinéas 2 et 3 de l’article 5. Cependant, celle-ci n’est pas exhaustive. On y retrouve notamment : 

  • Un siège de direction : un lieu où des décisions peuvent être prises par l’entreprise. On ne parle pas « du » siège de direction qui correspond à la seule résidence de la personne morale. Un arrêt du Conseil d’État du 7 mars 2016 « Sté compagnie internationale des wagons-lits »  définit le siège de direction comme « le lieu où les personnes exerçant les fonctions les plus élevées prennent les décisions stratégiques qui déterminent la conduite des affaires de cette entreprise, dans son ensemble ». Il y a donc une confusion, dans la jurisprudence du Conseil d’État, entre la notion de résidence, par la présence du siège de direction effective, et celle de l’établissement stable, par l’intermédiaire d’un siège de direction. Ce dernier ne vise que le lieu où une entreprise prend ses décisions. 
  • Une succursale : Pour la France, il faut que la succursale ait une certaine permanence et autonomie (personnel propre, services propres…) 
  • Un bureau : Pour la France, il faut un réel pouvoir de vente. 

Cette liste retient également les ateliers et usines, les lieux d’extraction de ressources naturelles ou encore les chantiers de construction ou de montage. 

L’article 5 alinéa 4 de la Convention modèle de l’OCDE prévoit certaines exceptions. Ces activités ne peuvent constituer l’établissement stable d’une entreprise. Il s’agit : 

– Des activités préparatoires ou auxiliaires ;

– Des installations de stockage, d’exposition, de livraison ou de transformation. 

Cependant, il arrive que, malgré l’éligibilité d’une activité à l’une de ces qualifications, la notion d’établissement stable soit retenue, afin d’assurer la cohérence et la non-fragmentation d’un ensemble.

  1. La représentation locale par un agent dépendant

La notion d’agent dépendant est très intéressante, car même en l’absence d’installation fixe d’affaires, une entreprise peut être considérée comme disposant d’un établissement stable, si elle est représentée localement par un agent dépendant. 

Une définition nous est donnée par l’article 5 alinéa 5 de la Convention modèle de l’OCDE et pose deux conditions cumulatives. L’agent doit : 

  • Être dépendant de l’entreprise étrangère. Il peut s’agir d’une dépendance juridique (entre sociétés mères/filles par exemple) ou d’une dépendance économique (relation commerciale exclusive par exemple). 
  • Avoir le pouvoir de conclure, de manière habituelle, des contrats au nom de l’entreprise dans le cadre de son activité propre. Le Conseil d’État considère historiquement que ne peut être qualifiée d’agent dépendant, une personne ne disposant pas des pouvoirs lui permettant de conclure des opérations au nom de la société (CE, 27 février 1984). 

De plus, l’alinéa 6 du même article ajoute une condition quant à la nature de l’activité exercée par l’agent dépendant : 

  • Il doit exercer une activité dans un domaine qui peut caractériser un établissement stable (sont donc exclues les activités préparatoires et auxiliaires ou encore l’exercice par un courtier ou tout autre agent indépendant). 

Pour un exemple, dans le célèbre jugement “Google contre France”, le tribunal administratif de Paris en date du 12 juillet 2017 a rejeté la qualification de la SARL Google France en établissement stable de la société Google irlandaise au motif que la société Google France n’avait pas le pouvoir d’engager la société irlandaise. 

Il convient, pour aller plus loin, de se référer aux conventions bilatérales et à la Convention modèle de l’OCDE. 

Pour compléter ce sujet, nous pouvons brièvement évoquer les méthodes d’élimination des doubles impositions. 

II/ L’élimination des doubles impositions 

Les conventions fiscales ont mis en place des dispositifs de lutte contre les doubles impositions notamment juridiques, lorsqu’un même contribuable est imposé par plusieurs États pour un même revenu ou pour une même fortune.

Pour éviter cela, les États peuvent recourir à la méthode de l’exemption (A) ou à celle de l’imputation (B). 

  1. La méthode de l’exemption 

Dans cette situation, un État va purement et simplement renoncer à imposer un revenu pour lequel la convention a reconnu le droit d’imposer à l’autre État.  

L’exemption peut être intégrale si l’État renonçant à l’imposition ne prend pas en compte les revenus dans le calcul de l’impôt dû au titre des revenus qui ne sont pas exemptés. 

L’exemption peut être avec progressivité si l’État qui renonce à l’imposition prend tout de même en compte les revenus exonérés pour le calcul du taux d’imposition applicable aux revenus non exemptés. On parle aussi de la méthode du taux effectif.

  1. La méthode de l’imputation

Dans cette situation, l’État de résidence et l’État de la source peuvent imposer un même revenu. Cependant, la particularité est que le contribuable pourra déduire  dans son État de résidence l’impôt payé dans l’État de la source du revenu. L’impôt payé constitue alors une avance dans l’État de la source qui sera récupérable dans l’État de résidence par le mécanisme du crédit d’impôt.

Ce mécanisme s’applique très souvent aujourd’hui dans les conventions fiscales souscrites par la France. 

Guevorg Randilian, Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité 

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