Dans une décision du 29 juin 2023, Assoc. Alliance citoyenne et a. et Ligue des droits de l’homme (n°458088, 459547 et 463408), le Conseil d’Etat a confirmé l’application du principe de neutralité aux joueurs sélectionnés en équipe de France, extension amorcée dans un premier temps par la Fédération Française de Football (FFF), notamment par l’interdiction du port du hijab pour les joueuses footballeuses. Une conclusion adoptée en vertu du principe fondamental français : la laïcité.
Une obligation de neutralité pour les agents de la FFF
Il est de jurisprudence constante que le Conseil d’État impose la neutralité des agents publics, tant dans le rapport aux agents dont le recrutement ne doit pas être fondé sur des convictions religieuses ou politiques, que dans le devoir de réserve de manifester leurs appartenances et croyances religieuses (CE, avis du 3 mai 2000, Mademoiselle Marteaux).
Il convient bien de différencier la liberté d’avoir des convictions et la liberté de la manifester, qui, elle, peut être restreinte (CEDH, 1993, Kokkinakis). Cette restriction doit être justifiée par la poursuite d’un but légitime et proportionné à l’objectif visé.
Ces obligations se sont vues renforcées par la loi n°2021-1109 du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République qui énonce dès son premier article « Lorsque la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public ».
Déjà, le législateur avait, par la loi n°2004-228 du 15 mars 2004, interdit aux élèves le port de tout signe montrant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
La FFF a ainsi modifié ses statuts, le 28 mai 2016, pour prévoir que « sont interdits, à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées sur le territoire de la Fédération ou en lien avec celles-ci : / – tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical, /– tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale, / – tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande ».
Un changement que les associations tentent de faire abroger, en vain, se soldant par le rejet de toute modification de la part du président de la FFF le 31 août 2021.
La FFF étant un service public, ses licenciés et ses représentants sont soumis à l’obligation de neutralité, issue du principe de laïcité, en tant que représentants de la République et régulièrement au contact du public. Ils doivent donc s’abstenir d’expression religieuse et de prise de position en la matière.
Concernant enfin la catégorie de personnes qui ne sont pas employées par la FFF directement, les arbitres, bien que la jurisprudence manque encore de cohérence, ces travailleurs indépendants restent tout de même soumis à l’autorité de la FFF et sont par conséquent soumis au principe de neutralité.
L’application du principe de neutralité aux joueurs, usagers du service public
Concernant les joueurs, en tant que professionnels, est-il possible de leur appliquer le principe de neutralité alors qu’ils ne participent pas, à première vue, de manière directe à l’exécution d’une mission de service public ?
C’est sur ce point que la décision du Conseil d’État est novatrice puisqu’elle consacre l’extension du champ du service public aux « temps et lieux de matchs ». Puisqu’il était difficilement concevable d’intégrer les joueurs et joueuses comme participant à une mission de service public, ils bénéficient de la qualité d’usager du service public lorsqu’ils participent aux matchs et aux compétitions.
Le statut d’usager du service public n’entraîne pas le respect de l’obligation de neutralité, en dehors de certains cas particuliers comme les établissements scolaires (loi du 15 mars 2004).
Dans sa décision, le Conseil d’État a incorporé le cas des joueurs usagers du service public, dans ces cas restreints, en les soumettant aussi au principe de neutralité.
Une neutralité plus souple que pour les agents puisqu’elle n’implique pas, par exemple, de cacher les tatouages des joueurs ayant des connotations religieuses. Elle implique seulement, pendant les matchs, l’interdiction :
- Du prosélytisme et de tout acte de propagande, de pression ou de provocation
- Du « port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ».
Cette limitation n’intervient qu’aux « temps et lieux des matchs », ayant implicitement pour effet d’exclure les entraînements et les temps de préparation. Cela répond à l’exigence de proportionnalité de la restriction à la liberté de manifester sa religion.
Vers une préservation du service public contre un trouble à l’ordre public sportif ?
Le Conseil d’État fonde cette restriction sur les motifs de « bon fonctionnement du service » ainsi que de la « protection des droits et libertés d’autrui ».
Comme le rappelle le Conseil d’État dans son arrêt du 29 juin 2023, la FFF était dans son bon droit d’interdire « tout discours ou affichage à caractère politique, idéologique, religieux ou syndical » et « tout acte de prosélytisme ou manœuvre de propagande », qui auraient pour effet d’être un obstacle au bon déroulement des matchs.
En effet, « l’interdiction du ‘port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale’, limitée aux temps et lieux des matchs de football, apparaît nécessaire pour assurer leur bon déroulement en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport ».
Cette limitation permet ainsi de garantir la sécurité des joueurs, joueuses et du public en luttant contre les discriminations et attaques contre les religions au même titre que les discriminations homophobes ou ethniques. La décision de la FFF a eu pour effet d’interdire aux joueuses de porter leur voile lors des compétitions. Ce vêtement religieux fait l’objet de nombreux débats.
Il est possible de citer une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui s’était prononcée sur la question du voile intégral dans un arrêt du 1er juillet 2014, SAS c/ France. La Cour admet l’interdiction du voile intégral, au nom du « vivre ensemble », dans l’espace public. Cette atteinte à la liberté de religion peut être justifiée par le droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble.
Un fondement qui tente à être rapproché de l’objectif de préservation de l’ordre public, poursuivi par le Conseil d’État. Dans ses moyens, la Fédération Française de Football invite la juridiction “à consacrer un ordre public sportif dont l’une des composantes serait la neutralité des compétitions et des manifestations sportives”.
Cependant, ni le rapporteur public, ni le Conseil d’Etat, ne reprennent cette formulation. Le rapporteur public indique dans ses conclusions qu’ “il n’existe pas, en l’état de votre jurisprudence, d’ordre public sportif au sens d’un système autonome de normes édictées par le mouvement sportif international ou de principes inhérents à ce mouvement, et qui s’imposeraient per se aux ordres juridiques nationaux”.
Marianne GERARD – M1 Droit Public
Sources :
Décision CE, 29 juin 2023, Assoc. Alliance citoyenne et a. et Ligue des droits de l’homme (n°458088, 459547 et 463408).
COURRÈGES Anne, Le Conseil d’Etat juge légale l’interdiction, édictée par l’article 1er des statuts de la Fédération française de football, du « port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale », lors des matchs de football, LexisNexis, Droit Administratif n°8-9, Août-Septembre 2023, alerte 95
EVEILLARD Gweltaz, Laïcité – La légalité de l’interdiction de toute forme d’expression religieuse lors des matchs de football, LexisNexis, Droit Administratif n°11, Novembre 2023, comm. 42
MAISONNEUVE Mathieu, La sanctuarisation « républicaine » du football français, LexisNexis, La Semaine Juridique, Edition Générale n°35, 04 septembre 2023, doctr. 980
ROUX Christophe, Lex sportiva et neutralité religieuse : passements de jambes au Conseil d’Etat, LexisNexis, Droit Administratif n° 8-9, Août-Septembre 2023, alerte 90.