La mise en place de la facturation électronique

Déjà instituée dans le secteur public depuis 2020 pour les opérations B2G (business to government), l’ordonnance n° 2021-1190 du 15 septembre 2021 a instauré, sur le fondement de la loi de finances pour 2021, la généralisation de la facturation électronique (e-invoicing). 

Cela concerne les transactions entre assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) établis en France dans le cadre des transactions B2B (business to business). Cette ordonnance a également instauré l’e-reporting c’est-à-dire l’obligation de transmission des données de transaction et de paiement. Le non-respect de ces obligations sera passible de sanctions. 

Cette modernisation des règles fiscales intervient dans le cadre global de la réforme du système de la TVA au niveau européen. La généralisation de la facturation électronique en France a fait l’objet d’une autorisation du Conseil de l’Union européenne dans une décision d’exécution du 25 janvier 2022 puisqu’elle déroge à la directive TVA. Il s’agit d’une transition importante, à laquelle les entreprises doivent être préparées. 

  • Qu’est-ce qu’une facture électronique ? 

Conformément au nouvel article 289 du Code Général des Impôts (CGI), il s’agit d’une facture « émise, transmise et reçue sous une forme dématérialisée » grâce à un processus de facturation automatisé dans son intégralité et qui comporte nécessairement un socle minimum de données, sous forme structurée. Elle se distingue d’une simple facture papier ou au format PDF. Elle doit respecter la norme sémantique européenne EN 16931. Trois formats structurés en XML sont possibles : Factur-x, UBL (Universal business Language) et CII (Cross Industry Invoice). Un format mixte composé d’un fichier de données structurées au format XML et d’un fichier PDF est également possible. 

L’émetteur de la facture doit être formellement identifié. Selon le CGI : « l’authenticité de l’origine, l’intégrité du contenu et de la lisibilité doivent être assurées de son émission à la fin de la période de conservation. » Il sera alors demandé aux entreprises de sécuriser l’émission et la réception des factures par la constitution d’une piste d’audit fiable, par l’apposition d’une signature électronique qualifiée (dite cachet électronique) au sens du règlement européen eIDAS ou par la génération de factures structurées basées sur l’échange de données informatisées (EDI). Le contenu ne doit pas pouvoir être modifié. Tout comme les factures papiers, elle doit comporter les mentions obligatoires prévues par la loi fiscale et commerciale. 

Afin de respecter l’obligation de conservation des documents de 6 ans pour le droit fiscal et 10 ans pour le droit commercial, les entreprises devront archiver les factures, leurs données ainsi que les éléments de traçabilité. L’intégrité, la disponibilité et la sincérité de la facture devront être conservées dans le temps.  

  • La facturation électronique : l’e-invoicing 

Le mécanisme de la facturation électronique s’applique lorsque l’émetteur et le destinataire de la facture sont assujettis à la TVA en France et qu’ils effectuent des échanges commerciaux : ce mécanisme s’applique alors aux opérations B2B. Les opérations doivent être réalisées en France et constituer des livraisons de biens ou de prestations de services non exonérées. Sont exclues les opérations classées « secret défense ». 

Les entreprises devront remplir, émettre, transmettre et réceptionner les factures en ayant recours au portail public de facturation, Chorus Pro, ou à une plateforme dématérialisée partenaire. Elles ne pourront plus adresser directement les factures à leurs clients. En effet, la transmission au destinataire et à l’administration fiscale se fera automatiquement via la plateforme choisie. Un service d’immatriculation, consacré aux plateformes partenaires, a ouvert en mai 2023 et un projet de charte entre ces dernières et l’administration est en consultation. 

Si l’entreprise choisit le portail public, celui-ci se chargera de transmettre les données directement à l’administration fiscale. Si elle fait le choix d’utiliser une autre plateforme, cette dernière transmettra les informations au portail public qui les transmettra à son tour à l’administration. L’administration fiscale sera ainsi informée du cycle de vie de la facture au travers de différents statuts tels que le dépôt, le rejet, le paiement ou l’encaissement. Il sera toujours possible pour le destinataire de la facture de refuser via la plateforme la réception d’une facture en cas d’erreur ou de litige par exemple. 

Pour des raisons de sécurité, l’État recense dans un annuaire central, pour chaque entreprise, la ou les plateformes choisie(s). Il sera alimenté par les plateformes de dématérialisation et les entreprises et sera consulté par les plateformes aux fins d’adressage des factures électroniques, dérogeant ainsi au principe du secret des affaires. 

En cas de non-respect de ces obligations, les entreprises s’exposent à une amende de 15€ par facture, sans que le total puisse excéder 15 000€. Toutefois, cette amende n’est pas applicable en cas de première infraction commise au cours de l’année civile en cours et des 3 années précédentes lorsque l’infraction a été réparée spontanément ou dans les 30 jours suivant une première demande de l’administration. 

  •  L’obligation de transmission des données relatives aux transactions : l’e-reporting 

Les entreprises assujetties à la TVA mais non concernées par la facturation électronique devront transmettre les données relatives aux transactions ainsi que les données relatives au paiement des prestations de services. Cela vise notamment les opérations commerciales réalisées par les entreprises françaises assujetties à la TVA avec des clients particuliers c’est-à-dire les opérations B2C (business to consumer) et celles réalisées avec des partenaires étrangers. Les opérateurs établis en Guyane ou à Mayotte sont concernés. S’agissant des transactions B2C, les entreprises devront faire  remonter périodiquement, vers l’administration, une synthèse des transactions avec leurs clients. L’administration devra garantir la confidentialité des données.

Sont exclues les opérations bénéficiant d’une exonération de TVA, les opérations classées « secret défense » ou celles concernées par une clause de confidentialité en raison d’un motif de sécurité nationale. Pour les prestations de services, sont exclues les opérations en autoliquidation. 

Les entreprises étrangères ou leur représentant fiscal sont également concernés par l’obligation de transmission des informations relatives aux livraisons de biens et de prestations de services situées en France pour lesquelles elles sont redevables de la TVA, lorsque le destinataire ou le preneur est une entreprise assujettie ou un particulier non assujetti, à l’exception des opérations faisant l’objet d’un régime particulier de guichet unique.

Sont également concernés les assujettis non redevables de la TVA (micro-entrepreneurs et personnes morales en base de TVA) afin de contrôler les dépassements de seuils. Nous pouvons aussi mentionner des opérations sectorielles comme les prestations dans le domaine de la santé, de l’enseignement et de la formation ou encore les opérations immobilières.

Les données relatives aux prestations de services comprennent la date d’encaissement, le montant TTC, le taux de TVA… S’agissant des données de transaction, elles correspondent aux normes sémantiques publiées sur le site de l’administration fiscale telles que le numéro d’identification, la catégorie de la transaction, l’option pour le paiement de la TVA d’après les débits… 

Le délai de transmission dépend du régime d’imposition de TVA de l’entreprise. Les entreprises au régime réel normal mensuel devront transmettre leurs données au moins 3 fois par mois au titre d’une période de 10 jours, les entreprises au régime réel normal trimestriel ou celles soumises au réel simplifié enverront leurs données 1 fois par mois pour les opérations relatives au mois précédent.  Les entreprises bénéficiant de la franchise en base devront adresser au moins une fois tous les 2 mois leurs données au titre des 2 mois précédents.

L’e-reporting permettra de reconstituer l’activité économique d’ensemble d’une entreprise. Il complète la facturation électronique et permet de proposer aux entreprises un pré-remplissage de leurs déclarations de TVA. 

Les entreprises qui ne respectent pas l’obligation de transmission des données sont passibles d’une amende de 250€ par transmission, sans que le total des amendes appliquées au titre d’une même année civile pour chaque type de transmission puisse être supérieur à 15 000€. Toutefois, cette amende n’est pas applicable en cas de première infraction commise au cours de l’année civile en cours ‘ et des 3 années précédentes lorsque l’infraction a été réparée spontanément ou dans les 30 jours suivant une première demande de l’administration.

Régime applicable aux départements et communautés d’outre-mer : 

  1. L’e-invoicing : 

Les opérateurs établis dans les COM (Guyane, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon, Saint-Barthélemy, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna) ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises ne sont pas concernés. En effet, la TVA ne leur étant pas applicable, ils n’ont pas la qualité d’assujetti ;

Les opérateurs établis dans les DOM (Guadeloupe, Martinique et La Réunion) sont quant à eux concernés. 

  1. L’e-reporting 

Les livraisons de biens réalisées par ces opérateurs y sont soumises car elles sont considérées comme des exportations ;

Exception : les livraisons de biens réalisées entre des assujettis établis en Guadeloupe et en Martinique ne sont pas concernées par l’e-reporting. En effet, ces opérations entrent dans le champ de l’e-invoicing (ce qui exclut donc l’obligation de e-reporting) car ces deux territoires ne sont pas considérés comme territoires d’exportation l’un envers l’autre.

  • Les objectifs 

La facturation électronique permettrait de : 

  • Vérifier en temps réel si la TVA déclarée et perçue ainsi que les factures émises et reçues sont cohérentes, afin de prévenir et combattre la fraude à la TVA ; 
  • Disposer d’une meilleure connaissance en temps réel de l’activité des entreprises pour orienter la politique économique au plus proche de la réalité ; 
  • Simplifier les obligations des assujettis en matière de déclaration de TVA par la mise en place d’un formulaire pré-rempli pour leurs déclarations ; 
  • Mettre en place un guichet unique pour le traitement de toutes les factures ; 
  • Renforcer la compétitivité des entreprises grâce à l’allègement de la charge administrative, la diminution des délais de paiement et le gain de productivité résultant de la dématérialisation ;
  • Diminuer les charges de l’entreprise, le coût d’une facture électronique étant inférieur à celui de l’impression d’un timbre et des frais postaux. De plus, les coûts de stockage vont baisser ;
  • Diminuer les impressions papiers et ainsi réduire l’empreinte carbone. 

Les économies et les avantages résultant de la mise en œuvre de la facturation électronique permettront de compenser l’investissement initial consenti par l’entreprise pour adapter ses systèmes. 

Cependant, on pourrait voir dans le mécanisme de facturation électronique une immixtion de l’administration fiscale dans l’entreprise et donc une atteinte aux principes de liberté de gestion et de non-immixtion dans la gestion, consacrés par la loi et la Constitution. 

  • Le calendrier de l’entrée en vigueur progressive 

S’agissant de l’e-invoicing, l’ordonnance initiale de 2021 avait prévu une entrée en vigueur au 1er juillet 2024 pour la réception à l’ensemble des assujettis et pour la transmission, seulement aux grandes entreprises. Puis, une généralisation progressive a été prévue : au 1er janvier 2025 pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et au 1er janvier 2026 pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE). 

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, un amendement a été déposé en octobre 2023 pour reporter l’obligation à compter du 1er septembre 2026. Puis, un deuxième amendement de novembre 2023 propose de l’avancer au 1er juillet 2025. Enfin, le dernier amendement en date de décembre 2023 suggère de fixer l’obligation au 1er janvier 2026. 

Ces changements interviennent dans le cadre des groupes de travail entre l’administration d’une part, et les entreprises et fédérations professionnelles d’autre part. En effet, les entreprises devant être préparées à cette obligation, il convient de réorganiser le système interne de l’entreprise et de mobiliser l’ensemble des services afin de faire de cette transition un véritable projet d’entreprise et de fournir les éléments nécessaires pour que les partenaires commerciaux suivent. 

Finalement, la loi de finances pour 2024 fixe l’obligation de réception pour toutes les entreprises à compter du 1er septembre 2026. En matière de transmission, la date est fixée au 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises et les ETI. En ce qui concerne les PME et TPE, la date est fixée au 1er septembre 2027. Les dates ne pourront être repoussées que de 3 mois maximum. 

Depuis le 1er janvier 2024, une phase d’expérimentation est en cours sur le portail public de facturation. À partir de 2025, des entreprises pilotes volontaires testeront le mécanisme de la facturation électronique. 

Le calendrier sera le même pour l’obligation de e-reporting. 

  • Pour en savoir plus 

La DGFiP à créé un « dossier de spécifications externes » qui regroupe l’ensemble des documents décrivant les formats d’échange avec le portail public de facturation. Il est régulièrement mis à jour. Un espace dédié à la facturation électronique et à la transmission des données à l’administration fiscale a été institué sur le site impôts.gouv : https://www.impots.gouv.fr/facturation-electronique-entre-entreprises-et-transmission-de-donnees-de-facturation. Il est régulièrement mis à jour grâce aux travaux menés par l’administration fiscale avec les entreprises et fédérations professionnelles. On peut aussi retrouver une FAQ avec des situations bien précises permettant à toutes les entreprises de savoir si elles seront, ou pas, soumises à la facturation électronique ou à la transmission des données de transactions et paiements. 

La Mission facturation électronique de la DGFiP a publié des fiches explicatives destinées aux PME et TPE : https://www.francenum.gouv.fr/files/Documents/0_preambule_TPE.pdf

L’agence pour l’Informatique Financière de l’État a également publié une vidéo résumant les modalités et les échanges de la facturation électronique interentreprises et du e-reporting : https://www.youtube.com/watch?v=pAFldyrhtjM

Stacy Hervé – Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité 

SOURCES : 

  • Facturation électronique – par Pierre Pradeau – Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d’avocats, 18 Janvier 2023
  • Francenum.gouv.fr : Facturation électronique entre entreprises : une obligation et des opportunités pour les TPE-PME, 10 janvier 2024
  • Impôts.gouv : je passe à la facture électronique 
  • Fiscal – Activités économiques – Facturation électronique : comment anticiper pour bien s’y préparer – Emmanuelle Delfosse – JA 2023, n°683, p.36
  • Facturation électronique et transmissions de données complémentaires : nouvelle mise à jour des spécifications externes et de la foire aux questions, Droit fiscal n° 8, 23 février 2023, comm. 109
  • Facturation électronique et transmission des données, Cahiers de droit de l’entreprise n° 6, Novembre 2022, prat. 27
  • Généralisation de la facturation électronique : le calendrier et les modalités de mise en œuvre de la réforme confirmés, Cahiers de droit de l’entreprise n° 5, Septembre 2022, act. 85
  • Le Conseil de l’Union européenne autorise la France à déroger à la directive TVA pour généraliser à compter de 2024 la facturation électronique, LexisNexis
  • La facturation électronique dans les transactions entre assujettis à la TVA et à la transmission des données de transaction est généralisée, LexisNexis

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