ROLEX, SANCTIONNÉE PAR L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE 

Décision n°23-D-13 du 19 décembre 2023.

Le 19 décembre 2023, une sanction de 91,6 millions d’euros a été prononcée à l’encontre de Rolex France* pour avoir interdit à ses distributeurs agréés de vendre en ligne les montres de la marque pendant plus de dix ans. 

L’Autorité de la concurrence française, saisie par l’Union de la Bijouterie Horlogerie ainsi que le joaillier Pellegrin & Fils en 2017, considère que des clauses du contrat de distribution sélective, liant Rolex France à ses distributeurs, caractérisent une entente verticale restrictive de concurrence. 

Tout commence lorsque la tête du réseau, Rolex France, décide de restructurer son réseau de distribution en France. Cette situation s’est traduite par une diminution du nombre de points de vente indépendants, passant de 114 à 66, entre 2010 et 2021. C’est notamment avec l’une des sociétés saisissantes, Pellegrin & Fils, que Rolex France a résilié son contrat en 2013. Puis, en 2015 cette dernière a assigné la marque de luxe pour entente anticoncurrentielle et rupture brutale des relations commerciales établies. Le distributeur a interjeté appel après que le Tribunal de commerce de Paris ait rejeté ses demandes. 

Ensuite, en 2017, l’Union de la Bijouterie Horlogerie ainsi que la société Pellegrin & Fils ont saisi l’Autorité de la concurrence pour des pratiques mises en œuvre par la société Rolex France. 

Finalement, l’Autorité a pris la décision en 2018 de procéder à la jonction de ces deux affaires. Deux griefs ont été établis suite aux saisines. Le premier concernait une entente interdisant la vente en ligne tandis que le second visait une entente qui avait pour but de fixer le prix de vente au détail des montres de la marque, ce second grief n’ayant pas été retenu.

Un fournisseur est libre d’organiser son réseau de distribution comme il le souhaite, notamment en choisissant ses revendeurs, cependant, il ne faut qu’aucune restriction de concurrence ne soit engendrée. La liberté commerciale de ses distributeurs ne peut pas être restreinte. 

La luxueuse marque de montres, sous prétexte de vouloir lutter contre la contrefaçon et le commerce parallèle, a voulu interdire la vente en ligne. Cette action vient alors fausser la concurrence et désavantager ses distributeurs. L’Autorité, en comparant avec les principaux concurrents de Rolex confrontés aux mêmes risques, s’est aperçue que, sous certaines conditions, ces derniers autorisent la vente en ligne. Elle indique également qu’il existe des outils afin d’assurer la traçabilité des produits tels que la blockchain (il s’agit d’une base de données qui permet un partage direct, transparent et sécurisé d’informations au sein d’un réseau, avec un historique des échanges effectués). L’argument soulevé par la marque est alors rejeté. La solution est identique quant aux autres arguments apportés par celle-ci tels que le manque de sécurité des envois à distance ainsi que la nuisance de son image de marque. Le gendarme de la concurrence a considéré que Rolex France pourrait très bien atteindre ses objectifs tout en établissant des moyens moins restrictifs de concurrence. 

Une injonction de communication et de publication accompagne par ailleurs l’amende retenue. 

Il faut garder à l’esprit que cette décision est susceptible de faire l’objet d’un recours. 

Cet arrêt retient notre attention quant à la haute somme due, cependant vient à présent le moment d’éclairer les violations que Rolex France a commises.

Nous sommes dans une ère où la concurrence est indispensable au marché. En plus d’être une composante de l’intérêt général, elle garantit un fonctionnement optimal des marchés, elle permet l’épanouissement des libertés économiques des personnes privées comme publiques.

En l’espèce, Rolex France est accusée d’avoir réalisé une entente verticale (également appelée « accord vertical ») restrictive de concurrence.

La Commission européenne définit l’accord vertical comme « un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services » (article 1er, paragraphe 1, point a, du règlement UE n° 2022/720 du 10 mai 2022).

Une entente verticale réalisée entre le fabricant et ses distributeurs est une situation classique. Cependant, cette dernière n’est pas censée restreindre la concurrence et ainsi être nocive vis-à-vis du marché. Elle doit se borner à fixer les conditions de vente et d’achat. Dès l’instant où la liberté du fournisseur ou de l’acheteur est limitée, la restriction peut être qualifiée. L’entente est sanctionnée dès lors que la concertation entre entreprises entraîne une atteinte au marché. 

La précision qu’apporte le terme « vertical » a son importance puisqu’il existe en parallèle des ententes dites horizontales, celles-ci sont par ailleurs plus souvent préjudiciables. Ces dernières concernent un accord conclu au moins entre deux entreprises situées au même niveau du processus économique, exerçant une activité en situation de concurrence entre elles. 

Le joaillier de luxe a ici violé l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ainsi que l’article L.420-1 du Code de commerce. On retrouve à travers ces deux normes, française et européenne, un contenu quasiment identique en ce qui concerne l’entente. Ces dernières interdisent les pratiques commerciales qui pourraient empêcher, restreindre ou fausser la concurrence.

Par sa définition, on constate que l’entente n’est pas par nature condamnable. Il faut en effet qu’elle altère la concurrence. Les articles précédemment cités annoncent alors quelques exemples d’ententes condamnables. Sont notamment visées les ententes sur les prix, les ententes qui visent à instaurer les barrières à l’entrée sur le marché, les ententes qui visent à répartir les marchés et les sources d’approvisionnement, ainsi que les ententes de quota. Cette liste n’étant pas exhaustive. 

De plus, un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 15 juillet 1970 (ACF Chemiefarma / Commission, affaire C-41/69, point 112) souligne qu’un accord, au sens des articles 101 du TFUE et L.420-1 du Code de commerce, est qualifié dès lors que les parties ont exprimé une intention commune de se comporter d’une manière particulière sur le marché, par exemple à travers un contrat. 

La constitution d’un réseau de distribution sélective exclut d’office des acteurs économiques sur le marché. Ce mécanisme consiste à ce qu’un fournisseur s’engage à ne vendre ses produits ou services uniquement à des distributeurs qu’il a sélectionné sur des critères définis. Ce système est très courant pour les produits de luxe ou pharmaceutiques notamment. Alors que cette situation peut sembler anticoncurrentielle, le Règlement UE n°330/2010 de l’Union européenne a permis de faire coexister la libre concurrence avec ce type de réseau, à condition que certaines clauses prohibées n’y soient pas insérées. En effet, le fournisseur impose des obligations qui viennent encadrer la vente des produits via des clauses qu’il insère dans le contrat, cependant il y a des limites à celles-ci. 

1ère clause prohibée : Le distributeur doit disposer d’une totale liberté dans la détermination du prix de vente des produits qu’il commercialise.

2ème clause prohibée : Le fournisseur a l’interdiction d’empêcher son distributeur de commercialiser des produits en ligne. 

L’interdiction absolue faite aux distributeurs agréés de vendre sur Internet constitue clairement une restriction de concurrence, notamment depuis l’arrêt Pierre Fabre rendu le 13 octobre 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne (affaire C‑439/09). La Cour affirme que « comme le précise le Règlement de 2010, il serait condamnable pour un fournisseur de dissuader le distributeur sélectionné pour atteindre un plus grand nombre et une plus grande variété de clients en imposant des conditions pour la vente en ligne qui ne sont pas globalement équivalentes à celles imposées pour la vente dans un point de vente physique ». Le Règlement n°2022/720 de la Commission européenne a d’ailleurs consacré cette interdiction en son article 4 e). 

La vente en ligne présente cependant deux limites. Tout d’abord, la tête du réseau peut exiger comme critère de sélection qu’il y ait un magasin physique pour autoriser le commerce sur Internet. Ensuite, le fabricant peut imposer au distributeur les mêmes conditions de vente en ligne que celles prévues sur un point de vente physique. 

Au vu du poids économique que peut représenter un fournisseur, on pourrait penser également à un abus de position dominante. Cette infraction existe lorsqu’une entreprise, en situation de domination en raison de son pouvoir de marché, profite de sa position pour  restreindre ou évincer la concurrence à travers des pratiques abusives et provoque un effet anticoncurrentiel. Pourtant, en l’espèce, on qualifie la situation d’entente verticale. 

L’affaire Rolex présente ainsi différents indices laissant entendre la qualification d’une entente verticale restrictive de concurrence. 

  • En premier lieu, le contrat de distribution sélective, en vigueur depuis 1999, contient des clauses qui interdisent « toute vente hors de l’établissement de vente ou par correspondance ». 
  • Deuxièmement, Rolex France avait adressé un courrier, en 2006, à une bijouterie « qu’en aucune manière nos Distributeurs Agréés qui sont les seuls autorisés à vendre nos produits, ne peuvent le faire par Internet, pas plus que par correspondance. Toute vente sur Internet vient en contravention avec les dispositions de l’article IV.3.b du Contrat de Distribution Sélective souscrit par l’ensemble de nos Distributeurs Agréés ».
  • Troisièmement, Rolex France avait fait un rappel à ses distributeurs agréés de l’interdiction de vendre sur Internet via un document interne du 3 juillet 2017 et d’un courriel du 9 janvier 2018.
  • En quatrième et dernier lieu, il y a les déclarations des saisissantes et des distributeurs agréés.

Cette interdiction a été jugée par l’Autorité de la concurrence comme ayant été continue pendant une dizaine d’années. Cette vision a été critiquée car, au vu des éléments listés ci-dessus, il semblerait que la pratique anticoncurrentielle ait, a minima, débuté en 2006. Cette décision semble volontaire de la part de l’Autorité qui aurait voulu faire coïncider le début de la pratique illégale à la date à laquelle l’arrêt Pierre Fabre a été rendu. Avant cet arrêt, les sources de droit applicables à ce sujet n’étaient pas claires, aucune infraction ne pouvait alors en être déduite (solution apportée par la Cour d’appel de Paris, le 13 mars 2014, n°2013/00714 & le 17 octobre 2019, n°18/24456).

L’Autorité, à travers ses sanctions, souhaite réprimer le comportement de l’entreprise en cause mais aussi dissuader les autres entreprises à user de ces pratiques illicites. La sanction est déterminée selon les éléments propres à l’entreprise ainsi que sa situation économique.

Les condamnations de la sorte sont fréquentes. En effet, peu de temps avant cette affaire, le producteur de thé Mariage frères a également été sanctionné par une amende de 4 millions d’euros pour un motif similaire. La maison de thé très courtisée avait « entravé, durant près de quinze ans, la liberté commerciale de ses distributeurs ».

* Rolex France SAS, filiale française de la société suisse Rolex Holding SA, sanctionnée solidairement avec la société Rolex Holding SA, la fondation Hans Wilsdorf et la société Rolex SA. 

Elisa GIORDANO – Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

SOURCES : 

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