Affaire Palmade :
Le vendredi 10 février 2023 en Seine-et-Marne, Pierre Palmade a été mis en examen pour homicide involontaire, après un grave accident de la route. Le véhicule qu’il conduisait avait en effet percuté une autre voiture, de face. Trois personnes ont été blessées dont une femme enceinte de 6 mois et demi. La question qui se pose est de savoir si la qualification d’homicide involontaire peut être retenue à l’encontre de l’enfant à naître, étant décédé à la naissance.
Par conséquent, cela amène à s’interroger sur la qualification juridique du foetus. Un collège d’experts a conclu que l’enfant est mort-né. Les charges pour homicide involontaire visant le comédien pourraient être abandonnées, car la justice considère qu’un foetus n’est pas une personne.
Définitions :
Ainsi, qu’est ce qu’une personne au sens du droit ?
La personne en tant qu’entité juridique n’est pas spécifiquement définie par des dispositions légales spécifiques. La notion de personne est étroitement liée à l’attribution de la personnalité juridique, c’est-à-dire l’aptitude à être titulaire de droits et assujettie à des obligations. Il y a deux types de personnalité juridique, la personne morale et la personne physique. Il convient de s’attarder sur la personne physique.
Cette aptitude est reconnue à tous les êtres humains dès leur naissance, sous réserve de deux conditions cumulatives : il faut naître vivant et viable.
L’enfant naît vivant et viable lorsqu’il est doté des organes nécessaires pour vivre.
Exceptionnellement, un enfant conçu mais pas encore né peut avoir la personnalité juridique si c’est dans son intérêt. C’est justement l’illustration d’un adage latin, Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur, signifiant que l’enfant simplement conçu est considéré comme né toutes les fois que cela peut lui apporter un avantage. Dans ce cas là, la personnalité juridique octroyée à l’enfant rétroagit au jour de sa conception à condition qu’il naisse vivant et viable.
Le mort-né, c’est-à-dire l’enfant qui est décédé dans le ventre de sa mère ou pendant l’accouchement et qui n’a pas vécu de vie propre, n’a pas la personnalité juridique car n’est pas né vivant et viable.
Il est alors important de se questionner sur la classification juridique de l’embryon et du fœtus. Doit-on les considérer comme une personne ou un bien ?
À noter qu’aucun texte ne donne la définition d’un bien. Cependant, la doctrine s’accorde à le définir comme une chose appropriée, dont on devient propriétaire et qui entre donc dans le patrimoine d’une personne.
L’article 16 du code civil dispose que « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »
Les dispositions générales de l’article 16 du code civil, garantissant le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, ne donnent pas de définition de l’embryon ou du fœtus, et moins encore du statut juridique de ceux- ci.
Un fœtus n’est pas une personne, sujet autonome de droit. Il ne s’agit pas non plus d’un simple bien. Rappelons-le, pour être considéré comme une personne et donc avoir la personnalité juridique, il faut être né vivant et viable.
L’enfant à naître ne constitue donc pas une entité juridique autonome distincte de la mère qui le porte.
Cependant, l’avis du comité consultatif national d’éthique de 1984 évoque le fait que l’enfant à naître est une personne potentielle.
De même, l’avis du conseil national de l’ordre des médecins rendu en 1994 précise que le fœtus doit être respecté comme un être de nature humaine.
Le problème étant qu’en droit français, il n’y a que deux catégories :
- les choses
- les personnes
Ces deux avis, qui n’ont en réalité pas de valeur normative, ne permettent pas de faire entrer dans l’une ou l’autre catégorie l’enfant à naître. Il est donc délicat de considérer que celui-ci est strictement une chose ou une personne.
Malgré cette absence de qualification nette dans les textes mais aussi dans la loi bioéthique de 2021 ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884384/ ), on retrouve tout de même une tendance en droit pénal à considérer que l’enfant à naître n’est pas une personne.
On peut prendre l’exemple de la non-qualification d’homicide involontaire à l’encontre d’un fœtus.
Prévu à l’article 221-6 du code pénal, l’homicide involontaire est puni dès lors que la “mort d’autrui” a été causée par “maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité”. Ainsi, toute la difficulté réside dans le fait de savoir si un fœtus peut être considéré comme “autrui”. La loi pénale étant liée par le principe d’interprétation stricte, il est alors nécessaire qu’autrui soit une personne.
Un arrêt rendu le 30 juin 1999 par la Cour de cassation, confirmé par un arrêt de l’Assemblée Plénière le 29 juin 2001 est venu trancher la question. Dans ces affaires, la Cour rejette la qualification d’homicide involontaire lorsque l’enfant est décédé in utero, c’est-à-dire lorsqu’il n’a pas vécu à la naissance, quand bien même celui-ci était en parfaite santé dans le ventre de sa mère avant l’accident.
Dans cet arrêt de principe de 2001, elle juge que l’article 221-6 du code pénal ne peut être étendu “au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus”.
Par ailleurs, la Chambre Criminelle par un arrêt rendu le 2 décembre 2003, a ajouté que l’auteur d’un accident de la circulation ayant entraîné le décès du fœtus peut être poursuivi pour homicide involontaire lorsque l’enfant a vécu durant 1 heure après l’accouchement de la mère par césarienne, avant de décéder en raison des lésions vitales irréversibles causées par l’accident.
De ce fait, deux solutions doivent être distinguées :
- soit le fœtus décède in utero à la suite de l’accident : la qualification d’homicide involontaire est alors exclue car l’enfant n’est pas né vivant et viable.
- soit le fœtus naît vivant et viable avant de décéder en raison des conséquences de l’accident : la qualification d’homicide involontaire peut être retenue car l’enfant a reçu la personnalité juridique entre la naissance et le décès.
Dans l’affaire Palmade, un collège d’experts a conclu que l’enfant est mort-né, c’est-à-dire décédé à la naissance. Les charges pour homicide involontaire visant le comédien pourraient donc en raison des précédents arrêts rendus par la Cour de cassation être abandonnées, car la justice considère qu’un fœtus n’est pas une personne.
C’est sûrement une des raisons pour lesquelles une proposition de loi a été déposée le 21 novembre 2023 visant à étendre la qualification d’homicide aux violences ou négligences qui causent le décès in utero d’un fœtus viable.
La loi propose de réduire les critères de qualification de la personnalité juridique. Pour l’acquérir, il n’y aurait plus l’impératif à ce que l’enfant soit né vivant, mais seulement que celui-ci soit viable. Ainsi, il serait considéré comme viable dès la 22ème semaine de grossesse de la mère.
Si le fœtus est considéré comme viable, alors on pourra qualifier l’acte d’homicide involontaire car il aurait déjà acquis une personnalité juridique et pourrait donc être considéré comme “autrui”.
Pensez-vous que cette loi sera par la suite adoptée ?
Suelem MAMEAUX et Sarah DULHOSTE, Master 2 Droit Privé Général.