Les aspects juridiques et fiscaux des apports en crypto-actifs 

Le projet de loi de finances pour 2024 avait envisagé la mise en place d’une nouvelle obligation déclarative pour les crypto-actifs. La loi de finances ne l’a finalement pas retenue ;  cependant, cette proposition peut nous amener à réfléchir sur les aspects juridiques et fiscaux de l’apport en société des crypto-actifs. Bien que les crypto-actifs (ou crypto-monnaies) paraissent être de création récente, le premier crypto-actif est apparu en 1990 avec la création de l’entreprise DigiCash, dont le but était de créer une crypto-monnaie et de la diffuser globalement. L’entreprise a fait faillite en 1998 et il faudra attendre l’invention du Bitcoin pour que la notion de crypto-actif réapparaisse.

Entre 2008 et 2009, le Bitcoin est créé par un (ou des) développeur(s) utilisant le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Le but de cette création est de redonner aux citoyens le contrôle de leur argent, en permettant de recourir à des paiements électroniques en ligne sans besoin de recourir à une banque, comme un échange de monnaie en main propre. A partir de 2011, les médias puis le public ont commencé à s’y intéresser. En 2017, le bitcoin atteint des sommets, il s’échange alors pour 20 000 $. D’autres devises de crypto-actifs apparaissent. 

Depuis 2020, le marché est instable. Le crypto-actif le plus connu de tous, le Bitcoin, s’échangeait pour 69 000 $ en octobre 2021. Fin 2022, le cours du Bitcoin a été divisé par quatre. Ceci peut notamment s’expliquer par la faillite de FTX en 2022, deuxième plateforme d’échanges de cryptomonnaies. L’entreprise s’est effondrée en quelques jours à la suite de placements financiers très risqués réalisés en puisant des fonds dans les dépôts des clients. 

Les montants en jeu suite à la faillite de FTX et la valeur d’échange du Bitcoin montrent qu’il est essentiel que le droit s’intéresse aux crypto-actifs. C’est ainsi que la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », a donné une définition des actifs numériques, qui figure dans le Code monétaire et financier (CMF) en son article 54-10-1. L’article distingue les jetons et les crypto-actifs. Selon cet article, les crypto-actifs sont « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique (…) et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement. ». Un jeton est « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (Art. L522-2 CMF). 

L’Union européenne a adopté le règlement sur le marché des cryptos-actifs (« Markets in Crypto-Assets » ou « MiCA »). Le règlement MiCA est entré en vigueur le 29 juin 2023 et entrera en application le 30 décembre 2024. Le règlement vise à encadrer le marché des crypto-actifs sur l’espace de l’Union européenne. Le règlement en question définit les crypto-actifs comme une “représentation numérique d’une valeur ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire”.

L’Autorité des marchés financiers précise dans sa définition que ces actifs numériques virtuels reposent sur la technologie de la blockchain. Selon les définitions données par la CNIL, l’AMF et le ministère de l’Économie, “la blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle”. La valeur des différents crypto-actifs dépend de l’offre et de la demande. 

Les crypto-actifs étant des actifs, ils peuvent faire l’objet d’un apport en société (I). De par le caractère potentiellement très lucratif que peut avoir leur échange, il est naturel que le droit fiscal s’y intéresse également (II). 

I – L’apport en société de crypto-actifs

L’apport d’actif numérique peut être un apport de jetons ou de crypto-actifs. En ce qui concerne l’apport de jetons, ils se retrouvent à l’actif du bilan de la société, dès lors, elle pourra utiliser les services liés aux jetons auprès de l’émetteur de ceux-ci. 

Le droit des sociétés admet plusieurs types d’apport, dès lors, il faut préciser dans quelle catégorie figure l’apport de crypto-monnaies (a), avant de définir le régime juridique d’un tel apport (b).

a) La nature de l’apport en crypto-actif 

Selon l’article 1832 du code civil (c. civ.), la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui, par un contrat, affectent des biens ou leur industrie à une entreprise commune. L’affectation des biens en question est l’apport en société. Le droit des sociétés connaît trois types d’apports (Art. 1843-3 c. civ.) : l’apport en numéraire, l’apport en nature et l’apport en industrie

L’apport en industrie est la mise à disposition par un associé de ses compétences, connaissances ou de son travail. Il ne fait aucun doute que l’apport de crypto-actifs n’est pas un apport en industrie. En revanche, la question de savoir si un tel apport est un apport en numéraire ou un apport en nature est moins aisée. 

L’apport en numéraire est la mise à disposition par un associé d’une somme d’argent à la société, tandis que l’apport en nature est la mise à disposition d’un bien quelconque, bien immeuble, meuble, qu’il soit corporel ou incorporel. Il s’agit donc de savoir si les crypto-actifs sont assimilés à une somme d’argent ou à un bien. 

En vertu de l’article L.111-1 du CMF, la monnaie ayant cours légal en France est l’euro, dès lors, une devise de crypto-actifs n’est pas une monnaie au sens du droit français. De plus, l’apport en numéraire est pour l’associé une obligation de somme d’argent, or, l’article 1343-3 du c. civ. dispose que « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros ». Enfin, le Conseil d’Etat considère que les crypto-actifs sont des biens meubles incorporels (CE, 26 avril 2018, n° 417809). 

Si la crypto-monnaie n’est pas une monnaie mais un bien meuble incorporel, alors son apport en société est un apport en nature. 

b) Le régime de l’apport en nature

L’apport en nature porte sur des biens immeubles ou meubles, sur des choses corporelles ou incorporelles. Un tel apport est admis dans toutes les formes sociales, sans exception. L’apport en nature peut se réaliser en pleine propriété ou en jouissance. 

Dans l’apport en pleine propriété, la société devient propriétaire des biens apportés et l’apporteur lui doit les mêmes garanties qu’un vendeur (art. 1843-3, al. 3 c. civ.). Concrètement, en matière d’apport de crypto-actifs, l’apporteur va créer un portefeuille sur lequel vont figurer les crypto-actifs apportés et en communiquer l’adresse publique à la société. La société étant propriétaire, elle peut en disposer librement.

Dans l’apport en jouissance, les biens sont mis à la disposition de la société, mais l’apporteur en reste propriétaire. Ce dernier doit à la société bénéficiaire de l’apport les mêmes garanties qu’un bailleur (Art. 1843-3, al. 4 c. civ.). Il faut distinguer selon que le bien est fongible et consomptible ou non. En matière d’actifs numériques, on distingue les jetons fongibles, interchangeables et  les jetons non fongibles (“non fungible tokens” ou “NFT”). Lorsque les crypto-actifs sont fongibles, ils deviennent la propriété de la société qui peut en disposer librement, à charge pour elle de restituer à l’apporteur l’équivalent en espèce et en quantité. Cependant, si la valeur des crypto-actifs apportés a chuté, la société n’est pas tenue de restituer la même valeur, ce sera l’apporteur seul qui en supportera les conséquences. Lorsque l’actif apporté est non fongible et non consomptible, l’apporteur a vocation à récupérer exactement ce qu’il a apporté. Ainsi, si la société ne possède plus les NFT apportés, ils ne pourront pas être restitués à l’apporteur (il pourra éventuellement agir en responsabilité contre la société). 

Comme l’apport en numéraire, l’apport en nature concourt à la formation du capital social, c’est pourquoi sa valeur doit être évaluée. L’évaluation est importante, car une sous-évaluation ou une sur-évaluation peut de façon illégitime augmenter ou diminuer le capital social, lequel est le gage commun des créanciers. De plus, une erreur dans l’évaluation peut fausser la répartition des droits entre les associés. Dans les sociétés de personnes, la valeur des apports en nature est déterminée à l’unanimité des associés dans les statuts. Il n’est pas nécessaire de faire appel à un commissaire aux apports car les associés sont indéfiniment responsables des pertes sociales. L’apport doit répondre à certaines conditions, le bien apporté doit être dans le commerce et doit être cessible. C’est le cas des crypto-actifs.

Dans les sociétés par actions et les sociétés à responsabilité limitée en revanche, les apports en nature font en principe l’objet d’une évaluation par un commissaire aux apports en vertu des articles L.223-9 et L.225-8 du code de commerce. Ce commissaire aux apports est désigné à l’unanimité des associés ou des fondateurs ou, le cas échéant, par le président du tribunal de commerce. Le commissaire aux apports établit une convention d’apport en nature dans laquelle il justifie la méthode d’évaluation retenue et le cas échéant apporte des garanties. Dans le cas des apports en crypto-actifs, il est notamment recommandé d’évaluer en amont les risques éventuels ainsi que de prendre en compte la valeur sur le marché, la rentabilité et la liquidité pour l’évaluation de ces biens. 

Par dérogation, l’évaluation par un commissaire aux apports n’est pas obligatoire si les associés le décident à l’unanimité et à condition que les apports aient une valeur inférieure à 30 000 € ou n’excèdent pas la moitié du capital social. Dans cette hypothèse, les associés sont solidairement responsables pendant cinq ans de la valeur de l’apport à l’égard des tiers. De ce fait, il est dangereux de ne pas recourir au commissaire aux apports, surtout dans le cadre des crypto-actifs, pour lesquels l’évaluation est loin d’être aisée en raison de la nature spéculative de ces actifs. 

L’apport de crypto-actifs au capital d’une société est possible sous réserve d’évaluation. Cependant, l’instabilité de la valeur de ces actifs rend périlleuse la mission du commissaire aux apports (comme évoqué précédemment, le cours du Bitcoin a été divisé par quatre entre octobre 2021 et fin 2022). La valeur de la cryptomonnaie est spéculative, au point qu’il apparaît peu opportun pour une société dont le financement se traduit par des entrées au capital de se financer au moyen d’un tel apport, même si le droit français ne l’empêche pas. 

Par exception, l’évaluation d’un apport en nature n’est pas nécessaire si les biens ont déjà fait l’objet d’une évaluation par un commissaire aux comptes dans les 6 mois sauf si “des circonstances nouvelles ont modifiées sensiblement la juste valeur de l’élément d’actif à la date de la réalisation effective de l’apport” ce qui sera a priori toujours le cas s’agissant des crypto-actifs. 

En revanche, pour certaines start-up qui cherchent un financement, l’émission de jetons peut être une solution. Par une offre au public de jetons (“initial coin offering” ou “ICO”), une société émet des jetons en contrepartie, le plus souvent, de crypto-monnaies. Ces jetons offrent droit à un service (“utility token”) ou à une part du capital (“security” ou “investment token”). Le security token est convertible en euros à une valeur définie. 

II – L’imposition de l’apport en crypto-actifs 

En vertu de l’article 810-I du code général des impôts (CGI), “les apports en nature sont enregistrés gratuitement”. Cela signifie que l’apport n’est pas soumis aux droits d’enregistrement. Les seules exceptions concernent l’apport d’immeubles, de fonds de commerce, de clientèle ou de droit au bail (Art. 809-I-3° et 810-III CGI). En revanche, la plus-value entre la valeur d’acquisition des crypto-actifs et leur valeur au jour de l’apport est imposée. En effet, fiscalement, l’apport en nature est assimilé à une cession dégageant une plus-value imposable. L’imposition de la plus-value est différente selon  si l’apporteur est un particulier (a) ou un professionnel (b). Pour ne pas compliquer les développements qui vont suivre, il ne sera abordé que la fiscalité des apports en nature purs et simples (cet apport est réalisé en contrepartie de droits sociaux, contrairement à l’apport à titre onéreux ou l’apport mixte qui donnent lieu à une contrepartie en espèce ou en nature).

a) L’apport réalisé par un non professionnel 

En principe, les plus-values réalisées par un non professionnel lors de l’apport de biens autres que des immeubles ou des droits sociaux sont soumises à l’impôt sur le revenu (IR) au taux de 19%, avec un abattement de 5% par années de détention (Art. 200 B CGI). Il faut, à chaque imposition, ajouter les prélèvements sociaux, à un taux de 17,2%, ce qui aboutit à une imposition de la plus-value au taux de 36,2%. 

Par exception, depuis le 1er janvier 2023, les plus-values réalisées lors de la cession d’actifs numériques sont soumises au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 12,8% au titre de l’IR, soit une imposition globale au taux de 30% avec les prélèvements sociaux (Art. 200 C, al. 1er CGI). Sur option expresse et irrévocable, le contribuable peut opter pour l’imposition de la plus-value au barème progressif de l’IR (Art. 200 C, al. 2 CGI) permettant de déduire la fraction de la CSG déductible (6.8%).

En outre, une exonération est prévue si les gains de cession (la valeur de l’apport) sont inférieurs à 305 € (Art. 150 VH bis CGI). 

Si les crypto-actifs apportés ont été acquis par la contribution de l’apporteur à l’activité de minage de crypto-monnaies, alors les gains de cession (la valeur de l’apport) sont imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BOI-RPPM-PVBMC-30-10, n°70).

b) L’apport réalisé par un professionnel

Lorsque l’apport de crypto-actifs est réalisé par un professionnel (par exemple par un professionnel du trading), il est fait application du régime de droit commun des plus-values professionnelles.

Si l’apporteur est un exploitant individuel ou une société soumise à l’IR : 

  • Depuis le 1er janvier 2023, la plus-value est soumise au barème progressif de l’IR dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) si les crypto-actifs étaient détenus depuis moins de deux ans (plus-value à court terme). Avant le 1er janvier 2023, la plus-value était soumise au barème progressif de l’IR dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) si les crypto-actifs étaient détenus depuis moins de deux ans  ; 
  • La plus-value est soumise au PFU de 30% si les crypto-actifs étaient détenus depuis plus de deux ans (plus-value à long terme). 

Si l’apporteur est une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), alors la plus-value figure dans le résultat imposable de la société et est soumise à l’IS au taux normal (25% en 2024). 

Kevin CHABÉ et Baudouin RENAUD –  Master 1 Droit des Affaires et Fiscalité

Pour aller plus loin : 

Sur la nature juridique du Bitcoin : A. Aranda Vasquez,  Le Conseil d’État précise la nature juridique et les modalités d’imposition du bitcoin, actu-juridique.fr, 31/05/2018. 

Sur les aspects juridiques et fiscaux des apports en crypto-actifs : T. Allain, L’apport en nature de crypto-actifs, Revue des sociétés, Dalloz, nov. 2023, p. 647

Sur le droit des sociétés en général : P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, Ed. LGDJ, Coll. Précis Domat

Sur la faillite de FTX : A. Leparmentier, FTX, la faillite qui ébranle les cryptomonnaies, Le Monde, 12 nov. 2022  

Sur l’entreprise DigiCash : DigiCash – bitcoin.fr

Sur l’histoire du Bitcoin et la grande fluctuation des cours : Banque de France, EDUCOFI, Le bitcoin, L’éco en brefjuil. 2023  

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