« La délicate séparation entre plagiat et inspiration » 

N’importe quel lecteur, amateur d’art ou de musique se figure parfaitement le gouffre ô combien abyssal séparant le plagiat – avilissante désignation de la copie servile – et l’inspiration – appréhendée comme un moteur de création, révélateur d’une culture personnelle et d’un plus ou moins riche bagage intellectuel. Mais si l’on accepte de se départir de ce postulat manichéen, et que l’on se penche un instant sur les aspérités du plagiat et de l’inspiration, force est de constater que la jonction entre l’un et l’autre existe bel et bien…

Cette question, loin d’être infondée, a donné lieu à quelques extravagances au sein des tribunaux. Elle a notamment conduit le compositeur-interprète Ed Sheeran, accusé d’avoir plagié un titre de Marvin Gaye pour son tube « Thinking Out Loud », à sortir sa guitare en plein procès pour prouver les différences d’accords et de manières entre les deux morceaux. Acte qui a porté ses fruits, puisqu’en 2023, Ed Sheeran a gagné son procès.

Ainsi, « délicat » se révèle être un terme adéquat : dans certains cas, la distinction est délicate à établir en ce qu’elle est épineuse, complexe et même fragile ; mais en plus, cette distinction doit nécessairement être faite car les conséquences peuvent être aussi embarrassantes que périlleuses. Autrement dit, non seulement la séparation entre plagiat et distinction est difficile à déterminer mais en plus, les implications sociétales, juridiques et économiques sont réelles. 

DE LA DISTINCTION ÉVIDENTE ENTRE PLAGIAT ET INSPIRATION

Mais commençons par l’évidence : ce qui sépare le plagiat de l’inspiration. Ne serait-ce que dans l’étymologie, la lutte du bien contre le mal se fait saillante : plagiat vient du grec « plagios » qui signifie « rusé », « fourbe », « oblique » ; tandis que l’inspiration vient du latin « inspiratio », entendu au sens de « souffle », littéral et figuré. Le plagiat trouve synonyme dans « copie » ou « calque », et se matérialise dans le fait de s’attribuer la paternité d’une œuvre en tout ou partie en la copiant de façon plus ou moins servile et en omettant intentionnellement le nom de l’auteur originel. Quant à l’inspiration, elle résulte d’idées et d’éléments qui innervent, voire supportent une création. 

Pourtant l’évidence couvre des réalités plus complexes : parfois une œuvre se pare de la terminologie de la « parodie » ou du « pastiche » et savoir si elle relève du plagiat ou de l’inspiration s’avère plus délicat qu’il n’y paraît.

LE CROISEMENT ÉPINEUX DU PLAGIAT ET DE L’INSPIRATION

DEUX CAS PARTICULIEREMENT DÉLICATS

  • La parodie

La parodie reprend une œuvre pour la transposer de manière à grossir certains de ses traits dans un objectif humoristique et critique. L’inspiration ne fait aucun doute puisque la parodie résulte d’une œuvre préexistante. Un auteur parodié qui manquerait d’humour peut-il l’interdire au motif d’un plagiat ? L’atteinte à la liberté de création serait bien trop grave. Mais pour s’assurer que l’oeuvre controversée est belle et bien une parodie, et non un argument opportuniste pour permettre une reproduction, il faut veiller à ce que :

  • celui qui a réécrit a suffisamment modifié l’oeuvre qu’il parodie en faisant preuve d’un effort intellectuel qui a abouti à un résultat original par rapport à l’oeuvre initiale ;
  • l’élément satirique est tout à fait perceptible de manière à ne laisser aucun doute quant au caractère parodique de l’oeuvre ;
  • la parodie n’est pas de nature à entraîner la moindre confusion avec l’œuvre parodiée. 

Si ces conditions sont respectées, l’inspiration est démontrée et fait obstacle au grief du plagiat. 

  • Le pastiche 

Avec le pastiche, le risque de confusion se fait plus redoutable. Le pastiche est l’imitation d’un style ou d’une tendance. Il s’agit ici d’un hommage à un auteur qu’on admire, à ce titre, le pasticheur se doit de signaler cet auteur : « à la manière de ». Et comme il s’agit d’un hommage, nul doute que l’idée est bien de mettre en valeur la tradition dans laquelle le pasticheur s’inscrit

Quand le pasticheur prend grand soin d’investir le style de son admiré, le plagiaire tente de gommer la patte de son modèle afin d’occulter les indices qui permettraient l’identification de l’auteur d’origine. C’est en cela que le pastiche se distingue du plagiat : le pasticheur joue avec son lecteur, le plagiaire lui, triche.

Une fois de plus, si le pastiche est bien établi, il révèle effectivement une inspiration et non un plagiat. 

LES CAS ASSIMILABLES

  • Le faux

Le faux est assimilable au plagiat en ce qu’il est la copie (presque?) parfaite d’une œuvre originale. Le but est de s’en attribuer les résultats pécuniaires. Mais le faux se distingue du plagiat dans la mesure où le faussaire efface sa manière avec minutie et fait disparaître sa paternité afin de profiter pleinement de la notoriété de l’artiste copié ; tandis que le plagiaire prend soin d’apposer sa signature, de façon à se voir reconnaître la paternité de l’ouvrage exécuté en copie. Cependant, si la supercherie est révélée, le faux jamais ne prête confusion avec l’inspiration : soit l’œuvre est tout à fait originale, soit elle est une copie servile.

  • De la suite d’une oeuvre originale 

Ici, on envisage un auteur qui souhaite continuer à faire vivre une aventure relatée dans une œuvre originale en imaginant une suite. C’est l’hypothèse de la fan fiction. Or, l’œuvre originale est explicite et la copie servile n’est pas caractérisée puisque par définition, ce n’est pas la même intrigue qui est racontée mais une suite. Cependant, il se peut qu’un auteur se sente dépossédé de son œuvre. Avant de se lancer dans ce genre d’entreprise, il convient donc de demander l’autorisation de l’auteur ou des ayants droits de continuer l’œuvre en question si cette dernière n’est pas tombée dans le domaine public. Et quand bien même l’œuvre est de l’ordre du domaine public, les ayants droits peuvent faire valoir leur droit moral, imprescriptible, et arguer le droit au respect de l’œuvre s’ils considèrent que la suite dénature de façon inacceptable l’œuvre originale.

  • La citation n’empêche pas le plagiat

Citer et référencer à la fois en note de bas de page ou tout du moins en bibliographie, c’est le meilleur conseil qu’un étudiant inquiété puisse recevoir pour se prémunir d’une accusation de plagiat. Mais attention, là encore, en plus de la mention de l’auteur et du propos entre guillemets, une condition doit être respectée : la citation se doit d’être courte de manière à ne pas priver l’oeuvre originale de son intérêt à être lue car à défaut de plagiat en tant que tel, on pourra toujours qualifier la reproduction, laquelle est sanctionnée sur le fondement de la contrefaçon !

TRADUCTIONS ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES DU PLAGIAT : CONTREFAÇON ET CONCURRENCE DÉLOYALE

S’approprier une œuvre, indûment, c’est s’approprier les résultats commerciaux de cette œuvre. C’est aussi s’approprier une part de la personnalité d’un autre. Le plagiat n’est pas reconnu en tant que tel en droit, mais il peut être sanctionné sur le fondement de la contrefaçon et de la concurrence déloyale. 

Le délit de contrefaçon sanctionne l’atteinte aux droits d’auteur, c’est-à-dire la reproduction, l’imitation d’une œuvre originale sans l’autorisation du titulaire du droit en laissant penser que la copie est authentique. Non seulement des dommages-intérêts particulièrement élevés pour réparer le préjudice commercial de l’auteur originel peuvent être exigés mais des sanctions pénales sont à prendre en considération : jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. 

La concurrence déloyale permet de recouvrir un cas de « plagiat déguisé ». C’est celui qui veut bien reconnaître la paternité d’une œuvre mais use de stratagèmes pour entraîner la confusion sur le marché et favoriser la vente de ses propres œuvres en profitant du succès de l’autre. Ce serait par exemple le fait de reprendre le titre d’une œuvre d’un auteur plus connu dans le but de tromper l’acheteur qui souhaite se procurer l’œuvre en question. Le contenu de l’ouvrage peut être tout à fait différent mais le comportement dolosif et « l’enrichissement sans cause » seront sanctionnés.

Attention néanmoins, n’est punie que la reprise formelle d’une œuvre car les « idées sont de libre parcours » pour reprendre les termes d’Henri Desbois. C’est pourquoi Christo et Jeanne-Claude ont pu protéger leur Pont-Neuf emballé mais certainement pas le fait de procéder à l’emballage de monuments ou objets en tout genre.

TRADUCTIONS ET CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE L’INSPIRATION : « RENCONTRE FORTUITE » ET « RÉMINISCENCES »

L’inspiration se traduit en droit par la théorie de la « rencontre fortuite » et des « réminiscences ». Cela résulte d’un constat : « un livre ne vient jamais seul » ; les lectures, écoutes et visites, nourrissent le lecteur et le spectateur et concourent à alimenter leur propre perception des choses. Juridiquement, c’est notamment un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 16 mai 2006 dit « Gipsy King », et un autre du 2 octobre 2013 qui consacrent les notions de « rencontre fortuite » et de « réminiscences ».

La réminiscence prend la forme d’un triptyque : c’est l’hypothèse d’un auteur A et d’un auteur B qui proposent des oeuvres avec des similitudes mais dont l’inspiration vient d’un auteur C lu ou connu des auteurs A et B qui a infusé leur esprit… C’est ainsi que Julien Gracq, dans Le Rivage des Syrtes, débute son histoire de la même manière que Le Désert des Tartares de Dino Buzzati. Il se trouve que chacun, dans son enfance, a lu La Fille du capitaine de Pouchkine. La réminiscence est définie comme un souvenir, non conscientisé comme tel et imprécis, dont le retour à l’esprit ne permet pas l’identification. Bonne chance pour prouver un tel jeu de l’esprit ! Et en même temps, quel vecteur est plus authentique que celui d’un souvenir enfoui pour resurgir au cours d’une démarche artistique ?

La rencontre fortuite est une hypothèse subtilement différente : il s’agit d’une ressemblance involontaire entre deux œuvres mais qui se justifie du fait d’une culture commune ou des effets de mode. C’est l’hypothèse d’artistes qui se revendiqueraient du même mouvement artistique. 

Dans les deux cas, les similitudes entre les auteurs ne sont ni plagiats, ni contrefaçons et prennent dès lors le visage de l’inspiration !

L’enjeu juridique de la délicate séparation entre plagiat et inspiration est celui de trouver le juste équilibre entre la liberté de création et la protection de la propriété intellectuelle. Cependant, les textes légaux font montre d’une certaine rectitude. Ils obligent le juge à trouver des solutions d’équité mais qui frôlent l’insécurité juridique : on peut trouver injuste qu’une personne qui crée son oeuvre indépendamment d’une autre soit accusée de contrefaçon malgré des similitudes, mais tout aussi injuste que la « rencontre fortuite » ou qu’une « réminiscence », avoisinant le hasard, serve d’argument à un véritable contrefacteur…

Justine Bernardini Master 2 Droit du Patrimoine et des Activités culturelles

Bibliographie

  • Ouvrages

Chaudenson, Françoise. À qui appartient l’oeuvre d’art ?. Armand Colin, 2007.

Maurel-Indart, Hélène. Du plagiat. Paris : Gallimard, 2011.

Pollaud-Dulian, Frédéric. Le droit d’auteur : propriété intellectuelle. Paris : Economica, 2014.

  • Articles 

Lancrenon, Thibault. « Rencontres fortuites et réminiscences en droit d’’auteur : le jeu de l’équité et du hasard ». Petites affiches, n°41, 26 février 2014. 

Latil, Arnaud. « Le plagiat au défi du droit ». Revue droit et littérature, n°1, 2017.

Le Monde. AFP. « Ed Sheeran n’a pas plagié Marvin Gaye, juge un tribunal de New York ». Le Monde, 4 mai 2023.

Près, Xavier. « Deux moyens de défense prétoriens à l’action en contrefaçon de droits d’auteur : la rencontre fortuite et les réminiscences issues d’une source d’inspiration commune ». RLDI, n°101, février 2014.

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Pour aller plus loin… 

À propos de l’affaire dite « Christo et Jeanne-Claude » : https://www.efl.fr/actualite/arc-triomphe-wrapped_fde06764b-2b50-490c-bcb2-5f443a8dd6a2

À propos d’une éventuelle possibilité de protection d’accords musicaux sous Licence Creative Commons grâce à l’intelligence artificielle : Deux musiciens utilisent un algorithme pour générer toutes les combinaisons possibles de mélodies et les mettent sous licence libre afin de mettre fin à des poursuites en matière de droits d’auteur. Lien : https://www.developpez.com/actu/295358/Deux-musiciens-utilisent-un-algorithme-pour-generer-toutes-les-combinaisons-possibles-de-melodies-et-les-mettent-sous-licence-CC0-afin-de-mettre-fin-a-des-poursuites-en-matiere-de-droits-d-auteur/.

  • Légifrance :

Pour les droits d’auteur. Cf. article L. 111-1 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. ». 

Pour les droits moraux de l’auteur. Cf. article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Ce droit est attaché à sa personne.

Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.

L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ».

Pour la contrefaçon. Cf. article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle : « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit.

La contrefaçon en France d’ouvrages publiés en France ou à l’étranger est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

Seront punis des mêmes peines le débit, l’exportation, l’importation, le transbordement ou la détention aux fins précitées des ouvrages contrefaisants.

Lorsque les délits prévus par le présent article ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 750 000 euros d’amende. » 

  • Arrêts 

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, du 16 mai 2006, n°05-11.780. Gipsy King.

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, du 2 octobre 2013, n°12-25.941.

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