La révélation des difficultés d’une entreprise par les tiers

Du 19ème siècle à aujourd’hui, nous avons pu observer une évolution de l’esprit du droit des procédures collectives. Avant, on considérait que le commerçant qui rencontrait des difficultés avait adopté des comportements répréhensibles et devait donc être sanctionné. Puis, petit à petit, nous allons dissocier le chef d’entreprise de l’entreprise elle-même. À partir de 1985, l’objectif va être d’intervenir le plus tôt possible afin de sauver l’entreprise qui rencontre des difficultés. En 2005, le droit des entreprises en difficulté préventif va voir le jour. 

Si un chef d’entreprise demande assez rapidement de l’aide lorsqu’il s’aperçoit qu’il rencontre des difficultés de gestion, il y a de grandes chances que sa situation s’améliore. Cependant, en pratique, beaucoup n’osent pas demander le bénéfice de procédures préventives ou n’ont pas suffisamment conscience de leurs difficultés. 

Depuis 1994, la place des tiers a été renforcée dans la prévention des difficultés des entreprises. Cependant, pour l’ouverture d’une procédure collective curative, les tiers n’interviennent pas. 

L’intervention des tiers est utile aux personnes ayant la capacité ou le pouvoir de prendre des mesures qui s’avèrent nécessaires. 

  • L’accès à l’information 

Les tiers partenaires et cocontractants de l’entreprise (clients, fournisseurs…) peuvent indirectement favoriser l’adoption de mesures de redressement par leur débiteur. Ils peuvent s’informer sur la situation de l’entreprise grâce aux obligations légales de publication : dépôt des comptes, créances fiscales et douanières, créances sociales, sûretés, informations présentes sur les fichiers tenus par la Banque de France… 

  • L’alerte du président du Tribunal 

En vertu de l’article L.611-2 I du Code de commerce, si le président a connaissance de difficultés de l’entreprise de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il a la possibilité de convoquer le chef d’entreprise à un entretien confidentiel afin d’envisager des mesures permettant de redresser la situation de l’entreprise. 

Le chef d’entreprise n’a pas l’obligation de se présenter à l’entretien, s’il ne se présente pas, le président devra dresser un procès-verbal de carence à destination du ministère public. S’il se présente, le président ne pourra pas se comporter en conseil mais devra engager une discussion pour étudier la situation de l’entreprise et réfléchir à des solutions personnalisées. 

Devant le Tribunal de commerce, le président peut avoir connaissance de ces difficultés grâce au dépôt des comptes obligatoire pour les commerçants, même si en pratique beaucoup ne le font pas et des exceptions existent. Des cellules de veille sont mises en place afin d’étudier les indicateurs de difficultés des entreprises et, le cas échéant, alerter le président. 

En plus des comptes, le président dispose d’informations déjà enregistrées au greffe du Tribunal de commerce (assignations en paiement et requêtes en injonctions de payer, capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social, demande de report de la date d’assemblée générale qui approuve les comptes…)

S’agissant des agriculteurs et professionnels libéraux, le président du Tribunal judiciaire peut se référer à des indices tels que les registres, inscriptions de privilèges, insuffisance des fonds propres… 

Le président du Tribunal peut obtenir des renseignements de nature à lui apporter des informations sur la situation économique et financière de l’entreprise auprès du commissaire aux comptes, des administrations, des membres du personnel, des organismes sociaux ou encore des services bancaires. Il devra alors transmettre ces informations au ministère public qui pourra saisir le Tribunal afin d’ouvrir une procédure curative ou suggérer au chef d’entreprise de solliciter l’ouverture d’une procédure préventive. 

Il a également le pouvoir de mettre en place une injonction de déposer les comptes (art L.611-2 II C. commerce) mais il le fait rarement en pratique. Jusqu’en 2008 il disposait du pouvoir de désigner un expert pour établir un rapport de la situation économique et financière du débiteur en cas d’absence de dépôt des comptes.

Par exception, si le débiteur concerné exerce la profession d’avocat, d’administrateur ou mandataire judiciaire ou d’officier public ministériel, le président devra informer l’ordre professionnel ou l’autorité compétente dont il relève, des difficultés qu’il a détectées. 

  • L’alerte du commissaire aux comptes (CAC)

Un CAC est obligatoirement désigné dans les entreprises dépassant certains seuils. Depuis 2019, ces seuils sont harmonisés pour toutes les entreprises : 

  • 4 millions d’euros de bilan, 
  • 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 
  • 50 salariés. 

Le champ d’application a été réduit, il y a donc moins d’entreprises concernées qu’auparavant, ce qui du point de vue de la prévention est un point négatif.

S’ils ne sont pas atteints, la désignation peut être volontaire. 

Le CAC a, dans l’exercice de ses missions, le pouvoir et le devoir de déclencher une procédure d’alerte interne, s’il constate des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation (art L.234-1 C. commerce). La survie de l’entreprise doit être en jeu. 

Dans les sociétés anonymes, il faut, dans un premier temps, informer le président du conseil d’administration ou du directoire. En cas d’absence de réponse ou de réponse insuffisante, le CAC invite le président à réunir le conseil d’administration ou du directoire afin de délibérer sur les faits invoqués. Le Tribunal va recevoir une copie des délibérations. 

Le CAC pourra convoquer ou demander au dirigeant de convoquer une assemblée générale des associés dans les cas suivants : 

  • le conseil d’administration ou le conseil de surveillance n’a pas été réuni, 
  • le CAC n’a pas été convoqué à ces délibérations, 
  • la continuité de l’exploitation reste compromise malgré les réponses apportées. 

Il devra établir un rapport spécial destiné aux associés et communiqué au comité social et économique ou aux délégués du personnel. L’assemblée devra se tenir dans un délai d’un mois. 

Dans les autres sociétés commerciales, le CAC doit dans un premier temps demander des explications au dirigeant qui doit répondre sous 15 jours (art L.234-2 C. commerce). En cas d’insuffisance ou de défaut de réponse, la CAC rédige un rapport spécial et invite le dirigeant à réunir une assemblée générale. Il devra informer le président du Tribunal s’il estime que les décisions prises ne sont pas suffisantes. 

Le CAC informe le président du Tribunal de toutes ses démarches et des résultats et peut lui transmettre toutes les informations complémentaires sur la situation économique et financière de l’entreprise. En vertu de l’article L.822-14 du Code de commerce, il ne peut pas invoquer le secret professionnel car c’est un devoir qui s’impose à lui, mais, en cas de manquement, sa responsabilité civile peut être engagée. En revanche, sa responsabilité ne peut être engagée au motif qu’il divulgue des éléments de gestion de l’entreprise. Les dirigeants quant à eux, peuvent être condamnés pour délit d’entrave à la mission du CAC s’ils ne réagissent pas à l’alerte. Leur responsabilité peut aussi être engagée sur le fondement du droit commun ou sur le fondement spécial de la responsabilité pour insuffisance d’actifs. 

Il faut préciser que l’alerte ne peut être déclenchée si le dirigeant a déjà engagé une procédure de conciliation ou de sauvegarde (art L. 612-3 C. commerce). 

  • L’alerte des associés 

Il s’agit d’une simple faculté mais pas d’une obligation. L’alerte peut être déclenchée par les associés s’il existe des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. 

Art L.225-232 C. commerce ; dans les sociétés anonymes, un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social peuvent, deux fois par exercice, poser des questions écrites au président du conseil d’administration ou du directoire sur ces faits. 

Art L.223-36 C. commerce ; dans les sociétés à responsabilité limitée, tout associé non-gérant peut, deux fois par exercice, poser des questions écrites au gérant sur ces faits. 

La réponse du gérant, du président du directoire ou du conseil d’administration doit être donnée dans le mois qui suit et est communiquée au CAC. 

Dans les sociétés de personnes, les associés peuvent interroger le gérant par écrit sur la gestion sociale. Cependant la réponse ne sera pas transmise au CAC donc cette faculté n’est pas considérée comme un pouvoir d’alerte. 

  • L’alerte du Comité Social et Économique (CSE)

Le CSE est une instance représentative du personnel. Il doit être mis en place dans toutes les entreprises d’au moins 11 salariés (art L.2311-2 C. travail). 

Il s’agit là encore d’une simple possibilité et non d’un devoir. Si le CSE a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise, il peut demander à l’employeur de fournir des explications. Cette question sera inscrite au prochain ordre du jour du comité (art L.2312-63 C. travail). Les faits ne doivent pas nécessairement menacer la survie de l’entreprise et doivent concerner uniquement la situation économique. 

Le CSE établit un rapport transmis à l’employeur et au CAC s’il n’a pas obtenu de réponses suffisantes ou si le caractère préoccupant de la situation de l’entreprise demeure. 

  • L’alerte des groupements de prévention agréés 

Art L.611-1 C. commerce. 

Un groupement de prévention agréé est une personne morale de droit privé créée à l’initiative de sociétés ou de particuliers et soumis à agrément. Les personnes morales immatriculées au RCS ou au répertoire des métiers peuvent adhérer à ces groupements. Sont exclues en revanche les professions libérales. 

Ces groupements ont pour mission d’analyser, et ce, de manière confidentielle, les informations économiques, comptables et financières communiquées par l’entreprise. Si des indices de difficultés sont relevés, le chef d’entreprise sera informé et l’intervention d’un expert lui sera proposée. Le chef d’entreprise reste libre de sa décision et peut décider de ne pas donner suite. 

Stacy HERVÉ – Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

SOURCES : 

  • Cours de Madame la Professeure M. LAROCHE, 2023 
  • Cours de Madame la Professeure C. BRIERE, 2021 
  • La prévention et le traitement conventionnel des difficultés, J-B. HAUGUEL, 2023, LexisNexis
  • Droit des entreprises en difficulté, A. JACQUEMONT, N. BORGA, T. MASTRULLO, 2022

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