Les menus de substitution dans les cantines scolaires

En France, les services publics peuvent être définis comme « une activité destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général » (G. Cornu). Les cantines scolaires sont considérées comme des services publics en ce qu’elles répondent à un besoin d’intérêt général : tous les enfants devraient pouvoir accéder à ce service pour se restaurer (CE, 11 décembre 2020, Chalon-Sur-Saône). 

En tant que service public, les cantines scolaires sont soumises à trois principes généraux : l’égalité, la continuité et la mutabilité (les lois de Rolland). Étant d’intérêt général, il faut pouvoir assurer une égalité d’accès de tous à ce service. Il faut également que le service soit assuré de manière continue et qu’il évolue avec son temps.

Le principe d’égalité induit lui-même le principe de neutralité du service public, selon une décision du Conseil constitutionnel de 1986. Enfin, la neutralité comprend elle-même la notion de neutralité religieuse : la laïcité. Les liens entre égalité, neutralité et laïcité peuvent également être perçus au sein de l’article L100-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) qui dispose que “l’administration agit dans l’intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l’obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d’égalité et garantit à chacun un traitement impartial”. Cela signifie que le service public doit être assuré sans prise en considération des opinions religieuses des usagers.

Ces principes régissant les services publics doivent néanmoins être conciliés avec la réalité. Si les cantines sont soumises aux principes du service public, ces dernières doivent néanmoins faire face à des difficultés concrètes telles que le manque de moyens humains et financiers, le manque de place et de temps ou les différentes habitudes alimentaires des enfants selon leurs convictions religieuses ou philosophiques. 

D’un côté, le principe d’égalité du service public commande que ce dernier traite ses usagers de la même manière et donc que tous les enfants bénéficient du même repas. Dans ce cas, on parle d’égalité formelle : le service public doit être le même pour tous. C’est notamment la vision qu’ont M. Nicolas Sarkozy ou M. Julien Sanchez, maire de la commune de Beaucaire.

Le fait de ne proposer qu’un repas unique peut être perçu comme contrevenant à la liberté de pensée, de conscience et de religion, protégé par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi comme une atteinte au « droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques (…) », prévu par l’article 2 du Protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme.

De l’autre côté, il peut paraître inconcevable que certains enfants mangent moins en raison d’une cantine scolaire qui ne proposerait qu’un menu unique puisque chacun doit pouvoir bénéficier du même service, conformément au principe d’égalité.

Les cantines scolaires françaises peuvent-elles (ou doivent-elles) s’adapter à leurs usagers pour leur permettre de convenablement se restaurer ? Dans ce cas, on parle d’égalité réelle : on prend en compte les différences de situation appréciables entre les citoyens pour les mettre à égalité. Ou au contraire, les cantines scolaires doivent-elles rester strictement fidèles au principe d’égalité formelle, de neutralité et de laïcité du service public ? Les menus de substitution sont-ils obligatoires, tolérés ou interdits au sein des cantines scolaires ?

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur cette question dans une décision du 11 décembre 2020 nommé « Commune de Chalon-sur-Saône » et a confirmé sa position en la reprenant dans une décision du 11 octobre 2023.

Dans les faits, suite à une délibération de la commune de Chalon-sur-Saône, le conseil municipal a supprimé les menus de substitution proposés dans la cantine scolaire de la commune. La décision est motivée par le principe de laïcité qui, selon le conseil municipal, « interdit la prise en compte des considérations de prescriptions d’ordre religieux dans le fonctionnement d’un service public ».

Après avoir fait l’objet d’une demande d’abrogation, la Ligue de défense judiciaire des musulmans demande au Tribunal administratif de Dijon, puis à la Cour administrative d’appel de Toulouse d’annuler cet acte. L’association se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat qui effectue un rappel des principes régissant le service public. 

Toutefois, le Conseil d’Etat estime qu’il n’y a pas d’obligation de distribuer des repas différenciés aux usagers pour leur permettre de ne pas consommer d’aliments prescrits par leurs convictions religieuses. Il estime également que les usagers n’ont pas de droit à l’obtention d’un tel repas : nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour obtenir un repas de substitution.

Néanmoins, « lorsque les collectivités ayant fait le choix d’assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d’organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public » et ce « au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités ». Les communes doivent donc faire en sorte que tous les enfants bénéficient de ce service public dans la limite de leurs moyens humains et financiers et du bon fonctionnement du service.

En conséquence, les principes de laïcité et plus globalement de neutralité et d’égalité du service public n’interdisent pas « que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ». Le verbe « offrir » illustre la possibilité pour les collectivités de choisir d’instituer ou non un tel menu différencié. En revanche, le retrait d’un tel repas est conditionné, comme le rappelle le Conseil d’Etat.

Dans la décision du Conseil d’Etat du 11 octobre 2023, le maire de la commune de Beaucaire, Julien Sanchez, a tenté de supprimer le menu de substitution au porc. Le Conseil d’Etat rappelle que la suppression d’un tel repas est conditionnée à l’établissement de « la contrainte que ferait peser sur ses moyens humains et financiers le maintien des menus de substitution proposés pour motif religieux ».

En conséquence, dès lors qu’une collectivité est en charge du service public facultatif de la restauration scolaire, elle doit maintenir les menus de substitution sauf dans le cas où elle établit une « contrainte sur ses moyens humains et financiers » ou sur le « bon fonctionnement du service ».

Au-delà des menus de substitution, les restaurants scolaires, de la maternelle au lycée, qu’ils soient publics ou privés, sont obligés de proposer, au moins une fois par semaine, un menu végétarien en veillant à la qualité nutritionnelle de ces derniers. Cette obligation, introduite pour deux ans à titre expérimental le 1er novembre 2019, a été pérennisée en 2021.

Andréa Gourrier, Master 1 Droit public

Sources

CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, éd. PUF. 

Lien : https://www.instagram.com/reel/C0zMl91r6lU/?utm_source=ig_web_copy_link&igsh=MzRlODBiNWFlZA== 

Lien :  https://www.youtube.com/watch?v=kdn1RAP0QA

Lien : https://agriculture.gouv.fr/restauration-scolaire-tout-savoir-sur-le-menu-vegetarien-hebdomadaire 

Décisions 

Conseil constitutionnel, 18 septembre 1986, n°86-217 DC, Loi relative à la liberté de communication

Conseil d’Etat, sect, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire

Conseil d’État, 3ème et 8ème ch réunies, 11 décembre 2020, Commune de Chalon-Sur-Saône, n°426483

Conseil d’État, 3ème ch, 11 octobre 2023, n°472466

Conseil d’Etat, 11 octobre 2023, n°472466

1 réaction sur “ Les menus de substitution dans les cantines scolaires ”

  1. Boinet Réponse

    Cet article est bien rédigé, et est compréhensible de tous.
    C est un réel sujet de société.
    Félicitations

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