Les nouveaux dispositifs de lutte contre la fraude fiscale de la loi de finances pour 2024

La fraude fiscale renvoie à une irrégularité volontaire et intentionnelle. Elle est définie par l’article 1741 du Code Général des Impôts (CGI)  : « Quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt, soit qu’il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse (…) ».

En France, les montants recouvrés auprès des particuliers et des entreprises après contrôle fiscal s’élèvent à 14,6 milliards d’euros en 2022, d’après le rapport de la Cour des comptes de novembre 2023. Cependant, ce montant englobe la fraude mais aussi les erreurs commises de bonne foi. Cela prouve que le montant réel de la fraude fiscale ne peut pas être vraiment calculé, mais seulement estimé. 

Depuis la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale entrée en vigueur le 23 octobre 2018, la fraude fiscale, recouvre deux axes majeurs : 

  • D’une part l’accompagnement et la régularisation de la situation des contribuables de bonne foi,
  • D’autre part la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale à proprement parler, c’est-à-dire l’irrégularité volontaire et intentionnelle. 

Le nombre de saisines de l’autorité judiciaire concernant des fraudes à l’impôt est en essor constant : on dénombre 1 770 saisines en 2022 pour seulement 1 484 saisines en 2020. Cela s’explique par l’apparition du contrôle fiscal par analyse de données, dit data mining

Dans un cadre juridique de renforcement de la lutte s’inscrit la loi de finances pour 2024, n° 2023-1322 du 29 décembre 2023. Parmi les principales mesures fiscales introduites par le texte initial du projet de loi de finances et par les amendements adoptés au cours du processus législatif, on retrouve plusieurs articles visant à accentuer la lutte contre la fraude aux finances publiques.

Des moyens sans précédent seront ainsi développés durant les cinq prochaines années. À côté de la loi de finances pour 2024 (II), plusieurs autres mesures ont par ailleurs été mises en place, notamment avec le lancement du plan anti-fraude (I). Afin de différencier ce dernier de la loi de finances, il semble notable de préciser que le plan anti-fraude est mis en place par le pouvoir exécutif, soit par le gouvernement, tandis que la loi de finances est votée par l’Assemblée nationale, soit par le pouvoir législatif.

I.- Le lancement du plan anti-fraude du gouvernement et la détection améliorée de la fraude fiscale des particuliers

En juin 2023, le gouvernement a proposé un plan anti-fraude, qui concerne la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière. Certaines de ses propositions ont ainsi été consacrées dans la loi de finances pour 2024. 

Trente-cinq mesures avaient été proposées par le gouvernement lors de la présentation de ce plan anti-fraude, notamment, l’adaptation aux nouveaux outils numériques, une meilleure lutte contre la fraude à l’international, un agissement collectif afin de mieux contrer les fraudes… Plusieurs de ces mesures ont pour objectif de lutter en amont contre la fraude, par la détection d’irrégularités fiscales (par exemple, la création d’une base interministérielle des relevés d’identité bancaire (RIB) liés à la fraude).  

En complément de ce plan anti-fraude, la Cour des Comptes a rédigé un rapport en novembre 2023, concernant la fraude fiscale des particuliers. Ce rapport a présenté dans ses conclusions 6 recommandations sur : 

  • l’estimation de la fraude ;
  • la programmation des contrôles ;
  • une amélioration des outils de suivi ;
  • une mobilisation accrue du renseignement fiscal ;
  • la mise en place d’une démarche proactive de prévention et de dissuasion ;
  • une meilleure gestion des compétences professionnelles nécessaires à la lutte contre la fraude fiscale.

La Cour des Comptes évoque également dans ce rapport, l’enjeu de la création d’une stratégie de détection des irrégularités fiscales, impliquant tous les services de l’Administration fiscale ainsi qu’un partenariat avec toutes les autres administrations publiques.

De la même manière, T. Cazenave, le ministre délégué chargé des Comptes Publics, a lancé puis présidé la première session du Conseil d’Évaluation des Fraudes (CEF) le 10 octobre 2023. Cette session a réuni une trentaine de spécialistes à Bercy,  afin d’essayer d’évaluer le montant de la fraude fiscale, sociale et douanière, et dans le but de trouver des solutions de lutte contre la fraude fiscale. 

II.- Les mesures de la loi de finances pour 2024

La première vague de mesures concerne le renforcement des moyens de l’Administration fiscale en matière de détection et de sanction de la fraude fiscale, notamment l’autorisation pour l’AF de réaliser le contrôle de vérification de comptabilité en dehors des locaux de l’entreprise

En principe, en l’absence de demande contraire du contribuable vérifié (CE, 23 juin 2016, n° 388969), la vérification de comptabilité a lieu dans les locaux de celui-ci (CE, 1er juillet 2010, n° 304673).

L’obligation d’effectuer le contrôle dans les locaux de l’entreprise n’étant pas toujours adaptée, l’Administration est désormais autorisée, par l’article 117 de la loi de finances pour 2024, à prendre l’initiative d’une délocalisation de la vérification de comptabilité. Dès lors, le lieu sera déterminé par un accord avec le contribuable ou, à défaut d’accord, le contrôle se déroulera dans les locaux de l’Administration.

Ensuite, le droit de visite et de saisie est élargi. En effet, les visites pourront être effectuées en tout lieu et les saisines pourront concerner n’importe quel document afférent à la fraude, même si ledit document est stocké sur un serveur informatique situé dans un lieu distinct (v. QPC du 11 mars 2022 n°2021-980). 

Par ailleurs, l’article 117 de la loi de finances étend la garantie de la préservation de l’anonymat des agents des finances publiques en cas de mise en danger de leur vie, ou de leur intégrité physique. Cette mesure était déjà énoncée par l’article L.286 B du Livre des procédures fiscales, qui prévoyait une substitution du nom et prénom de l’agent par un numéro d’immatriculation administrative. Cependant, ce substitut ne pouvait être délivré que par le directeur du service de l’agent. Depuis la loi de finances, il est possible pour le directeur de service de déléguer cette autorisation à un fonctionnaire de catégorie A détenant au moins le grade d’administrateur des finances publiques adjoint ou un grade équivalent. 

Par ailleurs, le droit d’enquête de l’Administration fiscale est désormais renforcé à la fois sur internet et sur les réseaux sociaux, par l’article 112 de la loi de finances. Ainsi, certains agents pourront accéder à des informations publiquement accessibles sur les réseaux sociaux, mais aussi participer à des échanges avec des particuliers, potentiellement auteurs de fraude, seulement lorsque ces agents sont “affectés dans un service à compétence nationale désigné par décret”. Pour protéger ces agents, cette enquête se déroule sous un pseudonyme et leur responsabilité pénale ne pourra pas être retenue. 

La loi de finances crée également l’Office national anti-fraude (ONAF), qui remplace le Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) et qui institue une cellule de veille interministérielle anti-fraude aux aides publiques, ce qui permet le renforcement des moyens d’action en matière de lutte contre la fraude. 

L’article 113 de la loi de finances crée un délit autonome d’incitation à la fraude fiscale, nouvellement consacré à l’article 1744 du CGI, qui punit la mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale (ex. l’ouverture de comptes auprès d’organismes établis à l’étranger). Ce délit permet à présent la poursuite des intermédiaires proposant des montages d’évasion fiscale. Il est puni d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 250 000 euros. 

L’article 114 de la loi de finances renforce également la réponse pénale apportée à la fraude fiscale, en prévoyant notamment une peine complémentaire de privation des droits à réductions et crédits d’impôt sur le revenu ainsi que sur la fortune immobilière, pour une durée maximale de 3 ans. Sont ainsi concernés, par exemple, les personnes ayant utilisé une fausse identité ou de faux documents dans le cadre d’une fraude. 

L’article 116 de la loi de finances intensifie le contrôle des prix de transfert des entreprises multinationales. En effet, il abaisse le seuil à partir duquel une documentation complète de la politique de prix de transfert doit être présentée en début de contrôle fiscal par une entreprise visée par une vérification de comptabilité (passant de 400 000 000 d’euros à 150 000 000 d’euros) et augmente l’amende minimale encourue (passant de 10 000 à 50 000). De la même manière, une réponse insuffisante à une mise en demeure par l’Administration fiscale entraîne un durcissement des sanctions (montant de l’amende encourue à l’article 1735 ter du CGI). 

Ce même article modifie également l’article 57 du CGI à propos des prix de transfert. Un nouvel alinéa a ainsi été ajouté, énonçant que les entreprises qui ne respectent pas dans la pratique, la politique de prix de transfert qu’elles ont fourni à l’administration, sont contraintes de se justifier et de démontrer le respect des règles en matière de prix de transfert. Ainsi, le seul écart constaté est réputé constitué un transfert indirect de bénéfices, ce qui renverse la charge de la preuve en défaveur de la personne morale. 

L’article 116 précité prévoit également le contrôle renforcé des actifs incorporels transférés hors de France, qui se révèle être une opération difficile à évaluer. L’article légalise alors le principe selon lequel la valeur d’un actif ou d’un droit incorporel transféré peut, sauf exceptions, être rectifiée sur la base de résultats postérieurs à l’exercice au cours duquel a eu lieu la transaction. 

Le droit de reprise de l’Administration fiscale est également allongé dans cette situation et pourra s’exercer jusqu’au 31 décembre de la sixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due. Cette mesure est prévue dans le nouvel article 238 bis-0 I ter du CGI, qui  s’accompagne d’une nouvelle exception concernant la garantie de non renouvellement d’une vérification de comptabilité. 

La loi de finances consacre aussi l’extension du dispositif anti-abus de l’article 155 A du CGI. Auparavant, ce dispositif s’appliquait aux seules rémunérations perçues en contrepartie de services, et excluait les rémunérations de nature différente, comme les redevances (CE, 5 novembre 2021, n°433367). Ce dispositif est alors étendu de manière générale aux « sommes perçues ». 

La plupart de ces dispositifs sont entrés en vigueur à compter du 1er janvier 2024

La loi de finances pour 2024 transpose en droit interne le Pilier 2 de l’OCDE, qui instaure le taux minimum mondial d’imposition à 15%, s’appliquant aux groupes dont le chiffre d’affaires annuel consolidé est supérieur à 750 millions d’euros, pendant deux des quatre derniers exercices consécutifs précédents. Ce dispositif s’appliquera à compter de janvier 2025, et les modalités d’imposition seront précisées au cours de l’année 2024. 

Enfin, l’article 120 de la loi de finances tire les conséquences d’une décision du Conseil d’Etat à propos de la directive DAC 6. Cette directive prévoit l’échange automatique d’informations, dans le domaine fiscal, en rapport avec les dispositifs transfrontières. 

La transposition de la directive prévoit en droit interne français, pour les intermédiaires soumis au secret professionnel, de notifier à un autre intermédiaire, l’existence d’un dispositif transfrontière entrant dans le champ de l’obligation déclarative (article 1649 AE CGI). Le Conseil d’État a toutefois déchargé l’avocat intermédiaire de cette obligation (CE, 14 avril 2023, n° 448486). La loi de finances réduit la notification aux seuls intermédiaires qui sont les clients de l’intermédiaire soumis au secret professionnel.

Manon DAUBY & Elisa GIORDANO – Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

Sources : 

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