L’IVG aux portes de son inscription dans la Constitution

En France, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée depuis la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975, dite loi « Veil ». Aux termes de ladite loi, une telle interruption pouvait être pratiquée, en dehors de tout motif médical, jusqu’à la fin de la 10ème semaine de grossesse par un médecin acceptant de la réaliser, dans un établissement hospitalier. Plusieurs dispositions intervenues ultérieurement ont notamment prolongé le délai dans lequel il est possible de recourir à une IVG, désormais fixé à 14 semaines, mais également assoupli les conditions posées pour les mineures et instauré une prise en charge intégrale par l’assurance-maladie de l’acte d’interruption volontaire de grossesse et des examens associés.

La Cour suprême des Etats-Unis a annulé l’arrêt Roe VS Wade, qui, depuis 1973, accordait aux Américaines le droit de recourir à une IVG dans tout le pays. Cette décision ne rend pas les interruptions volontaires de grossesse illégales mais renvoie à la discrétion de chaque État la décision d’autoriser, ou non, l’avortement sur son territoire.

  1. Les prémices d’une Constiutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse 

Dès lors, plusieurs initiatives ont proposé de garantir un droit à l’avortement dans la Constitution française à la suite du revirement de la Cour suprême américaine. Tandis que le Conseil constitutionnel rattachait l’interruption volontaire de grossesse à une liberté de la femme dans une décision du 27 juin 2001, il ne s’est jamais attelé à le consacrer comme un droit constitutionnel. 

Ainsi, un projet de loi a été présenté au Conseil des ministres le 12 décembre 2023 par Élisabeth Borne, ancienne Première ministre. Il avait été adopté en première lecture, sans modification, par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2024 par 493 voix contre 30. Précédemment, une première proposition de loi sénatoriale avait été rejetée en octobre 2022 avec 139 voix pour et 172 contre. 

D’une part, l’Assemblée proposait de créer un nouvel article 66-2 déclarant que « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». 

D’autre part, le Sénat arguait une version plus sobre, n’insérant qu’un nouvel alinéa à l’article 34 de la Constitution : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. » 

L’objectif de certains sénateurs était notamment de ne pas faire de l’IVG un droit absolu. Ainsi, la constitutionnalisation de l’IVG pourrait être en concurrence avec d’autres droits qui pourraient s’opposer à lui, comme une interprétation extensive de la clause de conscience du médecin ou la supposée prévalence dont pourrait bénéficier le « droit de l’enfant à naître ».

  1. Des positions divergentes 

Alors que certains pourraient y voir une consécration symbolique du droit à l’interruption volontaire de grossesse, d’autres y voient une constitutionnalisation superflue, voir, politiquement dangereuse. 

À ce titre, certains auteurs estiment que la nécessité de consacrer « un droit constitutionnel à l’IVG » afin de lui offrir une plus grande protection serait un « faux débat sur le plan juridique », en effet, ladite protection ne ferait pas peser une assez forte contrainte sur un législateur farouche, qui chercherait à la remettre en cause. 

Il va de soi que la loi a pour rôle d’exprimer la volonté générale dans le respect de la Constitution, en effet, c’est bien la loi « qui fait vivre les droits constitutionnels » dans notre système juridique. Ainsi, en dépit d’une constitutionnalisation, un législateur hostile pourrait toujours en neutraliser ses conditions de mises en œuvre. 

Les opposants à la constitutionnalisation arguaient le fait que l’IVG bénéficiait d’ores et déjà d’une protection constitutionnelle irréfutable en raison de son rattachement à « la liberté des femmes de disposer de leur corps » en vertu de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Telle était le fondement de la décision du 15 janvier 1975, confirmée par celle du 27 juin 2001. Selon eux, l’incontestabilité de la protection constitutionnelle de l’IVG découlait de son rattachement au principe de liberté qui le soutient, et indiscutable par aucun pouvoir constitué, même législatif. 

Pour autant, l’avis du Conseil d’État du 3 novembre 2023 a rappelé, à juste titre, que la liberté de recourir à l’IVG n’est pas « consacrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne. » 

Toutefois, force est de constater que la constitutionnalisation de l’IVG implique des effets vertueux inattaquables. En effet, par l’inscription de l’IVG au sein des dispositions constitutionnelles, l’interruption volontaire de grossesse devient un droit que le législateur ne peut plus contester. Désormais, seule une révision constitutionnelle, requérant le pouvoir constituant suivant une procédure spéciale prévue à l’article 89 de la Constitution, pourrait le remettre en cause. 

De plus, l’inscription de l’IVG dans la Constitution a pour corollaire de l’ériger en norme de référence constitutionnelle, de sorte que le Conseil constitutionnel pourra l’alléguer dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité des lois afin de censurer une disposition législative qu’il apprécierait comme contraire à la Constitution.

  1. Projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse adopté par le Sénat 

Le 28 février 2024, le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’IVG a été adopté au Sénat par 267 voix contre 50, les sénateurs se désolidarisant alors de l’opposition exprimée par le Président du Sénat, Gérard Larcher, qui exprimait que « la Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux ». Les sénateurs ont été plus loin, en rejetant des amendements de portée réduite, préférant l’adoption sans modification du texte. 

Il s’agira de la 25ème réforme constitutionnelle, première réforme depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, mettant fin à la plus longue période de la Ve République sans révision. 

Par application de l’article 89 de la Constitution, l’Assemblée nationale et le Sénat ayant voté le projet de loi dans les mêmes termes, le président de la République Emmanuel Macron a choisi de convoquer le Congrès ce lundi 4 mars 2024 à Versailles. Ainsi, l’approbation du Parlement réuni en Congrès est nécessaire pour finaliser l’inscription du projet de loi dans la Constitution à condition que ce projet de révision soit approuvé par la majorité des 3/5ème des suffrages exprimés. 

Pour le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti : « Nous serons le premier pays au monde à inscrire dans la Constitution cette liberté pour les femmes de disposer de leurs corps. Ce vote redit : les femmes de notre pays sont libres ! »

Ronan CAPRON – LITIQUE & Elyse DUJARDIN (M2 DPG)

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