Par un arrêt du 11 octobre 2023, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a affirmé que la nullité de l’assemblée générale tenue en société à responsabilité limitée (SARL) à laquelle a participé une personne n’ayant pas la qualité d’associé est subordonnée à ce que cette participation irrégulière ait été de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
La publication de cette décision au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation témoigne de son importance.
I– La tenue d’une assemblée générale en SARL
Une assemblée générale est une réunion des associés en vue de prendre des décisions concernant le fonctionnement de la société.
En principe, c’est le gérant qui décide de convoquer l’assemblée générale. Toutefois, en cas de carence de ce dernier :
- le commissaire aux comptes, s’il en existe un, peut suppléer le représentant légal en convoquant lui-même l’assemblée,
- tout associé a le droit de demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée et de fixer son ordre du jour.
A- Le déroulement d’une assemblée générale en SARL
La convocation à l’assemblée générale est adressée à tous les associés de la SARL, et envoyée par le gérant. Elle doit notamment indiquer le lieu, la date, et l’ordre du jour. La moindre erreur dans le respect de ce formalisme est susceptible d’entraîner la nullité de l’assemblée générale à la demande de l’un des associés.
La convocation doit être adressée par les associés 15 jours au moins avant la réunion de l’assemblée, par lettre recommandée ou remise en main propre à chaque associé contre une décharge. Celle-ci indique l’ordre du jour. De même, les comptes annuels, le rapport de gestion, le texte des résolutions proposées, et le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe et les rapports du commissaire aux comptes doivent être adressés aux associés dans les mêmes délais.
Afin de renforcer l’implication des associés minoritaires, les associés détenant au moins 5% des parts sociales peuvent faire inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée des points ou projets de résolution.
Dans certains cas, la tenue d’une assemblée générale est obligatoire, notamment :
– lorsqu’il y a dépassement du nombre d’associés (qui est limité à 100 dans une SARL),
– lorsque les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social de la SARL,
– lors de l’approbation annuelle des comptes.
B- Les différents types d’assemblées générales
Il existe principalement 2 types d’assemblée générale :
– l’assemblée générale ordinaire (AGO), qui intervient principalement dans les affaires quotidiennes de la SARL,
– l’assemblée générale extraordinaire (AGE), qui intervient de manière exceptionnelle notamment pour modifier les statuts de la société.
L’AGO porte sur des sujets concernant le quotidien de la SARL comme la nomination, la fixation de la rémunération et la révocation du gérant. Il peut également s’agir de définir des stratégies pour atteindre les objectifs de la SARL ou la validation des conventions conclues entre le gérant et la SARL ou entre les associés et la SARL.
Les décisions sont adoptées à la majorité absolue, sauf stipulation contraire des statuts. En revanche, aucun quorum n’est prévu par la loi.
Chaque associé a le droit de participer aux décisions et dispose d’un nombre de voix égal à celui des parts qu’il possède.
L’AGE, quant à elle, permet de réunir les associés quand une décision importante doit être prise. C’est notamment le cas quand une modification des statuts est nécessaire. Par exemple, pour augmenter ou réduire le capital social, modifier le nom de la société, changer de siège social, cesser l’activité, etc.
La convocation d’une assemblée générale extraordinaire est également nécessaire pour révoquer le dirigeant et en nommer un nouveau.
Par conséquent, l’AGE n’est convoquée que ponctuellement pour statuer sur un sujet précis. Depuis le 4 août 2005, un quorum de 25% des parts sociales sur première convocation est exigé et une majorité des deux tiers des parts détenues par les associés, mais les statuts peuvent augmenter cette règle de majorité (sans toutefois requérir l’unanimité). Le non-respect de ces règles peut entraîner la nullité des décisions prises en assemblée.
II- Les précisions de la Cour de cassation concernant la validité des décisions prises en assemblée générale
Dans cet arrêt du 11 octobre 2023 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, une associée a cédé les parts qu’elle détenait dans le capital social d’une SARL, lesquelles représentaient la moitié du capital. Après son décès intervenu douze ans plus tard, ses héritiers ont contesté ladite cession en faisant valoir que l’acte constituait un faux. Ils ont ainsi assigné les cessionnaires en annulation de la cession, en réintégration des parts sociales à l’actif successoral du défunt et en annulation des assemblées qui s’étaient tenues avec les cessionnaires en tant qu’associés.
La Cour d’appel avait partiellement fait droit aux demandes des héritiers demandeurs, puisqu’elle avait prononcé l’annulation de l’ensemble des assemblées générales car les cessionnaires étaient désormais réputés ne jamais avoir eu la qualité d’associé.
Ainsi, il faut donc s’interroger sur le fait de savoir si la remise en cause d’une cession de droits sociaux justifie que les décisions collectives auxquelles ont participé les cessionnaires, qui étaient au moment de l’assemblée générale associés, mais sont rétroactivement réputés ne jamais l’avoir été, soient nulles ?
La Cour de cassation confirme la position de la Cour d’appel. Elle écarte les dispositions de l’article L.223-27 du Code de commerce et se fonde sur les articles 1844 et 1844-10 du Code civil. En somme, la nullité de l’assemblée générale à laquelle a participé une personne n’ayant pas la qualité d’associé est subordonnée à ce que cette participation irrégulière ait été de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
A- Le rejet de l’article L.223-27 du Code de commerce par la Cour de cassation
Pour contester la nullité des assemblées, il était invoqué par les demandeurs au pourvoi l’article L.223-27 in fine du Code de commerce relatif aux SARL : « toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée. Toutefois, l’action en nullité n’est pas recevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés. » L’objectif poursuivi lorsque les demandeurs invoquent cet article est que le juge ne prononce pas la nullité des assemblées générales car la lettre du texte de l’article prévoit la possibilité de prononcer la nullité de toute assemblée irrégulièrement convoquée et non l’obligation. A l’évidence, il en découle la liberté d’appréciation du juge concernant l’opportunité d’une telle appréciation.
L’idée des cessionnaires pour contester la nullité des assemblées est de dire que la nullité soulevée portait sur l’irrégularité de la convocation due à la présence des cessionnaires et qu’en cas d’irrégularité de convocation, la nullité n’est pas recevable lorsque tous les associés sont présents ou représentés.
La Cour de cassation écarte cet argumentaire en soulignant que la demande ne portait pas sur l’irrégularité de la convocation mais sur la tenue en elle-même des assemblées générales parce qu’elles avaient été tenues avec des tiers dépourvues de la qualité d’associé.
Dans ces conditions, il y a violation de l’art 1844 du Code civil qui dispose que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives.
B- Fondement de la décision sur les articles 1844 et 1844-10 du Code civil
De fait, l’article 1844 du Code civil assure que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ». Par opposition, cela sous-entend qu’un non associé n’a pas le droit de participer à ces prises de décisions. En l’espèce, la Cour d’appel se fonde sur cet article car elle considère que les cessionnaires sont réputés n’avoir jamais eu la qualité d’associé du fait de l’irrégularité de la cession et, par effet rétroactif, les assemblées générales auxquelles ils ont participé sont nulles.
Dans un arrêt du 21 octobre 1998, la Cour de cassation censurait pour violation des articles 1844 et 1844-10 du Code civil l’arrêt d’appel refusant de prononcer la nullité de l’assemblée générale à laquelle avait participé le cessionnaire alors que la cession de parts avait été annulée. La Cour de cassation affirmait que « tout associé peut se prévaloir de l’absence de convocation d’un associé à l’assemblée générale ». Cela montrait la volonté de rattacher la question à celle de la convocation, étant précisé que le grief adressé ne portait pas sur la participation d’un non-associé à l’assemblée, mais sur la non-participation de ceux qui étaient réputés n’avoir jamais perdu cette qualité, en raison du caractère rétroactif de l’annulation de la cession de parts intervenue.
Toutefois, la Cour de cassation prend le contrepied dans cet arrêt de 2023 en définissant plus précisément les conditions de cette nullité : « il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé aux décisions collectives d’une société à responsabilité limitée constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l’irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision. »
Elle exige que l’irrégularité de la participation ait une incidence sur le résultat des décisions prises lors des assemblées. En l’espèce, les cessionnaires détenaient la moitié du capital par conséquent ils exerçaient une réelle influence sur les décisions prises lors des assemblées générales auxquelles ils ont participé. Les assemblées générales en question sont donc nulles.
Au regard de la décision de la Cour de cassation, on constate que cette notion d’irrégularité “de nature à influer sur le résultat du processus de décision” est une reprise de celle inaugurée avec l’arrêt Larzul 2 déjà critiquée faute de précisions supplémentaires.
On peut imaginer que cette condition repose finalement sur une question de majorité. En effet, la présence d’un non associé n’a pas d’impact si la majorité ou le quorum nécessaire au vote est respecté sans le prendre en compte.
L’idée est plus ou moins similaire concernant l’article L.223-27 du Code de commerce selon lequel il n’y a pas d’annulation pour convocation irrégulière si tous les associés sont présents ou représentés à l’assemblée générale.
Finalement, dans les deux cas, l’idée principale est de refuser la nullité de l’assemblée générale pour des raisons de pur formalisme.
Julien RENAULT et Lola MAURICE – Master 1 Droit des Affaires et Fiscalité
SOURCES :
- https://www.entreprises.cci-paris-idf.fr/web/reglementation/developpement-entreprise/droit-affaires/comment-convoquer-une-assemblee-d-associes
- https://www.captaincontrat.com/gestion/assemblee-generale/assemblee-generale-sar
- https://avocats.ey.com/law/nullite-des-decisions-collectives
- Isabelle Baudet, Le droit des sociétés en schémas, éditions ellipses, 5ème édition
- Bruno Dondero, Le pseudo-associé et la cascade des nullités, Recueil Dalloz 2023 p.2024 : https://www-dalloz-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/documentation/Document?id=RECUEIL/CHRON/2023/1747
Julien Delvallée, Nullité des décisions collectives : montée en puissance du critère de l’irrégularité de nature à influer sur le résultat du processus de décision, Dalloz actualité du 10 Novembre 2023 : https://www-dalloz-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/documentation/Document?id=ACTU0220112