Conformité constitutionnelle des cours criminelles départementales

Le 24 novembre 2023, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la constitution les cours criminelles départementales dans sa décision n°2023-1069/1070, QPC.

En effet, le 20 septembre 2023, la Cour de cassation transmet au Conseil constitutionnel trois questions prioritaires de constitutionnalité, portant sur le jugement des crimes par des cours criminelles départementales, alors que cette juridiction est dépourvue de jurés. Avant d’étudier plus largement les réponses fournies par le Conseil constitutionnel, il convient de s’intéresser à ce qu’est une cour criminelle départementale.

Les cours criminelles départementales ont été instaurées par la loi du 23 mars 2019. Elles sont compétentes pour connaître les litiges concernant « les personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu’il n’est pas commis en état de récidive légale, sont jugées en premier ressort par la cour criminelle » d’après l’article 63 de la loi du 23 mars 2019. Elles n’ont donc pas vocation à faire disparaître les cours d’assises, puisque celles-ci, sont compétentes pour juger en premier ressort les crimes punis de 20 ans de réclusion criminelle ou tout crime lorsque l’accusé est dans une situation de récidive légale ou en appel.

Les cours criminelles départementales ont d’abord fait l’objet d’une expérimentation du 1er septembre 2019 au 1er janvier 2022 soit 3 ans sur une partie du territoire français. Elles ont par la suite été généralisées sur l’ensemble du territoire français le 1er janvier 2023.

Contrairement aux cours d’assises, les cours criminelles départementales sont uniquement composées de cinq magistrats professionnels c’est-à-dire 1 président et 4 assesseurs. Le jury est donc exclu de cette procédure. En effet, avant la création des cours criminelles départementales un jury populaire participait aux côtés de magistrats professionnels aux procès des personnes accusées de tout crime. Un juré est un citoyen tiré au sort sur les listes électorales, ensemble, ils vont constituer un jury et vont être amenés à trancher la culpabilité d’un individu aux côtés des magistrats professionnels. Attention, ils sont toujours présents au sein de la cour d’assises.

L’accusé a l’obligation d’être représenté par un avocat alors que les victimes et les parties civiles n’ont pas l’obligation d’être assistées. L’audience est publique sauf exception prévue par la loi. Les décisions des cours criminelles départementales peuvent faire l’objet d’un appel de droit commun. Dans ce cas, l’appel se déroulera devant la cour d’assises en présence d’un jury populaire.

Les cours criminelles départementales reçoivent de nombreuses critiques. En effet, elles sont compétentes pour juger les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminelle. En conséquence, certains critiquent le fait que cela reviendrait à classer deux types de crimes. Les “petits crimes” jugés par la cour criminelle départementale et les “grands crimes” jugés par la cour d’assises. Cela a notamment été dénoncé par les associations féministes comme « osez le féminisme ». L’idée est la suivante, les viols étant punis de 15 ans de réclusion criminelle, cela reviendrait à considérer le viol comme un “petit crime” et donc à minimiser les violences sexuelles. 

Un autre argument est avancé par les réfractaires, en effet, la suppression du jury populaire représenterait un danger pour la démocratie et pour l’oralité des débats. En France, la démocratie directe est beaucoup moins importante, car la constitution de la V -ème République repose sur la démocratie représentative. La démocratie directe se reflète avec l’utilisation des référendums qui sont en pratique peu nombreux et entre autres avec le jury populaire, issu de la loi du 16 et 21 septembre 1791, sous la Révolution Française, en matière de crime de droit commun. En effet, puisque la justice française est rendue au nom du peuple français, il paraît important qu’elle puisse s’y investir pleinement pour trancher la culpabilité des personnes soupçonnées d’avoir commis les faits les plus graves et pour appliquer les peines les plus sévères en France c’est-à-dire la réclusion criminelle à perpétuité.

De plus, les citoyens français se montrent de plus en plus pessimistes envers la justice française, la considérant comme trop laxiste alors même que bien souvent, ils ne connaissent pas l’affaire dans son contexte ni dans ses détails. L’expérience de juré est ainsi favorable pour la société et les individus, en effet, plusieurs magistrats remarquent que les jurés prennent très au sérieux leurs missions et mettent de côté leurs préjugés en la matière. 

Il faut toutefois souligner les avantages qu’offre cette nouvelle juridiction. D’abord, les cours criminelles départementales permettraient de réduire les délais de traitement des affaires criminelles. En effet, expliquer la procédure et les termes juridiques aux jurés a pour conséquence de ralentir la procédure. 

Ensuite, ces cours sont censées lutter contre la correctionnalisation des viols. Le phénomène de correctionnalisation ici doit être entendu comme le fait de faire juger les auteurs de crime devant le tribunal correctionnel, normalement compétent en matière de délit. 

Pour finir, certaines victimes déclarent se sentir plus à l’aise à l’idée de témoigner devant la cour criminelle départementale, qui offre une procédure plus intimiste puisqu’elle est uniquement composée de juges professionnels, plutôt que de témoigner devant six jurés.

Maintenant que l’enjeu et le contexte de ces cours ont été évoqués, il convient de s’intéresser à la décision rendue par le Conseil constitutionnel en date du 24 novembre 2023. Le Conseil constitutionnel devait répondre à quatre questions prioritaires de constitutionnalité à l’encontre des cours criminelles départementales.

D’abord, le Conseil constitutionnel refuse de reconnaître l’intervention du jury populaire dans les crimes de droit commun comme un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. En effet, trois conditions doivent être réunies pour qu’un principe fondamental reconnu par les lois de la République soit admis. D’abord, le principe doit avoir été consacré par un texte législatif antérieur à 1946, puis doit avoir fait l’objet d’une application continue et enfin, le principe doit être suffisamment important, général et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la nation. Le Conseil constitutionnel a estimé que les deux premières conditions n’étaient pas réunies.

Il a également refusé de le consacrer comme un principe à valeur constitutionnelle. Ici, le Conseil constitutionnel a décidé d’écarter le moyen et n’a donc pas répondu à cette question.

Enfin, le Conseil devait répondre à l’existence d’une rupture d’égalité des citoyens devant la justice au sens de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. En effet, la cour d’assises et la cour criminelle départementale n’ont pas les mêmes conditions procédurales. Mais le Conseil constitutionnel a répondu que « la cour criminelle départementale présente par sa composition, les mêmes garanties d’indépendance et d’impartialité. Donc il n’y a pas de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi et la justice, car que les accusés soient jugés devant la cour d’assises ou la cour criminelle départementale les garanties sont équivalentes. » 

Le Conseil constitutionnel sera de nouveau amené à traiter cette question puisque cette décision a fait l’objet d’un recours en rectification d’erreur matérielle. En effet, d’après l’article 62 de la Constitution « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas susceptibles de recours ». Toutefois, un recours est possible lorsque le Conseil constitutionnel a commis une erreur matérielle. En l’espèce, il serait reproché au Conseil constitutionnel d’avoir commis une contre-vérité historique en déclarant que le principe de l’intervention du jury en matière criminelle a été écarté en se fondant sur des lois d’exception en matière politique ou militaire alors que le débat concernait les crimes de droit commun. De plus, le Conseil ajoute que les dispositions antérieures à 1946 « n’ont eu ni pour objet ni pour effet de réserver à une juridiction composée d’un jury le jugement des crimes de droit commun » alors que selon l’association “Sauvons les assises”, la notion de « crime de droit commun » apparaissait clairement dans ces textes. La discussion sur les cours criminelles départementales n’est donc pas encore terminée ! 

Nina Gibaux, Master 2 Justice Procès Procédures

1 réaction sur “ Conformité constitutionnelle des cours criminelles départementales ”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *