Le Conseil d’Etat enjoint à l’Arcom de mieux contrôler le pluralisme sur CNEWS 


L’association Reporters sans frontières, par une requête datée du 13 avril 2022, demande au Conseil d’État, compétent en premier et dernier ressort, d’annuler une décision de l’ARCOM (autorité de régulation des médias). Cette autorité publique indépendante avait refusé de mettre en demeure CNEWS pour le non-respect des principes du pluralisme et d’indépendance de l’information invoqués par les requérants. 

Dans la décision rendue le 13 février 2024 (n°463162), le Conseil d’État a annulé la décision de l’ARCOM, à la demande de l’association Reporters sans frontières. 

  • L’ARCOM, une autorité publique indépendante : 

L’ARCOM est l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Qualifiée d’autorité publique indépendante (API), cette catégorie se distingue de l’autorité administrative indépendante (AAI) en ce qu’elle dispose de la personnalité morale.

Le but de l’ARCOM selon l’article 3-1 de la loi dite Léotard (loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) est de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes télévisés. 

L’ARCOM est une API, ce qui signifie qu’elle est une autorité instituée par la loi (qui est chargée de fixer les règles sur sa composition et ses attributions, selon l’article 34 de la Constitution) et qu’elle agit au nom et pour le compte de l’État. 

Ces autorités, comme l’ARCOM, l’AMF (Autorité des marchés financiers) ou la HAS (Haute Autorité de Santé), ont comme particularité de réguler un secteur d’activité déterminé par la loi : on les appelle donc des autorités de régulation. 

Le Conseil d’État, dans deux décisions importantes, (CE, 21 mars 2016 Société Fairvesta International GMBH et autres, n°368082 et CE, Ass., 21 mars 2016, Sté NC Numéricable, n°390023) a permis d’ouvrir le recours pour excès de pouvoir contre les actes de ces autorités de régulation. 

Un requérant peut désormais demander l’annulation d’une décision de l’ARCOM comme c’est le cas en l’espèce. Le Conseil d’État est par ailleurs compétent en premier et dernier ressort pour connaître “des recours dirigés contre les décisions prises par les organes des autorités suivantes, au titre de leur mission de contrôle ou de régulation” et notamment l’ARCOM, en vertu de l’article R311-1 du code de justice administrative (CJA).

  • Le pluralisme de l’information 

La loi Léotard du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication (n° 86-1067), dans son article 13, consacre l’exigence de pluralisme pour la télévision et la radio. Pour ce faire, cet article prévoit que l’ARCOM assure le respect du pluralisme, notamment pour les “émissions d’information politique et générale”, comme celles que diffuse la chaîne d’information CNEWS. 

Pour aller dans le même sens, l’article  3-1 de ce même texte prévoit que l’ARCOM a un rôle de garant de l’exercice de la liberté de communication, de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information et des programmes. 

Ce principe avait été également affirmé dans la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, dans les articles 4 et 34 de la Constitution, il est fait référence aux « expressions pluralistes des opinions » et au « pluralisme et à l’indépendance des médias ». 

En l’espèce, l’association Reporters sans frontières avait demandé au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA et ex-ARCOM) de mettre en demeure la chaîne CNEWS afin qu’elle respecte les obligations qui s’imposent à elle en tant que « service consacré à l’information » (considérant 4 de la décision). Cette association considérait qu’il n’y avait pas une diversité suffisante des points de vue. 

Le Conseil d’État précise dans sa décision que le pluralisme de l’information au sein d’une chaîne de télévision ne se limite pas au temps de parole accordé pour les personnalités politiques. Il considère que l’ARCOM ne doit pas se limiter à contrôler uniquement le temps de parole des personnalités politiques mais elle doit vérifier le temps de parole de l’ensemble des participants au programme, en comprenant ainsi les chroniqueurs, les invités, etc.

Le Conseil d’État, par cette décision, indique à l’ARCOM ce qu’elle doit contrôler, et élargit l’étendue de ses pouvoirs afin de faire respecter au mieux le pluralisme. Ainsi, l’ARCOM doit prendre en compte l’ensemble des opinions représentées par l’ensemble des participants aux programmes télévisés et non plus uniquement les interventions des personnalités politiques.  

  • L’indépendance de l’information

Concernant l’indépendance de l’information qui est également prévue par la loi Léotard, l’association Reporters sans frontières reprochait à l’ARCOM en tant que garante de cette indépendance de ne pas prendre les mesures suffisantes face à ce qu’elle considère comme étant une « ingérence de l’actionnaire principal de la chaîne ». Selon l’association, l’actionnaire principal, Vincent Bolloré, influencerait les opinions diffusées sur cette chaîne. 

Face à cette demande, l’ARCOM considérait qu’elle n’était pas en capacité de mettre en demeure la chaîne car la demande portait uniquement sur des séquences précises. L’apport de la décision du Conseil d’État est d’étendre les critères de l’indépendance de l’information. L’ARCOM doit désormais se prononcer sur l’ensemble des caractéristiques de la chaîne et non plus sur des séquences précises. 

Le Conseil d’État a ainsi enjoint à l’ARCOM de réexaminer, dans un délai de six mois, le respect par la chaîne CNEWS de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information. 

Anna DELAUNE – M1 Droit Public 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *