Le droit de la preuve face au développement des nouvelles technologies 

Affaire Newyorkaise

Le 8 juin 2023, à l’occasion d’une affaire qu’il défendait, l’avocat new-yorkais Steven Schwartz a utilisé l’intelligence artificielle ChatGPT pour préparer sa plaidoirie. Il a ainsi créé un dossier comportant de fausses décisions de justice, toutes générées par l’intelligence artificielle. Comme l’a remarqué la partie adverse, les affaires citées n’existaient pas et le recueil de décisions transmis à la justice était inventé.

Le robot conversationnel avait pourtant assuré avoir relevé ces arrêts dans deux bases de données de renom. Le juge l’ayant menacé de sanction, l’avocat s’est alors défendu en affirmant : “Je n’avais pas compris que ChatGPT pouvait fabriquer des affaires (…), j’ai supposé à tort qu’il s’agissait d’un super moteur de recherche”. L’avocat a malgré tout été condamné.

En raison de l’utilisation inappropriée de cette intelligence artificielle par un professionnel du droit, il est légitime de se demander ce qu’il se serait passé si aucune des parties ne s’était aperçue de ces faux documents. Dès lors, en réalité, il s’agit de se demander de quelle manière le droit de la preuve pourrait être impacté.

Bien que cette affaire provienne des États-Unis, il convient de répondre à cette question à l’aune du droit français.  

À l’aune du droit français

Le droit de la preuve peut se définir comme un élément permettant de démontrer la véracité d’un fait, d’une circonstance ou d’une obligation, dans le but de faire valoir une prétention. Les nouvelles technologies quant à elles, désignent des domaines très évolutifs et des techniques diverses, pouvant rendre plus accessible les rapports entre les humains et les machines. 

Depuis la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique, l’égalité entre écrit électronique et écrit papier est affirmée sous réserve des conditions d’identification et d’intégrité. Parfois, les preuves apportées ne sont pas tout à fait fiables, le juge doit donc faire preuve de prudence lorsqu’il est face à une preuve apportée de manière dématérialisée. Si même le juge n’est pas en capacité d’apprécier la fiabilité de la preuve, on pourrait alors se questionner sur la garantie de l’efficacité de la justice. 

Ainsi, l’affaire américaine précédemment citée se rapporte à la falsification de preuve qui est également condamnable par le droit français. Par définition, la falsification de preuve est la modification, altération ou dénaturation préjudiciable d’une chose ou d’un document que l’on apporte aux débats. L’utilisation croissante d’outils intelligents a révolutionné l’approche des professionnels du droit concernant la recherche de preuves, ouvrant ainsi la voie à une analyse rapide et approfondie des données.

L’intelligence artificielle n’est pas la seule “nouvelle technologie” pouvant affecter le droit de la preuve. En effet, la même question se pose pour d’autres dispositifs. 

La cybersurveillance

Par définition, la cybersurveillance est un mécanisme de surveillance de personnes, d’objets ou de processus qui repose sur les nouvelles technologies et qui s’exerce à partir et sur des réseaux d’informations comme Internet. Elle vise à faciliter la surveillance, compte tenu de la quantité, de la rapidité ou de la complexité de l’information à traiter. 

À titre d’exemple, les entreprises ont recours à la cybersurveillance car elles sont soucieuses de protéger certaines informations et souhaitent surveiller le comportement de leurs employés ou de leur clientèle. L’installation sur un lieu de travail, qui est un lieu juridiquement « privé », d’un système de vidéosurveillance captant et conservant les images sur un support numérique est soumise à la loi du 6 janvier 1978. 

Cependant, ces techniques ont la possibilité d’entraîner des excès pouvant porter atteinte à la vie privée des salariés et à leurs droits fondamentaux (secret des communications, liberté de déplacement, liberté de conscience et d’opinion, secret des correspondances). 

En effet, en droit interne, la preuve apportée par le biais de caméras de surveillance est acceptée lorsque plusieurs panneaux indiquent la présence de ces dernières (n°08-19.482). La vie privée ne serait donc pas atteinte, les individus ayant conscience qu’ils sont filmés. La preuve serait déloyale dans le cas contraire.

Le drone

Le drone est l’un des outils majeurs de la cybersurveillance. Étant aujourd’hui tombé dans le domaine public, on peut s’interroger quant à son utilisation aux fins d’obtention d’éléments de preuve. Dès lors, en ce qui concerne les drones, le 15 novembre 2022 (n°22-80.097), la Cour de cassation a rappelé, à l’occasion d’une affaire dont elle était saisie, que l’usage d’un dispositif de captation d’images notamment par voie aérienne est constitutive d’une intrusion dans le droit à la vie privée et familiale et du domicile prévue par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. 

L’utilisation de drones est alors régulière tant qu’elle a une base légale suffisante et qu’elle est nécessaire et proportionnée. En l’espèce, le mis en examen pour trafic de stupéfiants a formulé une demande d’annulation de la procédure mettant en place un dispositif de captation d’images par drone au-dessus de son domicile en arguant que de tels dispositifs ne pouvaient n’être que fixes.

L’enregistrement d’images

Concernant l’enregistrement, celui-ci constitue pour l’Académie française “l’action de fixer des sons ou des images sur un support matériel”. L’enregistrement d’images peut constituer un des dispositifs importants pouvant affecter le droit de la preuve. 

En ce sens, un arrêt rendu le 24 septembre 2009 (n°08-19.482) par la Cour de cassation consacre la nécessité d’une information préalable à la personne qui se trouve représentée, pour que l’image perçue puisse être admissible lors de débats. 

De plus, le 24 juin 1998 (n°95-14.040), la deuxième chambre civile a accepté comme preuve une photographie prise à l’insu d’une personne dans un lieu privé mais restant à la vue du public au motif que, sur cette photographie, la personne capturée en photo n’est pas identifiable (photographie pour trouble anormal du voisinage, jardin privé à la vue des voisins). Dans le même sens, le 10 septembre 2014 (n°13-22.612), la première chambre civile a suivi ce raisonnement en admettant que si la qualité de la photo est telle que la personne n’est pas identifiable, la photographie peut être admise comme moyen de preuve (balcon). En droit interne, celui-ci impose dans tous les cas le respect de la loyauté et de la vie privée notamment en matière de divorce ou de filiation. 

L’usage des réseaux sociaux

Enfin, certaines personnes peuvent en surveiller d’autres grâce aux réseaux sociaux particulièrement utilisés à notre époque. Dès lors, il convient de se demander si une preuve apportée par des publications sur ces sites peut être recevable sans porter atteinte à la vie privée de la personne contre qui on veut apporter la preuve. 

En matière de divorce, le 14 mars 2013, la cour d’appel de Versailles a admis ce type de preuve en raison des paramètres de confidentialité du compte. Dès lors, l’époux a pu démontrer l’incapacité éducative de son épouse grâce à ses publications sur le réseau social. Cela ne porte pas atteinte à sa vie privée puisque l’épouse a elle-même posté ces publications, sans prendre la peine de mettre son compte en « privé » c’est-à-dire en prenant des mesures pour assurer la confidentialité de son compte. 

Ainsi, l’évolution rapide des nouvelles technologies soulève des défis complexes pour le droit de la preuve. Bien que ces avancées offrent des moyens innovants de collecter et présenter des preuves, la protection des droits individuels et la garantie de l’intégrité du processus judiciaire demeurent des préoccupations cruciales. Équilibrer l’efficacité des technologies avec la nécessité de préserver la justice fondamentale exige une adaptation continue du cadre juridique pour refléter les réalités changeantes de notre ère numérique.

Léa DURIEU et Chrissie ALBERT, Master 2 Droit Privé Général

1 réaction sur “ Le droit de la preuve face au développement des nouvelles technologies  ”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *