Le régime fiscal applicable aux associés de société d’exercice libéral : les précisions de Bercy

La loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 a eu pour objectif de créer des sociétés de type hybride, soit des sociétés à la forme commerciale mais avec un objet civil, dont le fonctionnement serait compatible avec l’exercice d’une profession libérale : c’est l’apparition des sociétés d’exercice libéral (SEL). Il existe plusieurs types de SEL, permettant d’emprunter les différentes formes de leur équivalent commercial :

 

L’objet social d’une SEL doit toujours être l’exercice en commun de la même profession libérale par les associés ou actionnaires. 

Une profession libérale est l’exercice d’une profession à titre indépendant. La plupart des professions libérales sont de nature technique, juridique, médicale ou intellectuelle. Parmi elles, certaines ne sont pas réglementées par la loi ou par un règlement, telles que les professions scientifiques ou artistiques et d’autres le sont, telles que les professions médicales et juridiques. 

Cela étant dit, seules ces dernières (les professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire) peuvent constituer l’objet d’une SEL.

Les 15 décembre 2022 et 5 janvier 2023, deux mises à jour successives du BOFiP (Bulletin Officiel des Finances Publiques) ont eu lieu concernant l’imposition des associés exerçant au sein des SEL. 

L’administration a, par la suite, réalisé une mise à jour du BOFiP en date du 27 décembre 2023, par la publication d’un rescrit portant sur le régime fiscal applicable aux associés de SEL en matière d’IR, de TVA et de CFE. La doctrine administrative s’est alignée sur la jurisprudence constante du Conseil d’État. 

Cette nouvelle doctrine devait initialement s’appliquer à compter du 1er janvier 2023, mais son entrée en vigueur a été reportée au 1er janvier 2024

L’administration a alors précisé différents points : 

Le nouveau régime fiscal des SEL :

Avant le 1er janvier 2024, les rémunérations des associés de sociétés d’exercice libéral étaient imposées dans la catégorie des traitements et salaires (TS) ou relevaient de l’article 62 du Code général des impôts pour les gérants majoritaires de SELARL ou SELCA, si la société était soumise à l’impôt sur les sociétés en raison de sa forme. 

La doctrine administrative s’est finalement conformée à une jurisprudence constante. En effet, dans deux arrêts du 16 octobre 2013 n°339822 et du 8 décembre 2017 n°409429,  le Conseil d’État a retenu comme seul critère, pour déterminer la catégorie d’imposition des revenus de l’associé, l’existence d’un contrat de travail ou d’un lien de subordination

De fait, à compter de l’imposition des revenus 2024, le principe est que les rémunérations perçues par les associés de SEL doivent être déclarées et imposées dans la catégorie des BNC

Par exception, s’il existe un lien de subordination entre l’associé et la société quant à l’exercice de la profession libérale, les rémunérations versées devront être déclarées et imposées comme des salaires, dans la catégorie des TS. En effet, le lien de subordination caractérise une activité salariale.

Par ailleurs, relèvent de la catégorie des TS les rémunérations des associés non dirigeants de SELARL. 

Les précisions quant aux gérants majoritaires de SELARL :

Pour les gérants majoritaires de SELARL et de SELCA, il faut maintenant distinguer si les rémunérations ont été perçues au titre de l’activité libérale ou au titre de la fonction de gérant, donc au titre de leur mandat social : 

  • Dans le premier cas, si les rémunérations se rapportent à l’activité libérale, elles sont imposées en BNC ;
  • Dans le second, si les rémunérations se rapportent au mandat social, elles relèvent de l’article 62 du CGI. 

S’il est impossible pour le gérant de dissocier les rémunérations, celles-ci seront imposées conformément à l’article 62 du CGI, seulement si le contribuable apporte la preuve de cette impossibilité.

Cependant, on admet en pratique que 5% de la rémunération des gérants majoritaires correspond à leur fonction de gérant, qu’il soit possible de dissocier les rémunérations ou non. Ainsi, il est admis qu’a minima 5% de la rémunération du gérant majoritaire sera imposable sur le fondement de l’article 62 du CGI. 

Les conditions d’application du régime « micro-BNC » :

Selon l’article 102 ter du CGI, les contribuables générant des bénéfices non commerciaux relèvent du régime “micro-BNC” à condition que “le montant hors taxes de l’année civile précédente ou de la pénultième année, ajusté s’il y a lieu au prorata du temps d’activité au cours de l’année de référence, n’excède pas 77 700 € est égal au montant brut des recettes annuelles diminué d’un abattement forfaitaire de 34 %”, sauf option pour la déclaration contrôlée (article 97 du CGI).

Le rescrit du 16 novembre 2023 intégré au BOFiP, prévoit que les associés de SEL peuvent également relever de ce régime à condition que leur rémunération soit effectivement qualifiée de BNC et qu’elles ne dépassent pas les seuils légaux. Cependant, il faut prendre en compte la rémunération versée par la SEL mais aussi “les dépenses professionnelles de l’associé acquittées en son nom et pour son compte par la SEL, au titre de l’année civile précédente et/ou de la pénultième année, qui auraient été déclarées dans la catégorie des BNC si elles avaient été perçues à compter de 2024”.

Les associés devront alors reporter ce montant directement sur la déclaration n°2042, contrairement à ceux qui, sur option, relèvent de la déclaration contrôlée et doivent remplir le formulaire 2035-SD. 

Les modalités de déduction des cotisations de type « Madelin » de l’article 154 bis du CGI :

Concernant les cotisations de type “Madelin”, elles ne seront pas déductibles pour les revenus déclarés dans la catégorie des traitements et salaires. En effet dans une décision du 8 décembre 2017 n°409429, le Conseil d’État admet que les associés de SEL ne peuvent déduire de leur rémunération leurs cotisations “Madelin” seulement dans les cas “où les rémunérations concernées, à défaut de lien de subordination, sont assujetties à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux”. 

Le traitement fiscal des honoraires rétrocédés directement par une SEL aux associés d’une SPFPL (= Société de participations financières de professions libérales) :

L’article 62 du CGI pose le principe selon lequel les « bénéfices réalisés par des professions libérales, qui exercent leur activité à titre individuel ou dans le cadre d’une société de personnes relevant de l’IR, sont imposés dans la catégorie des BNC ». 

À l’inverse, lorsque l’entreprise est passible de l’impôt sur les sociétés, cette même activité sera de nouveau imposable dans la catégorie des BNC, à moins que les honoraires rétrocédés soient imposés dans la catégorie des traitements et salaires, du fait de l’existence d’un contrat de travail ou d’un lien de subordination ou parce qu’elle se voit appliquer l’article 62 du CGI pour la part correspondant aux fonctions du gérant.

En conséquence, dans le cas où une SEL verse directement aux associés d’une société de participation financière de professions libérales (SPFPL) une rémunération en contrepartie de son activité au sein de ladite SEL, la rémunération relève en principe des BNC, sauf en présence d’un contrat de travail ou d’un lien de subordination. 

Les précisions en matière de TVA :

Pour rappel, pour qu’une société soit redevable de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), il faut que celle-ci effectue des livraisons de biens et/ou des prestations de service, à titre onéreux, par un assujetti agissant en tant que tel. Cette activité économique doit être réalisée à titre indépendant, dans le but de réaliser des recettes présentant un certain caractère de permanence. 

La Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 29 septembre 2015² est venue préciser que « le statut indépendant implique que la personne concernée accomplisse ses activités en son nom, pour son compte et sous sa propre responsabilité, en supportant le risque économique lié à l’exercice de l’activité en cause. »

Dans les faits, même si les SEL exercent une profession libérale par l’intermédiaire de leurs associés et donc que ces derniers répondent de leurs actes, cela ne suffit pas à prouver que les associés supportent le risque économique propre à cette activité. En effet, il apparaît que c’est la société qui supporte les risques, et non les associés. 

En conséquence, les rémunérations perçues par les associés de la SEL n’entrent pas dans le champ d’application de la TVA et ne sont donc pas soumises à l’obligation de facturation de l’article 289 du CGI. 

Les précisions en matière de CFE :

Par l’application des articles 14473 et 15864 ter du CGI, les SEL sont en principe redevables de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Elles sont assujetties personnellement à la CFE dans les conditions de droit commun, puisqu’elles sont assimilées à des sociétés commerciales par leur forme, exerçant une activité libérale. 

Dans la continuité de l’article 1447 du CGI, les SEL sont assujetties à la CFE au titre de l’activité exercée par la personne morale elle-même. Par principe, les SEL sont donc redevables de la CFE. 

Cependant, il est possible pour les associés d’une SEL d’être imposés en leur nom propre, en cas d’exercice d’une activité professionnelle propre non salariée. Cette activité peut être établie par le biais d’un faisceau d’indices en prouvant « l’absence de lien de subordination avec la SEL, l’existence de moyens propres ou de clientèle distincte ». Cela donnera donc lieu à une imposition distincte. 

Le changement de catégorie d’imposition des SEL n’entraîne aucun changement quant à l’assujettissement des SEL à la CFE et la CVAE. 

Les conditions d’éligibilité des salariés de SEL aux dispositifs d’épargne salariale :

Les dispositifs d’épargne salariale s’adressent en principe aux salariés, c’est-à-dire à toute personne ayant un contrat de travail et un lien de subordination avec une entreprise, et depuis peu, aux dirigeants d’entreprises employant entre 1 et 250 salariés. 

Plusieurs articles du Code du travail dressent la liste des dirigeants pouvant bénéficier de cette épargne salariale. De leur côté, les professionnels libéraux exerçant au sein d’une SEL peuvent potentiellement bénéficier du régime des assimilés-salariés, mais ne peuvent en aucun cas, se voir appliquer les dispositions du Code du travail applicables aux salariés. 

Toutefois, s’ils remplissent les conditions prévues par la loi, ils pourront bénéficier de l’épargne salariale en leur qualité de dirigeant s’ils ont le statut de président, de directeur général, de gérant ou de membre du directoire de la société. 

Articles et jurisprudences : 

  1. Art 62 CGI : Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l’impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s’ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés (…) après déduction des cotisations et primes mentionnées à l’article 154 bis du CGI, selon les règles prévues en matière de traitements et salaires.
  2. CJUE, arrêt du 29 septembre 2015, affaire C-276/14, point 34
  3. Art 1447 CGI : la cotisation financière des entreprises est due chaque année par les personnes physiques ou morales, les sociétés non dotées de la personnalité morale ou les fiduciaires pour leur activité exercée en vertu d’un contrat de fiducie qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée.
  4. Art 1586 CGI : les personnes redevables de la CFE dont le chiffre d’affaires est supérieur à 152 000 euros dont redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée de l’entreprise (CVAE).

ROUSSEAU Mélinda, HUET Elsa,

Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

Sources :

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