L’adoption de la nouvelle PAC : contexte et enjeux
La politique agricole commune (PAC) a été mise en place en 1962 afin d’assurer la sécurité alimentaire de l’Union européenne. Cette dernière a considérablement évolué depuis sa mise en place en essayant de changer de paradigme : d’une volonté productiviste à une valorisation des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement (introduite en 1992). Cette politique demeure, encore aujourd’hui, le premier poste de dépense de l’Union européenne (UE) sur la période 2021-2027, en représentant 33% du budget de l’UE, c’est-à-dire, 58 milliards d’euros d’aides distribuées chaque année, dont 9 milliards à la France, ce qui en fait le premier État membre bénéficiaire de la PAC.
La PAC fait régulièrement l’objet de critiques de la part des lobbies agro-industriels et du principal syndicat agricole, la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles). Au rang des critiques les plus entendues : l’abandon d’un projet agricole commun, une répartition des aides injustes ou encore un trop grand soutien à l’agriculture industrielle. Mais aujourd’hui, ce sont les normes environnementales et la rigidité administrative qui inquiètent les agriculteurs. Ces derniers ont obtenu gain de cause avec l’assouplissement de certaines normes environnementales relatives au maintien de la biodiversité et de la sécurité alimentaire européenne. Le soutien européen à une agriculture intensive est qualifié par les associations environnementales de nuisible à l’environnement en ce qu’il contribue à l’érosion des sols, à la diminution des insectes pollinisateurs, à l’épuisement des ressources et à la destruction de biodiversité.
Pourtant, le sixième et dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) rappelle la nécessité d’agir pour lutter contre le changement climatique. Le groupe d’experts relevait que la hausse des températures mondiales devrait être contenue à 1,5°C pour limiter les événements météorologiques extrêmes et le développement des catastrophes naturelles.
Ce n’est pas la première fois que l’Union européenne tente d’agir en faveur de la protection de l’environnement. Elle est d’ailleurs signataire de nombreuses conventions, notamment la CCNUCC (convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques), entrée en vigueur en 1994. Celle-ci est opérationnelle depuis la signature du protocole de Kyoto qui engage les pays les plus développés à limiter la pollution des gaz à effet de serre. Cette convention a été renforcée lors de la COP21 avec l’Accord de Paris, signé en 2015, qui ambitionne de limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C.
L’un des engagements les plus prégnants à l’échelle de l’Union européenne est l’adoption du Pacte vert (Green deal) en 2020, qui vise à développer une nouvelle stratégie de croissance, à transformer certains secteurs d’activités de la société pour atteindre un objectif principal : la neutralité climatique d’ici à 2050, dont une baisse des émissions de gaz à effet de serre de l’UE d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990. L’ambition européenne de devenir une économie décarbonée et circulaire a été actée par l’adoption définitive de la loi européenne sur le climat en juin 2021 (Règlement n°2021/1119). Cette politique européenne touche à tous les domaines de compétence de l’Union européenne (énergie, déchets, agriculture…). Depuis, plusieurs étapes ont été amorcées pour rendre cet objectif concret avec l’« ajustement à l’objectif 55 », à savoir la série de mesures sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la taxe carbone aux frontières de l’UE, ou encore la stratégie « de la ferme à l’assiette », visant à bâtir un système alimentaire durable.
Néanmoins, le service de recherche du Parlement européen (EPRS) fait état d’un retard de la part de l’exécutif européen dans la présentation des initiatives issues du Pacte vert. Ainsi la Commission européenne n’avait présenté au 1er février 2023 que 56% des initiatives. Par conséquent, seulement 24% d’entre elles ont été adoptées par les co-législateurs européens (Conseil de l’Union européenne et Parlement européen). Parmi celles-ci, on retrouve les dossiers liés à l’énergie, comme le plan REPowerEU pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles russes, et ceux liés au climat ou à l’industrie, avec le plan industriel. En revanche, du côté de la biodiversité et de l’alimentation, l’Union européenne a marqué un temps d’arrêt avec plusieurs textes qui ont été ralentis, voire abandonnés.
Que dit la nouvelle réforme de la PAC ?
Le processus législatif qui a conduit à la réforme de la PAC a connu des négociations difficiles. A l’origine, la nouvelle PAC, qui aurait dû entrer en vigueur le 1er janvier 2021, ne l’a été qu’au 1er janvier 2023, soit deux ans plus tard. Elle ouvre la voie à une PAC plus équitable et plus verte, davantage axée sur les exigences du Pacte vert : protection de l’environnement, de la santé publique et du bien-être animal. En effet, 37% du budget global de la PAC devait être réservé aux mesures environnementales. La nouvelle législation est organisée autour de deux piliers :
- Le premier s’articule autour des aides au soutien des marchés et des revenus des agriculteurs.
Pour toucher ces aides directes, les producteurs doivent respecter plusieurs critères environnementaux et liés au bien-être des animaux : il s’agit du principe de conditionnalité. La conditionnalité couvre deux types d’exigences : les ERMG (exigences réglementaires en matière de gestion) et les BCAE (bonnes conditions agricoles et environnementales). Parmi les règles instaurées, on peut citer la mise en jachère d’au moins 4% des terres, la rotation des cultures, le maintien des éléments de paysages (haies, mares…), etc.
- Le second pilier vise à développer les Mesures agroenvironnementales et Climatiques (MAEC). Ces mesures permettent d’accompagner les agriculteurs qui s’engagent dans la transition agroécologique (réduction des pesticides).
La mise en place de cette nouvelle PAC s’avère aussi difficile que les négociations.
Quelles sont les concessions faites aux agriculteurs ?
Alors que l’agriculture représente environ 10,7% des émissions de gaz à effet de serre et que son impact sur la biodiversité ne cesse d’être prouvé, le Parlement européen a rejeté plusieurs propositions de réglementation. Il a affaibli les volets environnementaux de la PAC en réponse aux récents mouvements agricoles qui ont eu lieu dans toute l’Europe.
Tout d’abord, un projet de révision de la législation sur les produits phytosanitaires, avec un objectif contraignant de réduction de 50% de l’utilisation des pesticides à l’horizon 2030, a été abandonné en février dernier. Par la suite, le 15 mars dernier, l’exécutif européen a proposé de réformer certaines dispositions dont une série d’exigences environnementales des Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE). Parmi les révisions envisagées :
- le retrait de l’obligation de rotation des cultures pour privilégier la « diversification » des cultures sur les sols (or, rotation et diversifications vont souvent de pair car elles désignent des pratiques agricoles différentes) ;
- l’adoption d’un règlement accordant aux agriculteurs européens une exemption partielle de la règle de conditionnalité relative aux terres mises en jachère ;
- la dispense de contrôle pour les petites exploitations (moins de 10 hectares) ;
- la levée de l’obligation de consacrer une partie des surfaces agricoles aux « infrastructures agroécologiques » (haies, mares, arbres…).
Malgré l’absence d’une étude d’impact sur les conséquences du retrait de ses règles de protection de l’environnement, le texte sur l’allègement des règles environnementales pour les agriculteurs est entre les mains du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne.
Agathe SAMSON – M2 Droit public