Howard Becker écrit dans Les Mondes de l’art « les mondes de l’art connaissent des transformations incessantes, graduelles ou brutales » et « aucun monde de l’art ne peut se protéger longtemps ou complètement contre les forces de changement, qu’elles proviennent de l’intérieur ou de tensions internes ». Dès lors, il est possible d’affirmer que le monde est en continuel changement et le monde de l’art n’y échappe pas.
Tout d’abord, un travail de définition s’impose. En premier lieu, le monde de l’art relève de la culture et ce terme est véritablement polyphonique. D’abord, la culture peut être rapprochée du mot savoir, en effet, la culture c’est l’acquisition de connaissances. Ensuite, la culture peut également faire référence à des « phénomènes matériels et idéologiques » d’une communauté définie. La culture est donc propre à chacun, et plus largement, à chaque civilisation, et même si elles se valent toutes, elles ne sont pas immanquablement compréhensibles par tous. En effet, le monde de l’art est un domaine très spécifique en particulier par son côté subjectif et diversifié. Effectivement, en fonction de chaque culture, des codes existent, il s’agit en quelque sorte de conventions entre les artistes pour définir la représentation de chaque élément d’une certaine façon. Dès lors, différentes interprétations peuvent naître d’une même œuvre. Des droits de propriété intellectuelle protègent les œuvres d’art et plus précisément le droit d’auteur qui confère des droits moraux et patrimoniaux. Le marché de l’art intègre par ailleurs une dimension économique très importante, ce qui en fait un domaine complexe, au sens de complexius, à savoir qui est tissé ensemble.
Ensuite, l’intelligence est la faculté pour une personne de réfléchir, de faire usage de ses connaissances et de sa faculté de création dans le but d’exprimer une opinion, résoudre un problème, s’adapter à une situation.
L’artificiel, enfin, entre en opposition avec tout ce qui intègre la catégorie du naturel, c’est-à-dire qui est crée par l’Homme et non pas par la nature.
Toutefois, la réunion de ces deux définitions ne saurait être suffisante pour donner celle de l’intelligence artificielle. Cette dernière fait référence à un processus bien particulier de système informatique autonome capable d’effectuer un choix distinct de celui qui l’a créé ou qui en a l’usage. Dès lors, l’intelligence artificielle peut être qualifiée d’incorporelle et fait référence au software. Au contraire, un robot est une entité matérielle, elle recouvre la notion d’hardware. Il est possible de mettre du software dans du hardware, cela donnerait un robot doté d’intelligence artificielle. Toutefois, ne faudrait-il pas considérer que l’intelligence humaine est parfaitement inimitable, car elle reflète l’imbrication de différents procédés la rendant justement unique ?
Des abus de langage nous font croire aujourd’hui que l’intelligence artificielle est énormément développée et présente dans notre quotidien. Or, il s’agit plutôt d’algorithmes qui prennent des décisions logiques grâce à des « si…alors » sans jamais avoir recours à une quelconque forme d’intelligence qui impliquerait une réflexion. Néanmoins, l’intelligence artificielle prend une place de plus en plus importante, dans tous les domaines et aucun ne semble y échapper. L’idée derrière cette notion d’intelligence artificielle c’est qu’elle devienne auto apprenante, c’est-à-dire qu’elle s’améliore d’elle-même. Or, si une erreur intervient, cela pose de nombreuses questions juridiques et la principale concerne l’imputation de la responsabilité.
Aujourd’hui, des intelligences artificielles sont capables de réaliser des œuvres d’art et cela pose des questions d’imputation des droits notamment. Des discussions sur le sujet sont en cours partout dans le monde. Toutefois, il ne sera pas question en l’espèce d’œuvres créées par une intelligence artificielle, mais elle sera plutôt envisagée comme un outil d’aide à l’estimation d’œuvres existantes.
Plusieurs corps de métiers sont en charge de l’expertise des œuvres d’art parmi lesquels des experts d’art souvent spécialisés dans une époque ou un artiste spécifique, des assureurs de biens spéciaux, mais surtout, les commissaires-priseurs opérant les expertises pour les ventes aux enchères volontaires, à savoir lorsqu’un particulier souhaite vendre un tableau par exemple de son propre chef, mais aussi judiciaires en cas de liquidation d’une société par exemple. Ces spécialistes sont en première ligne de cette problématique nouvelle.
I.Contexte juridique de l’intelligence artificielle
Il est important de rappeler la distinction entre les choses et les personnes, fondamentale en droit français. Si je ne suis pas une personne, je suis forcément une chose. Toutefois, la personnalité a pu déjà être attribuée à des non-humains : c’est la personnalité morale. Le débat porte sur les animaux, la nature mais aussi sur les robots et/ou les objets dotés d’intelligence artificielle. En l’espèce, il semblerait que les projets maintiennent l’intelligence artificielle dans la catégorie des choses même si certains revendiquent le contraire. Or, la question en toile de fond derrière celle de la responsabilité est celle de son imputation en cas de dommage.
Dès lors, il semble indispensable de revenir sur la législation. La législation française est relativement limitée, principalement en raison du désir affirmé de l’Union européenne de mettre en place une réglementation plus globale.
Des propositions et projets sont en cours dans le but de reconnaître la responsabilité du fait des produits défectueux applicable à l’intelligence artificielle. Toutefois, au niveau européen, deux éléments ne sont pas en faveur de la protection de la victime : le risque de développement et la question de la prescription. Pour ce premier point, il s’agit d’une cause d’exonération en cas de « défaut d’un produit que le producteur n’a pu découvrir, ni éviter, pour la raison que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du produit, ne le lui permettait pas ». La prescription, quant, à elle est de dix ans à compter de la mise en circulation et de trois ans à compter du du préjudice. La raison avancée pour justifier ces choix est de ne pas freiner l’innovation.
Finalement, il semblerait qu’il soit plutôt reconnu un droit de propriété du producteur sur le logiciel et les données.
Sur la question de la responsabilité, des nœuds se créent entre le propriétaire (en l’espèce, il s’agirait du professionnel utilisateur tel que le commissaire de justice), le créateur de l’algorithme, du hardware ou du software.
La reconnaissance d’une personnalité pose de nombreuses questions telles que le patrimoine, les droits fondamentaux ou la manière d’agir en justice.
Également, il serait possible d’étendre le devoir de vigilance introduit par la loi du 27 mars 2017 pour les sociétés mères à ses filiales.
En 2021, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement afin d’harmoniser les règles sur l’intelligence artificielle. En décembre dernier, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne se sont mis d’accord sur le texte, qui a finalement été approuvé le 13 mars 2024. Plusieurs points y sont évoqués, parmi lesquels le respect des droits fondamentaux, la durabilité environnementale ou la sécurité juridique. Le projet de règlement est en cours de vérification afin que le Conseil donne son accord final.
II. L’intelligence artificielle comme outil d’estimation des oeuvres d’art
L’intelligence artificielle pourrait permettre d’analyser l’œuvre, il est possible d’imaginer plusieurs systèmes : elle pourrait déterminer si la signature est vraie ou fausse. Elle peut être utile également dans les litiges liés à la contrefaçon, c’est-à-dire le plagiat d’œuvres en surveillant et identifiant des éventuelles copies. Enfin, pour l’identification des trésors nationaux, l’État dispose de 30 mois pour faire une proposition d’achat suivant le refus de délivrance du certificat, ce qui est extrêmement long. Cela pourrait permettre de fixer une offre d’achat plus rapidement et facilement, étant donné que les prix pratiqués sur le marché de l’art doivent être analysés et pris en compte dans le calcul de l’offre.
Une analyse sous le prisme avantages – inconvénients semble adaptée.
Pour les avantages : la simplification du travail est indéniable.Grâce à l’automatisation de la tâche, du temps est gagné dans le travail d’estimation, de plus, elle pourrait être très précise et enfin, elle serait auto apprenante grâce à l’accumulation d’œuvres estimées.
Toutefois, pour les inconvénients, un des plus gros risques est l’erreur. Si l’intelligence artificielle la commet, à qui imputer la responsabilité ? Il serait intéressant de développer une solution qui ne serait accessible qu’aux professionnels du droit et de l’art, car le but est justement d’opérer une vérification humaine par une personne qualifiée en aval, cela limiterait les erreurs.
De plus, certains détails pourraient échapper à l’intelligence artificielle, et le manque de recul sur les données analysées pourrait la conduire à se tromper. Une surévaluation ou inversement est possible. Le coût de cette analyse par l’intelligence artificielle est également très élevé.
Néanmoins, il n’est pas question de se servir de l’intelligence artificielle dans les cas où une subjectivité artistique est requise, en effet, cela reste un programme informatique, qui peut être performant lorsqu’il s’agit d’analyse objective.
L’intelligence artificielle, si elle est utilisée, doit rester un outil au service d’un utilisateur professionnel formé à l’analyse de l’art et non comme un remplacement de l’humain.
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