Quel sort plane sur le statut juridique des Aéroports de Paris ?

En 1945, le gouvernement provisoire de la République française crée un établissement public, l’Aéroport de Paris, par une ordonnance. En 2005, la loi n°2005-357 transforme cet établissement public en société anonyme, en déclassant et transférant les biens meubles et immeubles du domaine de l’établissement public et de l’Etat à la société. De nos jours, l’Etat est actionnaire du groupe ADP à hauteur de 50,6%. 

Une proposition de loi (RIP) a été déposée en 2019, pour que l’État redevienne propriétaire de l’intégralité de la société, en estimant que le groupe ADP relève d’un service public national. A contrario, au même moment, la loi Pacte du 22 mai 2019 prévoit la privatisation de ce groupe, mais cela n’est toujours pas le cas à l’heure actuelle. 

I- Le statut juridique actuel du Groupe ADP 

  • Sur le statut du groupe ADP

Le groupe ADP est aujourd’hui une entreprise publique, puisque la majorité de ses actions est détenue par l’Etat, à savoir 50,6%. Plusieurs entreprises privées en sont eux actionnaires minoritaires : Vinci (8%) et Crédit agricole assurances (7,8%).

Pour constituer une société, il est nécessaire que des associés apportent de l’argent, des biens, voire même un savoir. La valeur économique de tous les apports constitue le capital social. Une personne, morale ou physique, qui détient plus de 50% des parts d’une société est dite associé majoritaire. Elle dispose de plus de la moitié des parts du capital social et à ce titre elle dispose de la majorité des droits politiques (droit de vote) et financiers (distributions de dividendes) auxquels les parts sociales ouvrent droit. 

Certaines sociétés par leurs formes sociales (Société par Actions, Société par Actions Simplifiées etc.) disposent d’un capital social composé de parts sociales, qu’on appelle plus  spécifiquement des actions. Les détenteurs de ces parts ne sont donc plus des associés mais des actionnaires. La société Aéroport de Paris est une société par actions (SA) donc l’Etat français est l’actionnaire majoritaire. C’est une entreprise publique puisque contrôlée majoritairement par une personne morale de droit public. 

Une entreprise publique désigne toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante. Sur ces deux notions, celle “d’entreprise” et celle “d’influence dominante”, la Cour de Justice de l’Union Européenne a apporté des précisions.

  •  La notion d’entreprise

Dans les décisions Hofner (23 avril 1991) et Pavolov (12 septembre 2000), la CJUE a pu préciser que cette notion comprend “toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement”. L’activité économique consiste quant à elle “à offrir des biens ou des services sur un marché donné”.

Cela exclut donc les entreprises exerçant des activités exclusives d’auto prestation ou d’acquisition de biens et services, les activités d’autorités publiques, reposant sur un principe de solidarité sociale puisque ces entreprises ne répondent à aucune logique de relation de marché. 

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt Société Aéroports de Paris du 3 juin 2009 a toutefois précisé qu’une entreprise publique pouvait à la fois exercer des activités de vente de biens ou de services ainsi que des missions de police, en l’espèce la fouille des bagages des usagers. 

  • La notion d’influence dominante 

La directive européenne n°80/723 CEE de la Commission Européenne relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques disposait ainsi en son article 2 que “l’influence dominante est présumée lorsque les pouvoirs publics, directement ou indirectement, à l’égard de l’entreprise: a) détiennent la majorité du capital souscrit de l’entreprise (…)”.

II- Nationaliser le groupe ADP ? 

  • Procédure du référendum d’initiative partagée

Le référendum d’initiative partagée a été inscrit dans la Constitution par la réforme constitutionnelle de 2008. L’article 11 de la Constitution prévoit cette procédure : l’organisation d’un référendum est possible après une proposition de loi soutenue par au moins 1/5e des parlementaires (185 membres du Parlement) et 1/10e du corps électoral. Le corps électoral est composé de tous les citoyens français inscrits sur les listes électorales, autrement dit il faut réunir 10% de signatures parmi ce corps, soit environ 4,7 millions de personnes. 

Cette proposition de loi ne peut avoir un objet différent des domaines prévus à l’article 11 : organisations des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent. Elle ne peut pas non plus tendre à l’abrogation d’une loi promulguée depuis moins d’un an. 

  • Le référendum d’initiative partagée relatif à la nationalisation d’ADP

Une proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris est déposée le 10 avril 2019. Les parlementaires s’appuient sur l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution qui dispose “Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.” La proposition de loi permettrait une expropriation législative : le résultat serait que le groupe ADP soit transféré dans le patrimoine de l’Etat à hauteur de 100%.

Cette proposition contient un seul article : “L’aménagement, l’exploitation et le développement des aérodromes de Paris‑Charles‑de‑Gaulle, Paris‑Orly et de Paris‑Le Bourget revêtent les caractères d’un service public national au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Elle prévoit l’instauration d’un référendum d’initiative partagée pour mettre en place cette nationalisation totale du groupe ADP. Selon elle, l’exploitation faite par le Groupe ADP est un service public national, c’est-à-dire tout simplement que ce service public est exercé à l’échelle nationale. 

Le Conseil constitutionnel considère que la proposition de loi remplit les conditions évoquées ci-dessus. S’ouvre alors la période de recueil des soutiens, qui s’est déroulée du 13 juin 2019 à minuit jusqu’au 12 mars 2020 avant minuit. Seulement 1 116 000 soutiens ont été recueillis,  d’après la décision du 4 mars 2020 du Conseil constitutionnel. La procédure s’est donc arrêtée à cette période puisque les 4,7 millions de soutiens n’ont pas été atteints. 

III- Privatiser le groupe ADP ? 

La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE comprenait un volet privatisation. L’État français disposant de nombreuses parts dans de nombreuses sociétés, leur vente est un moyen simple d’obtenir des fonds conséquents. 

La loi PACTE prévoyait ainsi la privatisation de deux sociétés contrôlées à respectivement 50,6 et 72% : Aéroports de Paris et la Française des Jeux. Cette proposition est rejetée par l’opposition politique, puis définitivement écartée après avoir reçu de vives critiques, même si la FDJ avait été privatisée.

La question posée par la loi PACTE ne peut cependant pas être reçue de façon totalement manichéenne. La privatisation de la société ADP rapporte certes des fonds importants à l’Etat français lors de la cession mais les dividendes annuelles cumulées sur plusieurs années ne sont pas non plus à négliger au regard des résultats des sociétés et de la participation de l’Etat français à son capital social. En revanche, privatiser une société fait peser les dépenses sur la tête d’entreprises privées et cela peut avoir un impact positif sur les consommateurs par le jeu de la concurrence.

De nombreuses entreprises dans des secteurs beaucoup plus stratégiques que ADP ont été privatisées ; Total en 1995,  France Télécoms en 2004, Gaz de France en 2005, les autoroutes du Nord, de l’Est et du Sud de la France en 2006 etc. 

En janvier 2024, Alexis Zajdenweber, directeur de l’Agence des participations de l’Etat a affirmé que le projet de privatisation d’ADP n’était plus d’actualité. En effet après les crises économiques récentes liées au Covid ou à la guerre en Ukraine, il a estimé qu’il était plus judicieux que l’Etat conserve ses participations dans les entreprises car cela permettait de montrer que “la présence d’un actionnaire de long terme, capable d’apporter un soutien en période de crise, est essentiel”.

Gabin CORVAISIER, étudiant en M2 Droit des affaires et fiscalité et,

Perrine CAMILLERAPP, étudiante en M2 Droit public approfondi.

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