La fiscalité des entreprises en procédure collective

Le droit des procédures collectives est une branche du droit des affaires dont les principes diffèrent grandement du droit des sociétés. L’objectif du droit des entreprises en difficulté est d’éviter que la société ne tombe en liquidation judiciaire en permettant de relancer son activité. Ensuite, assurer l’intérêt des créanciers de la société, s’assurer que le débiteur ne va pas tenter de dilapider son patrimoine ou de le brader pour espérer en tirer quelque somme d’argent.

A ce titre, le jugement prononçant l’ouverture de la procédure collective, emporte nomination d’un administrateur judiciaire et d’un mandataire judiciaire. L’administrateur judiciaire se voit attribuer diverses missions selon les procédures :

–        En procédure de sauvegarde, une simple mission de surveillance auquelle peut se greffer une mission d’assistance ;

–        En redressement, la mission d’assistance et celle de représentation (sur option) ;

–        En liquidation, il a les pouvoirs les plus étendus du fait du dessaisissement du débiteur à son profit.

Nous verrons tout d’abord comment l’ouverture d’une procédure collective modifie les relations avec l’administration fiscale, puis, de quelle manière l’entreprise sera fiscalisée dans ce contexte.

I/ Les relations entre la société en procédure collective et l’administration fiscale

Il est essentiel de noter que les entreprises bénéficiant de l’ouverture d’une procédure collective demeurent redevables de l’impôt[1]. Elles sont donc tenues de déposer leurs déclarations fiscales et peuvent toujours faire l’objet d’une vérification de comptabilité. Réciproquement, la société peut contester son imposition.

A.    Sur la place du débiteur au sein des procédures collectives

L’article 1741 du Code Général des Impôts prévoit une peine d’emprisonnement de cinq ans ainsi qu’une amende de 500 000€ à l’encontre de celui qui  « s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts, soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits ». Toutefois le droit pénal reposant sur un principe de personnalisation des peines, il est indispensable d’identifier qui de l’administrateur judiciaire ou du débiteur est tenu à l’obligation de déclaration fiscale.

L’article L. 622-1 I° du Code de commerce dispose que par principe, la gestion de l’entreprise est assurée par son dirigeant.

En cas de mission de surveillance, il est naturel que le débiteur soit le seul tenu aux obligations fiscales et donc qu’il soit le seul interlocuteur de l’administration fiscale.

Si en revanche le débiteur est dessaisi de la gestion de son entreprise, c’est à l’administrateur judiciaire qu’il revient d’exercer les droits et actions en lieu et place du débiteur[2].

Cependant, dans le cadre d’une mission d’assistance, le débiteur reste tenu des actes de gestion courante de la société, réputés valables à l’égard des tiers de bonne foi selon les dispositions de l’article L. 622-3 al.2 du Code de commerce.

La déclaration fiscale étant une obligation « répétitive »[3] et non-contentieuse, il semble logique que le débiteur doive y satisfaire.

De la même façon, il a été jugé que la mise en demeure de payer un impôt envoyé par l’administration fiscale au seul débiteur n’est pas contestable, au motif que celle-ci ne revêt pas un caractère contentieux et que l’administrateur judiciaire n’était alors chargé que d’une mission d’assistance[4].

B.     Sur la place des mandataires de justice au sein des procédures collectives

La situation est-elle transposable en matière de contrôle fiscal en cas de procédure de redressement judiciaire dans laquelle l’administrateur judiciaire ne dispose que d’une mission d’assistance ?

Il pourrait découler des constatations précédentes, sachant qu’une procédure de contrôle fiscal est contentieuse et exceptionnelle, que l’administrateur chargé d’assister l’entreprise doit être notifié de l’avis de vérification et de la proposition de rectification. La sanction encourue en cas de manquement à cette obligation pourrait alors être la nullité de la procédure.

Assez contestablement, cette logique n’est pas celle retenue par l’administration fiscale[5] et par le Conseil d’état, qui estiment qu’une notification au débiteur est suffisante[6]. Les juridictions judiciaires, quant à elles, estiment que la notification de l’avis de vérification et la proposition de rectification sont inopérants si l’administrateur judiciaire n’a pas été notifié au sein d’une procédure dans laquelle il ne souffre d’aucune restriction de pouvoir[7].

De plus, le Conseil d’Etat estime que le mandataire de justice est le seul apte à s’opposer à la décision du débiteur de former une réclamation auprès de l’administration ou de saisir le juge si cette action porte le risque d’être préjudiciable pour les créanciers[8], notamment en réduisant des frais éventuels de justice, le gage commun de ces derniers.

Enfin, durant la procédure de liquidation judiciaire, le jugement d’ouverture de la procédure emporte de plein droit dessaisissement des droits et actions du débiteur au profit du liquidateur judiciaire. Celui-ci devient donc l’interlocuteur unique de l’administration fiscale. En effet, les droits et actions exercés par le liquidateur « incluent ceux qui se rapportent aux dettes fiscales »[9], entrant donc dans le champ du dessaisissement de l’article L. 641-9 du Code de commerce. Il reviendra donc au liquidateur judiciaire de déposer les déclarations d’impôts en temps et en heure.

De la même façon, durant la procédure de liquidation, l’administrateur judiciaire se substitue au débiteur. L’administration fiscale est donc tenue de poursuivre l’ensemble de la procédure fiscale avec l’administrateur, toutes les notifications lui étant adressées à peine de nullité[10] puisque le débiteur n’est plus partie à la procédure[11].

C.     Le cas particulier du débiteur personne physique

Pour les Entrepreneurs Individuels (EI)[12] , l’ensemble des dispositions précitées leur sont applicables. Cependant,  le débiteur entrepreneur individuel reste le seul responsable de ses déclarations personnelles de revenus. Celles-ci sont en effet situées hors-champ de la procédure collective. Le Conseil d’état a estimé, dans un arrêt n° 398632 du 28 juillet 2017, que les déclarations de revenus catégoriels correspondant à l’activité objet de la procédure (BIC, BA, BNC) doivent être remplies par le liquidateur contrairement aux déclarations de revenus autres (traitements et salaires par exemple) qui reviennent au débiteur.

Cette décision a été rendue sous l’empire de l’Ancien Droit, puisque le Conseil d’État a appliqué à cette espèce le régime de la séparation des patrimoines de l’exploitant individuel non EIRL qui, dans les faits et en droit, ne dispose que d’un seul patrimoine. La jurisprudence semble donc transposable au statut de l’EI créé par la loi du 14 février 2022, qui a opéré une séparation forcée et automatique des patrimoines professionnels et personnels du débiteur EI.

II/ Les conséquences sur la fiscalité de l’entreprise en difficulté

En principe, puisque la procédure de liquidation n’emporte aucune conséquence, le débiteur reste redevable de l’impôt au titre d’éventuels revenus, même si ces derniers sont exclusivement dédiés à l’apurement de la dette des créanciers.

Par exemple, en matière de titres de participation pris sur une filiale, la société détentrice ne peut plus exercer son contrôle sur la société émettrice puisque cette mission revient au liquidateur judiciaire. De ce fait, la société soumise à l’IS ne peut déduire de son résultat la perte de valeur latente des titres qu’elle détient sur une société mise en liquidation[13].

A.    L’imposition des derniers bénéfices de la société liquidée

La cessation d’activité prononcée par le jugement de clôture de la procédure de liquidation judiciaire entraîne l’imposition immédiate :

–        Des bénéfices qui n’ont pas fait l’objet de taxation ;

–        Des éventuelles plus-values ;

–        Des différentes provisions restées constituées[14]. Celles-ci devenant sans objet, elles constituent une perte définitive.

La société doit également satisfaire à deux exigences qui concernent toutes deux la période de  cessation d’activité et donc la procédure de liquidation judiciaire[15] :

–        Elle dispose de 45 jours pour déclarer la cessation au centre de formalités[16] ;

–        Et de 60 jours pour déposer une déclaration de résultat pour l’imposition immédiate.

En ce qui concerne les cessions d’éléments d’actif lors de la liquidation avant le jugement de clôture, celles-ci sont taxées au titre des plus-values professionnelles, la date de cessation d’activité s’appréciant au jour de ce jugement.

B. Les règles de TVA en procédure de liquidation judiciaire

Le délai de 45 jours de déclaration de cessation d’activité passe à 30 jours si la société est redevable de la TVA[17].

Dans une jurisprudence du 30 décembre 2011, n°323188, le Conseil d’Etat  a précisé que la qualité de redevable se perdait lorsque la société assujettie « n’était en mesure d’effectuer aucune des opérations qui constituaient son activité normale »[18]. Cela se produit notamment en cas de cession de l’ensemble des marchandises du stock, l’impossibilité de réaliser des prestations de service, ou encore de la cession de tous les éléments d’actifs etc.

Ainsi, toutes les cessions réalisées en amont de la cessation d’entreprise restent soumises à la TVA : cessions des marchandises et du stock, cessions des éléments d’actifs… Quant aux achats effectués après la cessation d’activité, ils ne pourront donner lieu au remboursement de la TVA. Enfin, si lors de la cessation, l’entreprise est titulaire d’un crédit de TVA, elle peut en obtenir le remboursement, qui se compensera avec d’éventuelles régularisations.

C. Le cas de la société mère d’un groupe, en procédure collective[19]

Par un arrêt du 18 mai 2022, n°20-21.852, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu une décision particulièrement singulière. Dans les faits, la société-mère d’un groupe fiscalement intégré a été placée en procédure collective. Par une opération de dissolution opérant transmission universelle de son patrimoine, la société a transmis son patrimoine à la société mère. Cette même filiale, avant sa dissolution, a effectué une opération représentant l’unique opération pour laquelle la société-mère était imposable.

Or, le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde judiciaire emporte interdiction des paiements…même des impôts[20] ! Le créancier (ici l’administration fiscale) doit déclarer sa créance et ne peut plus effectuer de poursuite ou de procédure d’exécution, l’exception étant la naissance d’une créance après l’ouverture du jugement, qui répond aux besoins du déroulement de la procédure : dans ce cas, elle sera payable à échéance.

Dans l’arrêt en question, la créance était née à la clôture de l’exercice, le 31 décembre 2017, soit 5 mois après l’ouverture de la procédure. Il faut savoir que la jurisprudence de la Cour de cassation reconnaît le caractère utile de l’impôt sur les sociétés car il est « inhérent à l’activité poursuivie après le jugement d’ouverture »[21]. Cette créance semblait alors utile pour la filiale, puisqu’elle en était à l’origine mais ne l’était cependant pas pour la société mère, qui s’est retrouvée contrainte de payer l’impôt dû par sa filiale, selon le régime de l’intégration fiscale[22].

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement au motif que l’intégration fiscale avait légalement tenue la société mère au paiement de l’impôt sur les sociétés : la créance lui était donc utile. De ce fait, l’administration fiscale pouvait en réclamer le paiement.

Or, une question reste en suspens : la filiale était-elle vraiment encore intégrée puisque son patrimoine avait été intégralement transmis à sa mère ? La réponse viendra peut-être de l’arrêt rendu sur renvoi…

Gabin CORVAISIER, Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

[1] JurisClasseur Commercial, Fasc. 3105 : SAUVEGARDE, REDRESSEMENT ET LIQUIDATION JUDICIAIRES. – Conséquences fiscales particulières. – Procédures collectives et procédures fiscales, conséquences fiscales de la liquidation judiciaire et de la reprise d’une entreprise en difficulté

[2]  BOI-CTX-PREA-10-60, section 230 

[3] JurisClasseur Commercial (préc.)

[4] Cass.com., 12 janvier 2010, n°08-20.659

[5] BOI-CF-PGR-20-10, section 30

[6] CE, 26 juillet 1991, n° 78454 – la question portait sur une ancienne procédure et l’avis avait été envoyé dans les temps au débiteur mais en retard à l’administrateur judiciaire

[7] CA Douai, 2e ch., 1re sect., 17 janvier 2002, n° 99/08026

[8] CE, 04 décembre 1974, n°84250

[9] CE, sect., 14 mars 2008, n°290591

[10] En ce sens, CE, sect., 14 mars 2008, n°290591 et Cass. com., 21 février 2012, n°11-12.138

[11] CAA Bordeaux, 17 octobre 2002, n°99-1768

[12] Loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante.

[13] CE, mars 2012, n°342295, note G. Dedeurwaerder

[14] Article 201, 1 CGI

[15] Article 201 CGI

[16] Chambre de commerce et d’industrie, chambre des métiers et de l’artisanat, URSSAF etc.

[17] Article 36, annexe IV CGI

[18] JurisClasseur Commercial (préc.)

[19] G.Dedeurwaerder, revue Droit fiscal, n°30, 28 juillet 2022

[20] Article L622-17, I

[21] Cass.com., 22 février 2017, n°15-17.166

[22] Cette solution avait d’ailleurs été retenue par la Cour d’Appel de Paris (27.02.2020, n°19/11726)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *