“Treets” : une défaite au goût amer pour Mars

Le 20 décembre 2023, la troisième section de la troisième chambre du Tribunal judiciaire de Paris s’est prononcée dans le jugement numéro 18/14422 sur la déloyauté d’utilisation de la marque “Treets” par la société Piasten au travers de sa filiale française Lutti.

I. Mise en contexte et rappel des faits

La société Mars, créée en 1911 aux États-Unis possède une filiale en France, la SAS (Société par actions simplifiée) Mars France. Cette dernière était titulaire de diverses marques « Treets » et agit en qualité de demanderesse dans ce dossier.

La société Piasten GbmH est une société allemande fondée en 1923. Tout comme la société Mars, elle est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de confiseries.

Enfin, la SAS Lutti, immatriculée auprès du RCS (Registre du Commerce et des Sociétés) de Lille, est également spécialisée dans la fabrication et dans la commercialisation de confiseries. Ces deux dernières agissent toutes deux en qualité de défenderesses.

En 1986, le groupe Mars prend la décision de remplacer sa marque “Treets” par celle de “M&M’s”. Cette modification est encore en vigueur aujourd’hui. Cette marque porte alors sur des cacahuètes enrobées de chocolat et de sucre vendues en sachets. En 2017, la société Piasten a sollicité de la part du groupe Mars le retrait de diverses marques “Treets”, en France mais également dans d’autres pays. La SAS Mars France a opéré cette renonciation pour deux marques verbales “Treets fond dans la bouche pas dans la main” numéro 1296438 ainsi que “Treets” numéro 93498883. Ces renonciations totales effectuées par la SAS Mars ont été inscrites au registre national des marques le 2 novembre 2017 et publiées le 1er décembre 2017.

La société Piasten avait procédé au dépôt des marques suivantes :

–       La marque verbale internationale “Treets”, le 17 août 2017 ;

–       La marque semi-figurative internationale “Treets the peanut company” le 19 avril 2018 ;

–       La marque verbale internationale “Treets” le 1er octobre 2018 ;

–       La marque semi-figurative internationale “Treets” le 15 mai 2019.

Pour rappel, selon l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle), il existe différents types de marques dont font parties la marque verbale et la marque figurative :

–       La marque verbale est définie comme étant composée exclusivement de mots ou de lettres, chiffres ou autres caractères typographiques standards ou d’une combinaison de ceux-ci. Cela peut-être : un nom, un mot ou un chiffre.

–       La marque figurative est quant à elle, définie comme employant des caractères, une stylisation, une caractéristique graphique ou encore, une couleur. Par exemple, il peut s’agir d’un dessin ou d’un logo.

En l’espèce, il est également fait état de marques dites semi-figuratives, il s’agit alors d’une association d’un élément verbal et d’un élément figuratif. Nous pouvons prendre comme exemple un logo associé au nom verbal de la marque ou à son slogan. Dans ce cas de figure, l’ensemble est protégé.

Au moment du dépôt d’une marque, il est nécessaire d’indiquer la liste des produits et/ou des services pour lesquels une protection est souhaitée. Un classement international des marques a été établi. Ce classement permet d’intituler les produits plus facilement. Concernant les marques qui ont été déposées, les deux premières ont été établies en classe 30 s’agissant de friandises, de confiseries à base d’arachides, de confiseries au chocolat, etc. Les deux dernières marques ont été classées 29 et 30 pour les mélanges contenant de la graisse pour tartine et des pâtes à tartiner à base de chocolat et des crèmes au chocolat.

Ainsi, différentes confiseries “Treets” de la société Piasten ont été commercialisées à partir de janvier 2018. En France, le lancement de ces marques s’est effectué en juin 2018 par l’intermédiaire de la SAS Lutti. La Société Mars a alors considéré que le dépôt de ces marques effectué par la société Piasten constituait une fraude et que la commercialisation des produits vendus sous cette dénomination portait atteinte à leurs droits en ce qu’elle reproduisait les emballages du produit originel.

Dans un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris alors saisi par la SAS Mars France, le juge rejette les demandes d’interdiction de poursuite de l’exploitation de tout produit de confiserie à base de cacahuètes enrobées de chocolat sous la dénomination “Treets”, en se fondant sur le principe du parasitisme.

Le tribunal judiciaire de Paris a alors statué dans son arrêt rendu le 20 décembre 2023, que la société Mars était informée de la volonté de la société Piasten d’utiliser le signe “Treets” pour ses produits. De plus, que la stratégie que la société dénonçait ne correspondait en réalité qu’à des démarches habituelles dans le domaine des affaires permettant à un concurrent de s’assurer de la disponibilité d’un signe qu’il souhaite exploiter, et ce, sans déloyauté. Le tribunal assure que cela participe au principe de la liberté du commerce. Ainsi, les demandes des sociétés Mars seront, à ce titre, rejetées. La directive 89/104 de la CJUE permet d’établir que le caractère trompeur d’une marque suppose la création d’un risque de confusion pour le consommateur moyen, c’est-à-dire le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux et culturels et exige d’établir une tromperie effective. Ainsi, les marques portées par la Société Piasten ne sont pas susceptibles de créer un risque. Elles sont seules existantes sur le marché français pour les produits et services visés à leur enregistrement, suite à la radiation des marques françaises de la SAS Mars France.

II. La renonciation à une marque

Le jugement que nous venons d’étudier soulève différents points de questionnements concernant les moyens de renonciation à une marque, mais également la commercialisation d’une marque abandonnée.

L’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle définit la marque comme “un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales”. Le deuxième alinéa de cet article précise que “ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire”.

En effet, le dépôt d’une marque confère une certaine protection à son titulaire. Celle-ci n’est toutefois pas perpétuelle. En France, il existe le principe de la déchéance des marques selon lequel un propriétaire risque de perdre la marque s’il n’exploite pas cette dernière pour les produits et services désignés dans son dépôt.

La déchéance d’une marque est prononcée par l’INPI ou par les tribunaux. Elle peut être demandée par toute personne dans deux cas. Si son propriétaire :

–       N’a pas commencé à exploiter sa marque alors qu’elle est enregistrée depuis au moins 5 ans ;

–       S’il a abandonné l’exploitation de sa marque depuis plus de 5 ans.

La déchéance peut être totale ou partielle, c’est-à-dire pour tout ou partie des produits et services désignés au dépôt. En l’espèce, la société Mars Inc, n’exploitait plus la marque “Treets” pour les produits de confiseries depuis 1986. La déchéance était donc totale.

Ce mécanisme est analysé par les juges ou l’INPI en ce qu’ils analysent les preuves d’exploitation apportées par le propriétaire. Nous pouvons alors établir, grâce à la décision rendue, que la déchéance et la réutilisation de la marque par la suite par une autre société, n’entraînent pas de concurrence déloyale envers la société qui l’employait auparavant, en l’espèce la société Mars Inc.

De plus, cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante. La Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 18 novembre 2011 indique que : “Le seul usage de la dénomination, qui ne fait plus partie d’une marque protégée, ne peut caractériser une concurrence déloyale, mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence”. Il ne s’agit alors pas seulement d’assurer une protection à une marque, mais aussi et surtout, de garantir le principe de liberté et d’industrie institué par l’article 7 du décret d’Allarde de 1791 et confirmée par la loi Le Chapellier de la même année. Cette liberté fondamentale découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen disposant que “La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui”.

La marque, une fois le dépôt effectué, est protégée en France pour une durée de 10 ans. Cela permet en effet d’être protégé contre toute utilisation de celle-ci par une autre personne sans l’accord du propriétaire de la marque. Il est également possible de renouveler la marque tous les 10 ans indéfiniment, il suffit pour cela d’accomplir les formalités auprès de l’INPI. Parmi celles-ci, il s’agit de déterminer les produits et/ou les services couverts par le dépôt ou encore vérifier la disponibilité de la marque. Il est alors important de noter qu’au-delà de l’attribution d’un droit de propriété sur sa marque à son propriétaire, l’INPI garantie sa protection dans le temps en permettant ce renouvellement. Celui-ci ne peut toutefois pas permettre d’ajouter de nouveaux produits ou services.

Par ailleurs, le renoncement à la marque “Treets” par la société Mars Inc a d’abord été tacite, résultant d’un comportement non-équivoque de la part de l’entreprise. Puis dans un second temps comme nous avons pu le constater, elle y a renoncé totalement en 2017. Pour le juge, la non-utilisation de la marque était suffisante pour constituer la déchéance du droit d’utilisation de la marque. Nous pouvons considérer que cela constitue une protection supplémentaire pour les utilisateurs d’une marque qui utiliseraient cette dernière pour un service similaire à une marque plus ancienne qui n’est plus utilisée et dont la renonciation totale n’a pas été effectuée.

Ainsi, nous pouvons considérer que la marque, une fois “abandonnée” par son propriétaire, ou n’étant plus exploitée depuis au moins 5 ans est une res nullius, c’est-à-dire une chose sans maître, celle-ci reste toutefois appropriable. De plus, dans le cas où une société tierce déciderait de déposer la marque, alors, l’ancien propriétaire ne pourra pas agir sur le fondement de la concurrence déloyale.

Edwige SANGNE Master 2 DPAC

Elodie YON Master 2 DPAC

Cassandre POL Master 2 DPAC

Pour aller plus loin :

Décision. CA Paris, 18 novembre 2011 https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2011/INPIM20110647

Sitographie :

lairmont-novus.law/publications/actualites/treets-un-retour-au-gout-amer

https://www-dalloz-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/documentation/Document?ctxt=0_YSR0MD0yMCBkw6ljZW1icmUgMjAyMyAzw6htZSBjaGFtYnJlIGNpdmlsIHRyaWJ1bmFsIGp1ZGljaWFpcmXCp3gkc2Y9c2ltcGxlLXNlYXJjaA%3D%3D&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PSNkZWZhdWx0X0Rlc2PCp3Mkc2xOYlBhZz0yMMKncyRpc2Fibz1UcnVlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD3Cp3MkZnJlZXNjb3BlPUZhbHNlwqdzJHdvSVM9RmFsc2XCp3Mkd29TUENIPUZhbHNlwqdzJGZsb3dNb2RlPUZhbHNlwqdzJGJxPcKncyRzZWFyY2hMYWJlbD3Cp3Mkc2VhcmNoQ2xhc3M9&id=CA_PARIS_2023-12-20_2207568

https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=TJ_PARIS_2023-12-20_1814422#texte-integralhttps://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=TJ_PARIS_2023-12-20_1814422#texte-integral

https://www.inpi.fr/proteger-vos-creations/proteger-votre-marque/les-etapes-cles-du-depot-de-marque

https://www.inpi.fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/la-marque/les-differents-types-de-marque

https://www.inpi.fr/faq/que-se-passe-t-il-lorsqu-une-marque-n-est-pas-exploitee

https://www.lecoindesentrepreneurs.fr/renouvellement-depot-marque/#:~:text=L’enregistrement%20de%20la%20marque,l’enregistrement%20de%20la%20marque.

https://www.exprime-avocat.fr/la-marque-conditions-de-validite-et-denregistrement/

https://www.cabinetbouchara.com/est-il-possible-de-reprendre-une-marque-tombee-en-desuetude/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *