L’article 72, alinéa 1 de la Constitution énumère cinq catégories de collectivités territoriales, incluant les collectivités à statut particulier, sans mentionner explicitement les territoires concernés par ces spécificités. La création de telles collectivités implique la consultation des électeurs inscrits sur les listes électorales des territoires concernés, conformément à l’article 72-1 de la Constitution. D’autres collectivités d’outre-mer, régies par l’article 74 de la Constitution, bénéficient d’un régime juridique spécifique, déterminé par une loi organique. Par ailleurs, il existe des collectivités territoriales se distinguant par un statut dérogatoire au droit commun, comme la Nouvelle-Calédonie (I) et la Corse (II).
I. La Nouvelle-Calédonie, un cas singulier de souveraineté partagée
La Nouvelle-Calédonie, rattachée à la France en 1853, a évolué à travers divers statuts jusqu’à l’accord de Nouméa en 1998. Depuis lors, elle est une collectivité territoriale spéciale en chemin vers l’indépendance. Bien qu’elle n’ait jamais été officiellement qualifiée de collectivité territoriale à statut particulier, elle en possède les caractéristiques. La Constitution de 1958 évoque la Nouvelle-Calédonie en son titre XIII, et plus précisément aux articles 76 et 77. Ces dispositions, comme l’indique le titre XIII, sont transitoires ; en effet, à terme, la Constitution prévoit l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie vis-à-vis de la France. Ce statut peut être parfois même qualifié d’ “ovni institutionnel” au regard de sa gestion.
Les institutions de Nouvelle-Calédonie reposent sur une division en trois provinces, chacune dotée d’une assemblée élue. Le congrès, formé d’une partie des membres des assemblées provinciales, est l’organe délibérant principal. Depuis 1999, il a le pouvoir d’adopter des « lois du pays » dans divers domaines. Celles-ci demeurent cependant soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Le pouvoir exécutif est exercé par un gouvernement collégial élu par le congrès et responsable devant lui. Deux organes consultatifs, le Sénat coutumier et le Conseil économique, social et environnemental, fournissent des avis sur des questions spécifiques, respectivement liées à la coutume et aux affaires socio-économiques et environnementales.
Les modalités d’accès à la souveraineté pour la Nouvelle-Calédonie incluent un transfert progressif de compétences clés, telles que le droit à l’emploi et le commerce extérieur, vers le territoire. Cependant, la France partage également certaines compétences avec la Nouvelle-Calédonie, notamment en matière de relations internationales.Cette approche, qualifiée de « pays à souveraineté partagée » ou de « pays d’outre-mer », vise à garantir une transition consensuelle vers l’indépendance. Des consultations d’autodétermination sont organisées, où les citoyens néo-calédoniens participent pour décider du futur statut politique. Une récente loi organique du 05 août 2015 a établi les règles pour ces consultations, marquées par un premier référendum en décembre 2018 où le « non » à l’indépendance l’a emporté avec 56%.
II. La volonté de passer d’un statut particulier à l’autonomie : la Corse.
Par un décret en 1970, la Corse est établie comme la vingt-deuxième région française, avec une série de réformes ultérieures, notamment les lois de 1982, 1991, 2002 et la loi NOTRe de 2015. La collectivité régionale de Corse devient une collectivité à statut particulier, fusionnant la collectivité territoriale régionale et les départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. Des ordonnances complètent ce dispositif institutionnel, telles que celle de 2016 régissant le régime juridique des agents publics. La fusion est effective depuis le 1er janvier 2018.
L’assemblée délibérante, nommée assemblée de Corse, compte 63 conseillers élus au suffrage universel direct selon un scrutin proportionnel plurinominal à deux tours. Elle a un pouvoir décisionnel et consultatif sur les affaires de la collectivité, ainsi que sur les projets de loi ou décret spécifiques à la Corse. De plus, elle dispose d’une chambre des territoires pour veiller à l’équilibre territorial et d’un Conseil économique, social, environnemental et culturel.
Les relations spécifiques entre l’assemblée de Corse et le conseil exécutif présentent des similitudes avec un régime parlementaire. Le conseil exécutif, dirigé par un président et composé de onze membres, est élu par l’assemblée de Corse. Il dirige l’action de la collectivité, prépare et exécute les délibérations de l’assemblée, et est responsable devant elle. Cette responsabilité peut être mise en œuvre par une motion de défiance constructive de l’assemblée, entraînant le remplacement du conseil exécutif. De plus, le président du conseil exécutif doit rendre compte annuellement à l’assemblée de la situation de la collectivité.
Néanmoins le statut de la Corse est en passe de changer. À l’occasion d’une visite sur l’île de Beauté le 29 septembre 2023, le chef de l’État a indiqué qu’une évolution vers plus d’autonomie était possible. Après deux jours de débats longs et intenses, indépendantistes et autonomistes corses ont déposé un projet. Ils profiteraient ainsi de la sortie de l’accord de Nouméa : « la révision constitutionnelle annoncée va concerner la Calédonie, la Kanaky, et va aussi concerner la Corse », a commenté Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse. « Donc il y a une similarité dans la révision de la Constitution, à la fois pour la Kanaky et la Corse. »
L’autonomie est une revendication en Corse depuis plusieurs années. Selon l’article 74 de la Constitution française, en obtenant l’autonomie, la Corse aura un statut « qui tient compte » de « ses intérêts propres au sein de la République ». Autrement dit, ce dispositif mis en place par un État souverain permet à une région de bénéficier de compétences et de pouvoirs élargis. Ce statut d’autonomie de la Corse permettrait à l’État de conserver ses domaines régaliens, à savoir la police, la justice ou encore l’armée, tout en élargissant les compétences et les pouvoirs de la collectivité dans certains secteurs.
Doryan BANKOLE – M1 Droit Public
Sources :
DANTONEL-COR Nadine, Fiche 18. Les collectivités territoriales à statut particulier, Fiches d’institutions administratives, Ellipses, 2020
FAZI André, KADA Nicolas, Les collectivités territoriales à statut particulier en France : les enjeux de la différenciation, LGDJ, 2022
WERY Claudine, Le statut de la Nouvelle-Calédonie, un ovni institutionnel “idéalisé” par les Corses, Le Monde, 11 avril 2023