La protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel


1)    Qui est l’entrepreneur individuel ?

L’entrepreneur individuel (EI) se comprend comme la personne physique qui exerce en son nom propre une activité professionnelle, indépendante, quelle que soit la profession exercée (l’avocate ou le psychologue libéral en sont des exemples). Ce statut s’entend au sens des articles L. 526-22 et suivants du Code de commerce (C.com). Le statut de l’entrepreneur individuel a été récemment réformé par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, son statut a été amélioré et s’applique sans formalités par le seul effet de cette loi, il vient remplacer celui de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

2)    Le Statut d’entrepreneur individuel

Jusqu’à la loi de février 2022 entrée en vigueur au 15 mai 2022, il fallait qu’un entrepreneur opte pour le statut de l’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL) pour voir son patrimoine divisé en deux. La loi a repris les principes en les rendant automatiques de plein droit et a donc supprimé cet ancien statut. Désormais, tous les entrepreneurs ont par principe 2 patrimoines :

●      Patrimoine professionnel

●      Patrimoine personnel

Or, cette simplification n’est que théorique. De fait, il s’agit d’un mécanisme complexe et insuffisamment sécurisant. L’EI ne peut disposer de plus de 2 patrimoines, même dans l’exercice de plusieurs activités.

3)    La protection de la résidence principale

Cette insaisissabilité de la résidence principale de l’EI devait initialement, sous l’empire de la loi du 1er août 2003, résulter d’une déclaration notariée (elle était donc permise par la loi, mais dépendait de la volonté de l’entrepreneur). C’est la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite Macron qui a supprimé la nécessité d’une déclaration pour en faire une insaisissabilité de plein droit. La règle est applicable quelle que soit la détention : en pleine propriété, en usufruit ou en nue-propriété. En cas de vente de la résidence principale, le prix obtenu reste insaisissable si les sommes sont réemployées à l’achat d’une nouvelle résidence principale. Toutefois, cet achat doit être réalisé dans l’année de la vente.

Par principe, la résidence principale de l’EI est insaisissable de plein droit pour répondre de ses dettes professionnelles. Il existe toujours la déclaration d’insaisissabilité au profit des biens immobiliers, bâtis ou non bâtis, non affectés à l’activité professionnelle. Ainsi, l’EI peut isoler son patrimoine personnel sur lequel les créanciers qu’ils soient professionnels ou personnels n’auront aucun droit (il ne peut s’agir que des dettes nées après le 7 août 2015). 

Néanmoins, dans le cas où l’EI établirait le lieu du siège de son entreprise dans son local d’habitation, la partie de sa résidence principale utilisée pour son activité professionnelle peut toutefois être saisie par ses créanciers professionnels.

4)    La séparation du patrimoine de l’entrepreneur individuel

Le nouveau statut de l’EI comprend une distinction entre le patrimoine professionnel (ses biens, droits, obligations et sûretés) et son patrimoine personnel (tout ce qui ne relève pas de ses activités professionnelles). L’Entrepreneur individuel dispose donc de deux patrimoines, désormais, c’est automatique pour tous les entrepreneurs (c’est un effet de la loi). À chaque patrimoine correspond à une catégorie de créanciers. Seul le patrimoine professionnel de l’EI est engagé pour répondre des dettes contractées pour les besoins des activités professionnelles indépendantes, les biens compris dans celui-ci sont ceux « utiles à l’activité professionnelle ». On observe une protection du patrimoine personnel de l’EI ce qui n’était pas le cas auparavant. Prenons un exemple simple et concret, est un entrepreneur individuel, le chauffeur VTC. Si ce chauffeur contracte un crédit afin de s’équiper d’un véhicule pour conduire ses clients alors cela constitue une dette conclue pour l’exercice de son activité professionnelle. Dans le cas où celui-ci se trouvait dans l’impossibilité de répondre de ses dettes, alors il pouvait supporter le paiement de celles-ci sur sa résidence principale et donc perdre son logement. C’est aujourd’hui un souvenir du passé !

a)    Le patrimoine professionnel

Le patrimoine professionnel de l’EI débute dès lors qu’il y a une immatriculation au registre dont il relève pour son activité ou à défaut à la date du début de son activité s’il n’est pas dans l’obligation de s’immatriculer. Cette dernière date se comprend comme le premier acte exercé en qualité d’EI (il s’agit principalement des cas de figure concernant les professions libérales non assujetties à l’obligation d’immatriculation d’après l’article L. 526-23 C.com.). La clôture de l’activité professionnelle emporte réunion des patrimoines professionnel et personnel. Cette cessation d’activité permet ainsi aux créanciers antérieurs de recouvrir normalement au droit de gage général sur l’ensemble des biens de la personne.

Il est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers que sur les droits nés à l’occasion de son exercice professionnel et de facto sur son patrimoine professionnel. À ce titre, le patrimoine professionnel comprend le fonds de commerce ou artisanal, les biens meubles comme la marchandise, le matériel ou l’outillage, mais aussi le nom commercial, les brevets d’invention et les sommes inscrites aux comptes bancaires. La définition claire du patrimoine professionnel de l’EI ne sera connue que dans le cadre d’une procédure collective visant quels sont les biens saisissables.

b)    Le patrimoine personnel

Le patrimoine personnel de l’EI est protégé des créanciers professionnels, ce patrimoine comprend tous les autres biens et en ce sens la résidence principale de celui-ci. De ce fait, dans le cas d’une liquidation judiciaire de l’activité professionnelle de l’EI, la résidence principale de celui-ci ne pourrait faire l’objet d’une saisie.

Seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers s’agissant des droits non nés à l’occasion de son exercice professionnel. Il existe néanmoins une exception, si le patrimoine personnel de l’EI n’est pas suffisant alors le droit de gage général pourra s’exercer sur le patrimoine professionnel de celui-ci. La limite à cette exception sera le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’EI.

S’agissant de la charge de la preuve, elle incombe à l’EI pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires sur la portion patrimoniale en question. Les créanciers non-professionnels n’ont aucun recours sur les actifs du patrimoine professionnel sauf exception. L’EI bénéficie d’une protection et d’un droit de poursuite contre le créancier négligent. En effet, la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée sur un élément d’actif ne faisant pas partie de son gage général. Ainsi, dans le cas d’un créancier personnel qui mettrait en œuvre une mesure de saisie-vente (récupération d’un bien pour le vendre) sur un bien professionnel alors celui-ci engagera sa responsabilité.

c)     Les exceptions à la distinction des patrimoines

Néanmoins, l’EI a la possibilité de renoncer au bénéfice d’un patrimoine professionnel. Dans ce cas, cette renonciation est soumise à un formalisme exigeant afin de garantir le consentement de l’EI. Le banquier octroyant un crédit à l’EI va le plus souvent lui demander de renoncer à son patrimoine professionnel afin d’obtenir un droit de gage général sur l’ensemble du patrimoine de celui-ci. Cette renonciation doit toutefois faire l’objet d’une demande écrite du créancier (en l’occurrence le banquier) et pour une créance déterminée. L’EI dispose alors d’un délai de réflexion de sept jours francs, ou bien trois jours dans le cas où l’entrepreneur ajoute à sa signature une mention manuscrite spécifique d’après l’article L. 526-25 du Code de commerce. Le créancier disposera ainsi d’un droit de gage général sur tous les biens de l’entrepreneur, qu’ils soient professionnels ou personnels.  L’entrepreneur peut cependant demander au créancier de saisir en priorité les biens du patrimoine professionnel à condition qu’ils soient suffisants pour garantir le paiement de la créance. Or, le créancier peut refuser cette demande selon l’article L. 161-1 du code des procédures civiles d’exécution (CPCE).

Par ailleurs, la séparation du patrimoine de l’EI fait figure d’exception dans le cadre du manquement aux paiements des obligations fiscales ou sociales. En principe, l’administration fiscale et les organismes de sécurité sociale sont des créanciers professionnels, le paiement de leur créance se fait donc sur le patrimoine professionnel uniquement. Cependant, certaines créances peuvent être payées sur les deux patrimoines comme la Contribution sociale généralisée (CSG) ou la taxe foncière sur les biens immeubles utiles à l’activité professionnelle. (C.com, L. 526-24).

Romain Marette, Master 2 Justice, Procès, Procédures

Sources :

https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F37396

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045167536

Section 3 : Du statut de l’entrepreneur individuel (Articles L526-22 à L526-26) : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000005634379/LEGISCTA000006146089/#LEGISCTA000045178050

https://gazette-du-midi.fr/au-sommaire/informations-juridiques/quelle-protection-pour-la-residence-principale-de-l-entrepreneur-individuel

https://bpifrance-creation.fr/encyclopedie/structures-juridiques/entreprendre-seul/entrepreneur-individuel

https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F36354https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F31204/personnalisation/resultat?lang=&quest0=0&quest=

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