La légalisation de la GPA en France : un débat réouvert ?

Le 23 avril dernier, la tête de liste du parti « Reconquête ! » pour les prochaines élections européennes s’est interrogée par un tweet sur la plateforme X (anciennement Twitter) sur l’absence de mère, après l’annonce de la naissance des jumeaux du styliste français Simon Porte Jacquemus. Ce tweet d’une quinzaine de caractères n’a pas manqué de faire débat. Pour la porte-parole du Gouvernement et le Garde des sceaux, il s’agit d’ « homophobie ». La ministre en charges des Familles appelle à « avoir un débat » sur la question de la GPA, et à « sortir de l’hypocrisie », alors que d’anciens ministres sont quant à eux ouvertement favorables à cette pratique. Ces prises de positions tranchent avec les mots du candidat Macron en 2022, qui annonçait que « La GPA n’a pas à avoir cours en France ». Du côté de l’opinion publique, près de 6 Français sur 10 se déclarent favorables à la légalisation de la GPA en France.

On le constate donc, la gestation pour autrui, plus communément dénommée « GPA » est un sujet qui divise, qui clive, car comme nous le verrons, cette pratique vient à remettre en cause des principes éthiques et juridiques fondamentaux. Mais avant toute chose : qu’est-ce que la GPA ? Sur quel fondement est-elle interdite aujourd’hui ? Comment est-elle sanctionnée ? Quelle réponse apporte le droit aux enfants nés d’une GPA à l’étranger ? C’est à toutes ces questions que nous nous proposons de répondre en s’intéressant dans un premier temps à la prohibition de la GPA (I), avant de s’attacher à l’épineuse question de la filiation des enfants nés d’une GPA à l’étranger dans un second temps (II).

I.              La prohibition de la gestation pour autrui

Le sujet de la GPA est apparu en France à la fin des années 1980, quand la Cour de cassation a prononcé la nullité des associations qui étaient destinées à mettre en relation des couples en mal d’enfant et des femmes disposées à les aider. Quelques années plus tard, réunie en Assemblée Plénière, la Cour de cassation a affirmé que toute « convention par laquelle une personne s’engage […] à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain, qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ». Suite aux premières lois bioéthiques, la solution jurisprudentielle a été consacrée à l’article 16-7 du Code civil qui dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle », que celle-ci soit réalisée à titre onéreux ou à titre gratuit. Cette prohibition sur le double fondement de l’indisponibilité du corps humain et de l’indisponibilité de l’état des personnes permet de souligner la « violence », en reprenant les termes du Comité consultatif national d’éthique, de la GPA à l’égard de la mère porteuse et de l’enfant.

Néanmoins, l’éventualité d’une légalisation de la GPA en France n’a jamais été aussi forte. De nombreux arguments sont mis en avant : la liberté des femmes de disposer de leur corps et à la générosité ; une égalité en réponse à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées, ou bien encore tirer les conséquences de la légalisation de la GPA dans certains pays et offrir un cadre « éthique » pour la pratique en France. Malgré tout, de solides raisons plaident pour le maintien de la prohibition. En effet, la légalisation de la GPA viendrait non seulement remettre en cause les principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, mais aussi du principe de dignité humaine, qui prohibe la réification de la personne (c’est-à-dire traiter l’être humain comme un moyen), or la GPA considèrerait la femme gestatrice comme une fonction à exploiter et l’enfant comme un produit à livrer. Enfin, de nombreuses questions se poseront en cas de légalisation : les demandeurs, devraient-ils justifier d’une infertilité ? Autoriserait-on la GPA intrafamiliales ? Comment apprécier la liberté et l’intégrité du consentement de la mère porteuse ? La mère porteuse, pourra-t-elle avorter ? Les commanditaires, pourraient-t-ils le lui imposer ?

Malgré l’interdiction de la GPA en France, de nombreux Français n’hésitent pas à se rendre à l’étranger pour y conclure des conventions de maternité pour autrui, puis reviennent en France avec les enfants nés de cette technique. Dès lors, les juridictions françaises doivent-elles prendre ou non en compte le lien de filiation établi légalement à l’étranger, mais qui se trouve prohibé en France ? C’est ce que nous nous proposons de répondre.

II.            La filiation des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger

Dans un premier temps, la Cour de cassation a refusé cette retranscription en réaffirmant la nullité de la convention de GPA : « en l’état actuel du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel de droit français de faire produire effet au regard de la filiation à une convention portant sur la gestation pour autrui, qui, fut-elle licite à l’étranger est nulle d’une nullité d’ordre public ». Saisie par les couples insatisfaits, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour. EDH) a rendu un arrêt favorable à la transcription de l’acte de naissance au nom du droit au respect de la vie privée et familiale des enfants de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Dans un second temps, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence de 2011 suite à la condamnation de la France par la Cour. EDH. La Haute-juridiction a reconnu la paternité du père d’intention (qui était le père biologique de l’enfant) car l’acte de naissance étranger n’est ni irrégulier, ni falsifié et que les faits qui y sont rapportés correspondent à la réalité.

Dans un troisième temps, la Cour de cassation dans une série de cinq arrêts affirme le droit à l’adoption de l’enfant né d’une GPA légalement faite à l’étranger par le parent non-biologique (c’est-à-dire la mère d’intention ou le père non-biologique). Cette solution a été jugée conforme à la CEDH.

Dans un quatrième temps, la Cour de cassation a admis la transcription de l’acte de naissance concernant le parent d’intention non-biologique en mettant en œuvre un contrôle de proportionnalité. Le rejet de la transcription des actes de naissance, au nom de la prohibition des conventions de mère porteuse, est apparu comme constituant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des enfants, garanti par l’article 8 de la CEDH.

Enfin, la loi bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021 est venue modifier l’article 47 du Code civil. La réalité des faits mentionnés dans l’acte de naissance doit être appréciée au regard de la loi française, or selon le droit français la mère ne peut être que celle qui accouche en vertu de l’article 311-25 du Code civil. Ainsi, cette nouvelle rédaction empêche la mère d’intention et le père d’intention (s’il n’est pas le père biologique) de transcrire les actes étrangers des enfants nés d’une GPA à l’étranger. La voie de l’adoption reste néanmoins maintenue.

BLONDEL Sylvain Master 2 Droit privé général

Pour aller plus loin :

–        Civ. 1er, 13 déc. 1989, n°88.15.655

–        Ass. plén. 31 mai 1991, n°90.20.105

–        CCNE, avis, 1er avr. 2010, n°11 ; CCNE, avis 15 juin 2017, n°126

–        Civ. 1er, 6 avr. 2011, n°09.66.486, Bull. civ. I, n°71

–       CEDH, 26 juin 2014, no 65192/11, Mennesson c/ France et CEDH, 26 juin 2014, no 65941/11, Labassée c/ France

–        Civ. 1er, 3 juill. 2015, no 14-21323 et no 15-50021

–        Civ. 1er, 5 juill. 2017, n°16.16.901

–        CEDH, 12 déc. 2019, C c/ France, no 1462/18 et E c/ France, no 17348/18

–        Ass. Plén. 4 oct. 2019, n°10.19.053

–        Civ. 1er, 4 nov. 2020, n°19.50042

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