La fiscalité des bons de souscription d’actions et des options d’achat d’actions


Qui n’a jamais rêvé d’une “success-story”, la même épopée grandiose et prospère que nous vend si bien Hollywood ? Pour J.F. Kennedy : “L’art de la réussite consiste à savoir s’entourer des meilleurs”, et ça le businessman averti l’a bien compris. Une fois encore, tout droit venus des Etats-Unis, les management packages sont désormais presque indispensables aux opérations de capital-risque (ou venture capital). Pour espérer une croissance rapide, une entreprise a besoin de fonds et de compétences à faire valoir. Dans cette logique l’investisseur et celui qu’on appelle parfois l’homme clé, qu’il soit dirigeant ou salarié, apportent respectivement leurs bagages. Le but du management package est d’intéresser l’homme clé au capital de la société. D’une part, c’est un moyen sûr pour l’investisseur de s’entourer de personnes compétentes, et ce pour une durée suffisante à l’opération. En effet, la mise en place du mécanisme induit des clauses de non-concurrence, d’inaliénabilité des titres acquis pour une période définie, etc. D’autre part, pour l’homme clé, dans l’hypothèse d’une opération réussie, c’est la promesse d’une belle plus-value lors de la cession des titres. Puisqu’il s’agit pour lui d’un intérêt principalement financier, le contribuable doit se montrer particulièrement vigilant sur la fiscalité du mécanisme qu’il choisit.

I.           Mise en contexte et enjeux

Pratiqué depuis une vingtaine d’années, le législateur a codifié certains mécanismes et régimes fiscaux, on pense bien sûr aux stocks-options, aux attributions d’actions gratuites ou encore aux bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE). Cependant pour plusieurs raisons, le manque d’attractivité fiscale[1] ou la difficulté liée à certains critères pour l’application du régime, ce ne sont pas nécessairement les plus usités en pratique. Toujours dans cette logique d’intéressement au capital, l’homme clé pourra, par exemple s’il atteint des objectifs, être récompensé par l’émission de titres supplémentaires. Pour ce faire, il peut recevoir des titres composés, chacun contenant un titre primaire (l’action en elle-même) et un titre secondaire (un bon de souscription d’action (BSA)), ou des actions de préférence lui conférant une option d’achat de titres. Le BSA est une valeur mobilière donnant accès au capital[2], les actions de préférence sont quant à elles des actions “assorties de droits particuliers de toute nature”[3].

Le législateur ne s’étant pas emparé du sujet, c’est à la jurisprudence que revenait la tâche de détailler le régime fiscal applicable. En l’absence de disposition impérative prévue par le Code général des impôts, le juge de l’impôt doit se baser sur les principes généraux du droit fiscal. Ce dernier étant un droit de superposition, les modalités d’imposition d’un acte doivent donc en principe, découler de sa qualification juridique. Les BSA et les options d’achat de titres ont pendant longtemps été sujet de discorde. Si beaucoup de contribuables considéraient le gain réalisé comme une plus-value de cession de valeurs mobilières, l’administration fiscale se bornait à considérer celui-ci comme relevant de la catégorie des traitements et salaires. Pour motiver son postulat, l’administration regardait l’avantage non pas comme découlant de la qualité d’investisseur du bénéficiaire, mais plutôt comme la contrepartie d’un travail réalisé en qualité de dirigeant ou salarié.

La qualification retenue par l’administration implique de lourdes conséquences sur le plan fiscal, surtout quand on remet en perspective l’utilisation de ce type de bon de souscription. En effet, ils sont souvent consentis à des dirigeants, personnes percevant par hypothèse des rémunérations pouvant atteindre un taux marginal d’imposition de 41 ou 45% au barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR), contre un taux fixe de 12.8%[4] en cas de qualification de plus-value de cession sur valeurs mobilières5.

II.         Le régime dégagé par la jurisprudence

D’abord le Conseil d’Etat avait retenu le critère de l’absence de risque pour refuser au contribuable la qualité d’investisseur et donc analyser l’opération en tant que rémunération liée à la qualité de dirigeant ou salarié. En effet, on comprend dans la décision du 26 septembre 2014 (n°365573) que la levée d’une option de souscription au capital suivie, le jour suivant, de la cession des titres acquis, est imposable dans les conditions prévues aux articles 79 et 82 du Code général des impôts. Puisque les modalités d’imposition sont définies par les conditions d’obtention desdits titres, et dans l’hypothèse où le titre ne change aucunement de valeur entre la levée d’option, qui découle directement de la qualité de dirigeant ou salarié, et la revente, le gain revêt bien, exclusivement, la nature d’un salaire.

Plus récemment, trois arrêts du Conseil d’Etat rendus en formation plénière fiscale le 13 juillet 2021, viennent donner de nouveaux critères d’appréciation dans la qualification fiscale des BSA et des options d’achat d’actions.

Dans les faits, deux arrêts portaient sur la cession de bons de souscription d’actions, le troisième portait sur la cession d’actions obtenues après levée d’option d’achat.

Dans la rédaction des arrêts, qui reprennent des considérants similaires, le Conseil d’État dresse une nouvelle temporalité pour apprécier la qualification des gains du bénéficiaire. Premièrement à l’entrée, soit lors de l’acquisition des bons ou de l’option. Deuxièmement, à la date de l’exercice des bons ou de la levée d’option. Troisièmement à la sortie, date de cession des bons ou cession des actions acquis lors de l’option.

Concernant le gain à l’entrée, le Conseil d’État juge la chose suivante : « La circonstance que des options d’achat d’actions ou des bons de souscription d’actions ont été acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est de nature à révéler l’existence d’un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur. ». Il est donc nécessaire de prouver l’existence d’un avantage, et un lien entre celui-ci et les fonctions de dirigeant ou salarié. Si les conditions sont réunies, l’avantage est alors imposable au titre de l’année d’acquisition, dans la catégorie des traitements et salaires selon les articles 79 et 82 du Code général des impôts. Même si aucun flux financier entrant n’est enregistré pour le bénéficiaire, l’avantage est donc bien taxable l’année de l’acquisition du bon et non pas à l’année de cession du bon ou des actions.

La plus-value latente réalisée à l’exercice du bon ou de l’option et qui se définit comme « la différence entre la valeur réelle de ces actions à la date de levée de cette option et leur prix d’achat majoré, le cas échéant, du montant acquitté pour acquérir cette option ainsi que de l’avantage ayant été éventuellement imposé » est également imposable l’année d’option dans la catégorie des traitements et salaires si le gain est réalisé essentiellement en qualité de dirigeant ou salarié. En droit fiscal français, hors exception expressément prévue par les textes, les plus-values latentes ne sont en principe pas imposables. Cette décision n’est donc pas exempte de toute critique.

Concernant la sortie, le Conseil d’État juge qu’en principe, aussi bien pour l’exercice des BSA, pour la levée d’option, pour la cession des bons ou des actions résultant d’options, les gains ont bel et bien la qualité de plus-value de cession sur valeurs mobilières.

Cependant, « Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant ». Dans cette hypothèse le gain à la sortie revêt le caractère d’un salaire, là encore imposable dans les conditions prévues aux articles 79 et 82 du Code général des impôts.

De manière plus explicite, la qualité de dirigeant ou salarié sera privilégiée, comme évoqué précédemment, lors d’une cession immédiate intervenant sans variation de valeur des titres et le juge pourra également apprécier souverainement les faits en fonction des clauses introduites dans le contrat d’attribution des bons ou de l’option d’achat. Le rapporteur public cite par exemple l’incessibilité des titres jusqu’au dénouement de l’opération. Ainsi, si l’homme clé n’acquiert les titres qu’au dernier moment en vue de la cession, il n’est jamais voué à exercer ses droits d’associé, et donc la qualité d’investisseur lui est refusée.

Enfin, le 28 septembre 2023[5], la Cour de cassation juge que les BSA entrent dans le champ d’application des cotisations sociales lors de leurs exercices si ces derniers sont acquis à condition préférentielle en contrepartie du travail. Elle suit donc la logique du Conseil d’Etat et vient un peu plus contraindre le contribuable.

III.       Quelques points de vigilance

L’administration, dans l’éventualité d’un contrôle, va chercher à vérifier l’existence des différents critères retenus par la jurisprudence. Pour reprendre le cas des BSA, l’existence même d’un avantage pour le bénéficiaire peut être soumis à litige. Pour prouver l’absence d’avantage, le bénéficiaire va donc chercher à montrer que le prix d’acquisition du bon est semblable à celui du marché. Autrement dit, qu’un tiers aurait pu acquérir le même type de bon à un prix similaire. Pour cela il peut s’armer des différents rapports d’expertise, ou méthodes de calcul normalement utilisées pour la valorisation du bon. A l’inverse, l’administration va chercher à montrer l’existence d’une différence, qui sera égale à l’avantage taxable.

Aussi, a contrario, on peut se demander si, dans les faits, l’existence d’une acquisition à prix désavantageux entraînerait une conséquence fiscale bénéfique pour le bénéficiaire, par exemple la constatation d’une moins-value reportable sur la potentielle plus-value de cession par exemple. Même s’il s’agit de rémunération, qui serait potentiellement imposée dans la catégorie des traitements et salaires pour le bénéficiaire, il n’y a aucun flux financier sortant pour la société personne morale. En effet, les deux seules opérations incluant la société sont la cession du bon et l’émission des actions dans le cas de l’exercice du BSA ou de la levée d’option. Il ne peut donc en principe pas y avoir de redressement au motif d’une rémunération excessive du dirigeant. Pour autant, la société pourra recevoir une proposition de rectification selon un autre motif. La théorie de l’acte anormal de gestion permet de remettre en cause les dépenses exposées sans contrepartie suffisante pour l’entreprise. Un acte pouvant mener à l’émission de titres à prix minoré sera alors litigieux. La différence entre la valeur vénale et le prix de cession peut être réintégrée au résultat de l’entreprise, puis soumise à l’impôt. De plus, en face d’un montage litigieux, l’abus de droit peut être retenu. L’arrêt du Conseil d’Etat du 28 janvier 2022 rendu par les 10ème et 9ème chambres, (n°433965)[6] en est un exemple.

Pour conclure, l’appréciation casuistique de revenu trouvant « essentiellement sa source dans les fonctions de dirigeant ou salarié de l’intéressé » n’est pas réellement satisfaisante. Le législateur a donc tout intérêt à codifier ce qui n’est pour l’instant qu’une solution contractuelle.

Baptiste DALIGAUX, Master 2 Droit des Affaires et Fiscalité

[1] J.-Ch. Simon, La fin programmée des stock-options, Les Échos, 20 déc. 2012

[2] Article L228-91 du Code de commerce

[3] Article L228-11 du Code de commerce

[4] Taux du Prélèvement forfaitaire unique (PFU) dit Flat tax; (article 200 A du Code général des impôts) 5 Article 150-0 A du Code général des impôts

[5] Cass., Civ. 2ème, 28 septembre 2023, n° 21-20.685, Publié au bulletin

[6] Pour aller plus loin : La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 06, 10 février 2022, act. 155

Sources :

–       J.L. PIERRE, Régime d’imposition des gains tirés de management packages, Droit des sociétés n° 11, novembre 2021, comm. 141

–       CMS Francis Lefebvre, publié le 27/09/2021, Le Conseil d’Etat se prononce sur le traitement fiscal des management packages, consulté le 09/05/2024, en ligne :

https://cms.law/fr/fra/news-information/le-conseil-d-etat-se-prononce-sur-le-traitement-fiscaldes-management-packages

–       CMS Francis Lefebvre, publié le 07/11/2023, L’actualité des management packages, consulté le 09/05/2024, en ligne : https://cms.law/fr/fra/news-information/l-actualite-des-management-packages201

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