Une « BBC à la française » : le big bang de l’audiovisuel public français

Le 23 et 24 mai 2024, l’Assemblée nationale a examiné la proposition de loi portant sur la « réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle », dont Rachida Dati, ministre de la culture, avait obtenu l’inscription à l’ordre du jour. À l’image des divergences d’opinions concernant ce projet, au même moment, les syndicats de Radio France ont appelé à la grève.

Le projet de fusion

Cette proposition de loi de fusion de l’audiovisuel public français est d’origine sénatoriale mais a été remise au goût du jour par la ministre de la culture. Elle est présentée comme visant à restructurer les entités de l’audiovisuel pour en optimiser le fonctionnement et améliorer leur compétitivité face aux nouveaux acteurs internationaux du numérique.

Ce texte concernerait France Télévisions (qui détient France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô…), Radio France et l’INA (Institut National de l’Audiovisuel). France télévisions et Radio France sont des sociétés anonymes dont le capital est entièrement détenu par l’État, tandis que l’INA est un établissement public à caractère industriel et commercial. Ces entités ont un point commun car, même si la loi ne mentionne pas de service public de l’audiovisuel, elle définit un « secteur public de la communication audiovisuelle » (titre III de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986).
Néanmoins, il est possible de parler de service public de l’audiovisuel en ce que l’article 43-11 de la loi du 30 septembre 1986 impose à ces sociétés de poursuivre des missions de service public dans l’intérêt général.

L’objectif affiché par le Gouvernement est de proposer une offre plus compétitive. La ministre de la culture espère, par cette fusion, permettre une plus grande compétitivité de l’audiovisuel français face à des plateformes internationales comme Netflix ou Amazon Prime. Le gouvernement appuie sur le manque d’optimisation et d’organisation des médias publics français à la différence des médias privés français et des médias publics dans d’autres pays européens.

Les objectifs affichés par ce projet de loi sont la rationalisation des coûts, le renforcement de la mission de service public, l’adaptation à l’ère du numérique, la garantie du maintien d’indépendance et une gouvernance structurée.

L’organisation de la nouvelle structure

Le rapprochement entre ces différents acteurs s’organiserait en deux étapes. Il débuterait au 1er janvier 2025 par la création d’une société holding, suivie le 1er janvier 2026 par la fusion de ses filiales en une entreprise unique, la société France Médias.

Le premier pas vers la fusion, la holding est une société qui a pour objectif de détenir soit des parts, soit des actions de société afin d’en assurer une unité de direction et de contrôle. À défaut d’avoir la reconnaissance d’un statut juridique légal, la Cour de cassation a affirmé sa validité par un arrêt rendu le 24 février 1987 (Cass. com., 24 févr. 1987, 86-14951).

Le capital de la holding serait détenu à 100% et directement par l’État. La société disposera de fonctions stratégiques pour chapeauter les trois entreprises. L’idée de cette phase transitoire sous la forme d’une holding est de permettre la mise en place des instances de gouvernance et l’équipe dirigeante de la future entreprise unique permettant ainsi d’organiser un regroupement plus intégré sous l’entreprise unique.
Les règles de gouvernance ainsi posées, le PDG choisi pour diriger la holding sera nommé pour cinq ans sur proposition du conseil d’administration de la société et sur décision de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Ce PDG deviendra par la suite le directeur de l’entreprise unique.
In fine, cette première étape a pour objectif de préparer la deuxième.

En effet, ce type de société peut permettre la préparation d’une « fusion-absorption ». Ce terme décrit la situation dans laquelle une société absorbe l’ensemble du patrimoine d’une autre société. La conséquence étant l’augmentation de capital de la société absorbante (France Médias). En effet, cette fusion aurait un budget de 4 milliards d’euros et concernerait 16 000 salariés.

Mais ce n’est pas la seule conséquence, cette fusion-absorption permettrait aussi la dissolution de la société absorbée (en l’espèce les 3 filiales au sein de la société France Médias) sans qu’elle soit liquidée. Dès lors, les associés des sociétés absorbées auront la possibilité de devenir associés de la société absorbante (France Médias) par l’émission de nouvelles parts sociales. En l’espèce, cette phase permettrait de « définir les orientations stratégiques » des entreprises et « de veiller à la cohérence et à la complémentarité de leurs offres de programmes » puis de passer à l’entreprise unique.

Les critiques formulées sur le projet de fusion

Néanmoins, la potentielle future fusion connaît déjà un bon nombre de détracteurs. Pour certains cette réforme n’a pas pour but une recherche de compétitivité vis-à-vis d’acteurs internationaux mais plutôt celui de réduire les coûts de structure et à terme aura pour finalité une baisse de qualité du service public.

Sur ce point, une question cruciale fait débat celle du plafonnement des recettes publicitaires. Pour la droite sénatoriale, les recettes devraient être supprimées ou au minimum plafonnées, convaincue que l’audiovisuel public devrait être financé par des fonds publics ce qui serait gage de qualité. Le Gouvernement s’oppose à cette idée et c’est ainsi que la Commission des affaires culturelles a voté pour un amendement concernant le déplafonnement des recettes affirmant que la limitation de ces revenus priveraient les médias publics des bénéfices de leurs succès d’audience.

Une autre critique formulée à l’encontre de ce projet de loi serait le risque de centralisation excessive. En effet le rassemblement de l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel public sous la coupe d’une seule et même administration pourrait entraîner une limitation de leur pluralisme, de la diversité des médias et une uniformisation des lignes éditoriales.

Pour tenter de ne pas tomber dans ces écueils, plusieurs éléments ont été développés dans le projet de loi, ou par ajout d’amendements.

Le risque que la fusion entraîne une perte de spécialisation, en floutant l’expertise particulière de chacun des médias au sein de la fusion, a été pris en considération pour France Médias Monde. En effet, à ce sujet, des désaccords se sont déjà fait entendre entre les députés et les sénateurs concernant l’exclusion de France Médias Monde du projet de fusion. L’expertise internationale de ce média, à la différence des autres médias parties au projet, explique qu’il ne fasse plus partie du projet de fusion.

De plus, le projet de loi comporte le détail de la composition des conseils d’administration. Ainsi, une personnalité indépendante devra être comprise dans les conseils d’administrations pour veiller à l’impartialité de l’information. Ce point a été ajouté par amendement pour renforcer l’indépendance du secteur public audiovisuel. Il reprend une proposition du rapport sénatorial de 2022 sur la concentration des médias.

Il est aussi possible de se demander si la fusion n’a pas d’autres objectifs que celui mis en avant par le Gouvernement. En effet, au-delà d’une recherche de compétitivité plus accrue sur la scène internationale, la question d’une recherche de financement de l’audiovisuel public plus stable se fait ressentir.
 À l’époque, le financement se faisait par la redevance audiovisuelle appelée contribution à l’audiovisuel public (CAP) qui représentait plus de 3 milliards d’euros chaque année. En 2022, cette redevance est supprimée et on passe à un financement basé sur un prélèvement sur la TVA. Par voie de conséquence, cette recette dépend de la consommation des ménages ce qui empêche la garantie d’un revenu fixe.
C’est en cela qu’en 2023, le Sénat proposait déjà un changement de type de revenu en suggérant une « ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l’inflation ».

Finalement, le vote de ce projet de loi s’annonce complexe et l’on peut se demander si, comme l’a répété devant les députés de la commission des affaires culturelles Rachida Dati, ce 14 mai, « le moment politique est réellement venu » ?

Charlotte DAVID – M1 Droit public

Sources :

Audiovisuel public : le déplafonnement de la publicité, une « ligne rouge » pour le Sénat, Public Sénat, Rose-Amélie Becel, 15 mai 2024

Rapport d’information sur les missions du service public de l’audiovisuel et l’offre de programmes,

Dominique RICHARD, Assemblée nationale

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