La régularisation des autorisations d’urbanisme

Dans le Bulletin de la société Neuchâteloise de géographie, Paul Clerget définit l’urbanisme comme «  l’étude systématique des méthodes qui permettent d’adapter l’habitat et plus particulièrement l’habitat urbain aux besoins des hommes ».

De manière générale, le droit de l’urbanisme est une branche du droit public qui touche différentes matières juridiques et qui « regroupe l’ensemble des règles juridiques qui permettent dassurer la conformité de l’aménagement du territoire aux objectifs du gouvernement ». Ainsi, différents instruments sont proposés tels que des plans (Plan Local d’Urbanisme), des schémas (Schéma de Cohérence Territoriale) auxquels de nombreux actes administratifs doivent se fier et respecter. Parmi ces actes on trouve notamment les autorisations d’occupation des sols. Elles s’apparentent aux permis de construire, d’aménager et de démolir et sont des préalables nécessaires à toutes ces actions.

Dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 mars 2024 (CE 11 mars 2024, n° 464257), il était question d’un permis de construire délivré par le maire de la commune de Saint-Raphaël. 

En l’espèce, cet acte administratif autorise le pétitionnaire (bénéficiaire du permis) à réaliser l’extension d’une construction déjà existante. Le Conseil d’Etat est juge de cassation et a dû contrôler, au terme d’un dernier recours, la décision du 22 mars 2022 rendue par le tribunal administratif de Toulon. Le tribunal administratif s’était penché sur la question de la fraude comme limite à la régularisation des autorisations d’urbanisme. Il avait affirmé cette restriction à la pratique de la régularisation. 

Ainsi, il faudrait tout d’abord s’intéresser à la notion de régularisation en droit de l’urbanisme mais également se pencher sur la base législative de ce mécanisme et sur ses potentielles limites.

  • La notion de régularisation d’une autorisation d’urbanisme

Tout d’abord, afin de comprendre la régularisation, il faudrait s’intéresser à la manière dont ces actes sont délivrés. Ces autorisations permettent à la commune de s’assurer que les travaux envisagés sont en accord avec les plans et les schémas applicables sur le territoire. Il s’agit donc avant tout d’un moyen de contrôle permettant de gérer les différentes actions d’aménagement du territoire.

L’exemple d’autorisation, dont vous pouvez retrouver un schéma de la procédure ci-dessous, concerne le permis de construire en lien avec l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 mars 2024. 

Ainsi, une fois que l’on connaît la portée, le mécanisme de délivrance et l’intérêt de ces actes, il s’agira de se pencher sur l’utilité de la régularisation. Avant tout, la régularisation est un moyen de substitution à la condamnation en droit de l’urbanisme. Très souvent ce mécanisme est mis en œuvre avant même toute intervention au fond par le juge administratif. Les infractions, contenues dans le Code de l’urbanisme, aux articles L480-1 à L480-16, s’apparentent notamment aux infractions aux règles de fond, aux règles de forme (procédure), relatives au droit d’accès à certains lieux, relatives à un régime particulier d’autorisation.

De cette manière, comme le définit Julien Martin, professeur de droit public à l’université de Bordeaux : « La régularisation permet de tenir compte d’une illégalité soit en modifiant un acte en vue de le rendre conforme aux règles applicables, soit en adoptant un acte, lorsque la situation en cause en nécessitait un pour être régulière ». Il s’agit donc d’un mécanisme qui contribue à purger tous les vices impactant un acte administratif pour un motif de sécurité juridique car l’acte ne disparaîtra pas de l’ordre juridique après la découverte du vice. 

Cette régularisation est légale et présente dans le Code l’Urbanisme au sein de deux articles majeurs : l’article L. 600-5 et l’article L. 600-5-1.

  • Les articles L 600-5 et L 600-5-1 du Code de l’Urbanisme

Ces deux articles législatifs sont centraux dans la régularisation des autorisations d’urbanisme et notamment vis-à-vis des pouvoirs que le juge administratif détient en la matière.

Tout d’abord l’article L600-5 du Code de l’urbanisme détermine le pouvoir du juge en matière d’annulation partielle des autorisations d’urbanisme. Lorsque le juge administratif est saisi d’une demande de régulation et s’aperçoit qu’une partie de l’acte ne peut être régularisable, celui-ci peut effectuer une annulation partielle en la limitant à la partie viciée de l’acte. Cela permet donc de ne pas voir l’acte pris subir une annulation complète et disparaître de l’ordre juridique. 

Quant à l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme, celui-ci relate le pouvoir du juge de surseoir à statuer lors de la régularisation d’une autorisation d’urbanisme. En effet, ce pouvoir permet au juge de reporter sa décision en laissant le temps à l’autorité administrative de déposer une demande de régularisation de l’autorisation d’urbanisme et permettre à l’administration de la mettre en œuvre. Suite à cela, « Si le vice [constaté par le juge] est régularisé dans le délai accordé, la requête est rejetée. S’il ne l’est pas, l’autorisation attaquée est annulée »

L’articulation de ces deux articles a notamment été mise en place dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 17 mars 2021 (Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 17/03/2021, 436073). Dans cette affaire, il y avait la présence de deux types de vices : le premier régularisable et le second non régularisable. En effet, lorsque la régularisation peut être effectuée, le juge sursoit à statuer en attendant que le vice constaté soit régularisé en application de l’article L600-5-1 du Code de l’urbanisme. Une fois que le vice a disparu de l’acte, le juge met en place l’article L600-5 en annulant partiellement la partie de l’acte non régularisable.

Cependant, le Conseil d’Etat détermine certaines limites quant à l’application de ces deux articles.

  • Limites à la régulation des autorisations d’urbanisme

Comme l’explique, Julien Martin, professeur de droit public à l’université de Bordeaux, dans son article “Existe-t-il une limite à la régularisation des autorisations d’urbanisme?”, la place laissée à la régularisation en matière d’urbanisme est large. Très peu de limites existent réellement et le mécanisme est défendu par la jurisprudence administrative. La loi de 2006 apporte une dimension contentieuse à la pratique de la régularisation des autorisations d’urbanisme en introduisant l’article L600-5 au Code de l’Urbanisme.

Cependant des limites demeurent et rendent l’utilisation du mécanisme insusceptible d’application. Il s’agit notamment des « situations […] relatives aux zones inconstructibles, aux constructions déjà réalisées mais contraires aux permis de régularisation, et aux constructions réalisées sans permis » ; bien que cette dernière puisse être régularisée par la demande du permis de construire manquant.

La décision du Conseil d’Etat du 11 mars 2024 apporte donc une nouveauté aux limites en la matière. Il s’agit de la fraude. Le juge administratif reste sur une vision classique de la fraude en matière administrative : « En droit administratif, la fraude est le fait pour un administré de contourner la loi ou de la détourner de son esprit par un artifice visant à tromper l’administration et obtenir d’elle une autorisation ». En l’espèce, afin de déterminer la fraude, le Conseil d’Etat s’est basé sur le fait que la construction existante “était en réalité en ruines et ne pouvait, de ce fait, être qualifiée de construction existante ». Pour établir l’intention frauduleuse du pétitionnaire, le Conseil d’Etat a déterminé que celui-ci « avait sciemment induit la commune en erreur en présentant cet appentis comme un bâtiment existant sur les plans joints à sa demande », et a également omis de joindre, aux photographies de la construction présentes dans le dossier, « une photographie de la façade nord du garage ». Ainsi, au vue de la volonté de tromper la commune afin d’obtenir le permis de construire demandé, le Conseil d’Etat a retenu la qualification de fraude dans la délivrance de ce permis du construire. Il a donc écarté l’application des articles du Code de l’urbanisme vus plus haut. 

Par ailleurs, Arthur de Dieuleveult, avocat associé et Johanna Roualdes, élève-avocate reprennent, dans leur article publié sur Dalloz, les conclusions du rapporteur public Laurent Domingo qui précisent que « le juge judiciaire estime même que le permis obtenu par fraude équivaut à son absence et soumet son bénéficiaire à l’application des dispositions du code de l’urbanisme qui répriment les constructions sans permis ».

La régularisation en matière d’urbanisme ne peut donc désormais pas être appliquée en cas de fraude.

Bathilde LAHBARI, étudiante en Master 1 métiers des contentieux publics et du droit public général

Pour aller plus loin : 

Qu’est-ce que le droit de l’urbanisme ? JuriPresse https://www.juripresse.fr/blog/quest-ce-que-le-droit-de-lurbanisme/

CE 11 mars 2024, n° 464257 : https://www-dalloz-actualite-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2024/03/ce_11_mars_2024_ndeg_4642571_mentionne_au_lebon.pdf

Permis de construire : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1986

Existe-t-il une limite à la régulation des autorisations d’urbanisme ? du Professeur de droit public Julien Martin : https://www-labase-lextenso-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/revue-du-droit-public/RDP2020-1-005?em=Existe-t-il%20une%20limite%20%C3%A0%20la%20r%C3%A9gularisation%20des%20autorisations%20d%27urbanisme%E2%80%85%3F

Portée de l’article L600-5 du Code de l’Urbanisme : https://ahavocats.fr/article-l-600-5-du-code-de-lurbanisme-le-conseil-detat-rappelle-que-lorsque-le-permis-de-construire-est-dans-son-entier-vicie-par-une-illegalite-alors-aucune-annulation-partiell/

Qu’est-ce qu’une mesure de régularisation au sens de l’article L600-5-1 ? : https://www.actu-juridique.fr/administratif/urbanisme-quest-ce-quune-mesure-de-regularisation-au-sens-de-larticle-l-600-5-1/

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 17/03/2021, 436073 : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043266686?init=true&page=1&query=436073&searchField=ALL&tab_selection=all

La fraude, nouvelle limite à la régularisation des autorisations d’urbanisme de Arthur de Dieuleveult avocat associé et Johanna Roualdes élève-avocate : https://www-dalloz-actualite-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/flash/fraude-nouvelle-limite-regularisation-des-autorisations-d-urbanisme

Décisions

Conseil d’État, 10ème – 9ème chambre réunies, 11 mars 2024, n° 464257 

Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 17 mars 2021, n°436073

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