Depuis le Brexit, Paris est devenu la première place financière de la zone euro. Paris a même dépassé Londres en novembre 2022 (1). Pourtant, de grands enjeux, tels que le financement de la transition énergétique, évalué à soixante milliards d’euros à l’horizon 2030 (2), imposent de renforcer cette position. C’est ainsi que, d’initiative parlementaire, la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France est née. Déposée par des membres de l’ancienne majorité à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi a été adoptée en première lecture à l’Assemblée le 10 avril 2024, puis au Sénat le 14 mai. Par suite d’un accord en commission mixte paritaire le 28 mai, le texte a été approuvé par le Sénat le 3 juin, puis par l’Assemblée nationale le 5 juin. La loi a été promulguée le 13 juin 2024, puis publiée au journal officiel le 14 juin.
Cette loi contient diverses dispositions touchant le droit des affaires dans son ensemble. Ainsi, par exemple, la loi permet la dématérialisation des lettres de change et des billets à ordre. Toutefois, nos développements seront exclusivement consacrés au droit des sociétés.
La loi donne par ailleurs plusieurs habilitations au gouvernement pour légiférer par voie d’ordonnance. Celui-ci est ainsi autorisé, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, à prendre toute mesure permettant de créer un régime de fractionnement des instruments financiers et, dans un délai de neuf mois, à modifier le régime des organismes de placement collectif et le régime des nullités en droit des sociétés. Ces habilitations ne constituant pas des injonctions, leur mise en œuvre est incertaine en raison du contexte politique. En effet, la loi attractivité a été adoptée très peu de temps avant la dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée par le Président de la République le 9 juin 2024.
Deux séries de mesures impactent le droit des sociétés. Certaines visent à simplifier et à moderniser le fonctionnement sociétaire (I), tandis que d’autres visent à faciliter le financement des sociétés par actions (II).
I – La simplification et la modernisation du fonctionnement sociétaire
La loi attractivité permet notamment la digitalisation du fonctionnement des organes sociaux (A) et apporte diverses modifications au fonctionnement des organes de direction et de surveillance des sociétés anonymes (B).
A. La digitalisation du fonctionnement social
La digitalisation du fonctionnement des organes sociaux concerne les assemblées générales (1) et les conseils d’administration et de surveillance des sociétés anonymes (2).
1 – Les assemblées générales
La loi apporte des changements dans les sociétés civiles, dans les sociétés en nom collectif (SNC), dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL) et dans les sociétés anonymes (SA). L’absence de la société par actions simplifiée (SAS) des dispositions de la loi attractivité régissant les assemblées générales s’explique par le fait que les statuts dans cette forme sociale déterminent le champ et les modalités des décisions devant être prises par les associés (code de commerce, article L.227-9, alinéa 1er).
Ces modifications sont entrées en vigueur le 14 septembre 2024.
Dans les sociétés civiles, les SNC et les SARL, il est désormais possible de procéder à une consultation écrite par voie électronique. Il était déjà possible de procéder à une consultation écrite des associés avant l’entrée en vigueur de la loi, mais les articles 1853 du code civil pour la société civile, L.221-6 du code de commerce pour la SNC et L.223-27 du code de commerce pour la SARL ont été modifiés pour ajouter la possibilité de procéder à ces consultations par voie électronique.
L’article L.223-27, dans son ancienne rédaction, excluait la possibilité dans la SARL de procéder à l’approbation des comptes par voie de consultation, ce qui n’est plus le cas dans la nouvelle rédaction.
Dans les SARL, la loi ajoute à l’article L.223-27 du code de commerce la possibilité pour les statuts d’autoriser le vote par correspondance dans les assemblées. Dans les SNC, le vote par correspondance avait été admis par la Cour de cassation dans un arrêt du 11 octobre 2023 (3).
Concernant les SA, l’ancien article L.225-107, II du code de commerce permettait aux statuts d’autoriser la tenue d’assemblées générales hybrides. Ces assemblées étaient tenues physiquement, mais les actionnaires avaient la possibilité de s’y joindre par des moyens de télécommunication. Par ailleurs, l’article L.225-103-1 autorisait les statuts à prévoir la tenue d’assemblée exclusivement par visioconférence dans les sociétés non cotées.
La loi attractivité abroge le II de l’article L.225-107 et refond ce dispositif au sein de l’article L.225-103-1 du code de commerce. Désormais, les assemblées générales peuvent être tenues par un moyen de télécommunication permettant l’identification des actionnaires sans que les statuts n’aient à le prévoir. Le recours à un moyen de télécommunication doit être expressément mentionné dans l’avis de convocation, de sorte qu’il apparaît que la décision de recourir à ce moyen appartient à l’auteur de la convocation. En principe, dans une société moniste, la convocation est le fait du conseil d’administration, tandis que dans une société dualiste, le directoire et le conseil de surveillance ont un pouvoir concurrent en la matière (c. com., art. L.225-103).
Les actionnaires détenant, individuellement ou collectivement, au moins 25 % du capital peuvent s’opposer à la tenue de l’assemblée par un moyen de télécommunication (c. com., art. L.225-103-1, al. 3). Ce seuil était précédemment de 5%.
2 – Les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés anonymes
La loi attractivité modifie les modalités de vote en conseil d’administration (CA) et en conseil de surveillance (CS).
Auparavant, le règlement intérieur du CA ou du CS pouvait admettre la participation des membres par moyen de télécommunication. Ce mécanisme était toutefois exclu pour les décisions relatives aux comptes et au rapport de gestion.
Désormais, la participation des membres par moyen de télécommunication permettant leur identification et garantissant leur participation effective est de droit (c. com., art. L.225-37, art. L.225-82). Les statuts de la société ou le règlement intérieur du conseil peuvent toutefois s’y opposer. Par ailleurs, la limite tenant aux décisions relatives aux comptes et au rapport de gestion est supprimée.
La loi Soilihi du 19 juillet 2019 (4) avait permis que les statuts autorisent la consultation écrite au sein des conseils. Cependant, la consultation écrite était limitée à certaines décisions listées par l’ancien article L.225-37 du code de commerce. Désormais, les statuts peuvent prévoir la possibilité d’une consultation écrite pour toutes ou certaines décisions, étant précisé que cette consultation écrite peut être faite par voie électronique.
Ces règles sont également prévues pour les conseils de surveillance des sociétés en commandite par actions (SCA), à l’exception notable des règles de participation par moyen de télécommunication (c. com., art. L.226-4).
B. Les dispositions relatives aux organes de direction et de surveillance des sociétés anonymes
Depuis la loi Pacte du 22 mai 2019 (5), le CA ou le directoire doit, dans l’exercice de ses missions, prendre en considération « les enjeux sociaux et environnementaux » (c. com., art. L.225-35, L.225-64). La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France avait modifié ces textes pour y intégrer la prise en considération des enjeux « culturels et sportifs ». La loi attractivité supprime désormais cette référence aux enjeux culturels et sportifs.
La loi Sapin 2 (6) avait permis au CA ou CS, sur délégation de l’assemblée générale extraordinaire (AGE) et sous réserve de ratification par cette dernière, de modifier les statuts pour les mettre en conformité avec la loi. Désormais, la nécessité d’une délégation est supprimée, le CA ou le CS peut librement mettre en conformité les statuts avec la loi, sous réserve de ratification.
Par ailleurs, deux modifications sont apportées à la gouvernance des SA à directoire et à conseil de surveillance. En principe, le directoire est un organe collégial composé au minimum de cinq membres. Toutefois, l’article L.225-58 du code de commerce prévoyait que lorsque le capital social de la société était inférieur à 150 000 euros, les fonctions dévolues au directoire pouvaient être exercées par une seule personne, appelée directeur général unique. Désormais, ce seuil est fixé par décret, ce qui permet de le faire évoluer plus facilement. Enfin, le CS peut désormais nommer en son sein plusieurs vice-présidents, alors qu’il ne pouvait en nommer qu’un seul auparavant (c. com., art. L.225-81).
II – Le financement des sociétés par actions
Concernant le financement des sociétés par actions, la loi attractivité permet l’émission d’actions à droits de vote multiples dans les sociétés cotées (A) et facilite les augmentations de capital (B).
- Les actions à droits de vote multiples dans les sociétés cotées
Le principe dans la SA est qu’une action correspond à une voix (c. com., art. L.225-122). La loi Pacte avait admis une exception, en consacrant la possibilité d’émettre des actions de préférence à droits de vote multiples dans les sociétés non cotées (c. com., art. L.228-11).
La loi attractivité permet aux sociétés qui s’apprêtent à demander pour la première fois leur admission sur un marché réglementé d’émettre des actions à droits de vote multiples. L’objectif est d’inciter les fondateurs de la société à demander la cotation en bourse, sans craindre de perdre le contrôle de la société. Ce faisant, les fondateurs conservent un pouvoir décisionnel en dépit d’un pourcentage de détention du capital dilué par l’émission d’actions sur un marché réglementé. Cette possibilité est aménagée sous le nouvel article L.22-10-46-1 du code de commerce. Aux côtés de ces actions de préférence, les actions ordinaires obéissent toujours au principe de l’article L.225-122, selon lequel une action confère une voix.
Aux termes de l’article L.22-10-46-1, le ratio entre les droits de vote attachés aux actions de préférence ainsi créées et ceux attachés aux actions ordinaires ne peut excéder vingt-cinq pour un. Concrètement, alors qu’une action ordinaire confère une voix, l’action de préférence peut en conférer jusqu’à vingt-cinq. L’objectif est de prévenir une concentration disproportionnée des droits de vote au profit des détenteurs d’actions de préférence. En outre, les statuts doivent déterminer une durée pour ces actions de préférence. Celle-ci doit être déterminée ou déterminable et ne peut excéder dix ans. À l’échéance du terme prévu, les actions de préférence sont converties en actions ordinaires. Un renouvellement avant l’arrivée du terme est possible une seule fois et relève de la compétence de l’assemblée générale extraordinaire, statuant sur un rapport spécial du commissaire aux comptes.
La loi exclut toutefois le jeu des actions à vote multiple pour les décisions relatives à la désignation des commissaires aux comptes, à l’approbation des comptes (et non à l’affectation des résultats), à l’approbation des conventions réglementées et au say on pay (7).
Enfin, l’article L.22-10-46-1 du code de commerce prévoit son articulation avec l’article L.22-10-46. Aux termes du second, un droit de vote double est conféré à toute action entièrement libérée pour laquelle il est justifié d’une inscription nominative depuis au moins deux ans au nom du même actionnaire. Les actions à droits de vote multiples ne se voient pas conférer de droit de vote double, sauf pour les décisions sur lesquelles le vote multiple ne peut pas être exercé lorsque les conditions prévues par l’article L.22-10-46 sont remplies.
B. Les augmentations de capital
La loi attractivité apporte quatre séries de modifications aux modalités des augmentations de capital dans les sociétés par actions.
En premier lieu, il était admis qu’en cas d’augmentation du capital avec suppression du droit préférentiel de souscription (DPS) sans indication du bénéficiaire, lorsque l’émission était réalisée par placements privés, elle était limitée à 20% du capital par an. Ce seuil est désormais porté à 30% (c. com., art. L.225-136).
En deuxième lieu, « la suppression du DPS [impliquait] en contrepartie que le prix d’émission soit le plus proche possible du cours de la bourse » (8). Désormais, le CA ou le directoire fixe librement le prix d’émission sur délégation de l’AGE.
En troisième lieu, l’article L.225-138 du code de commerce prévoit que l’AGE peut supprimer le DPS pour une augmentation de capital réservée à une ou plusieurs personnes nommément désignées. Désormais, un nouvel article L.22-10-52-1 prévoit la possibilité pour l’AGE de déléguer au CA ou au directoire le pouvoir de désigner les bénéficiaires de l’augmentation dans les sociétés cotées.
En dernier lieu, en cas d’augmentation de capital par apport en nature, les délégations de pouvoirs ou de compétence sont exclues. Par exception, l’AGE peut déléguer ses pouvoirs au CA ou au directoire lorsque l’apport en nature porte sur des titres de capital ou des valeurs mobilières donnant accès au capital (c. com., art. L.22-10-53). L’augmentation ainsi déléguée ne pouvait être réalisée que dans la limite de 10% du capital. Désormais, ce seuil est de 20%.
Kévin CHABÉ – Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Notes de bas de page
1 : J.-M. Bezat, Bourses : « Paris a dépassé Londres par le montant de sa capitalisation. Un signe de plus de l’affaiblissement de la City depuis le Brexit », Le Monde, 15 nov. 2022
2 : R. Barroux, E. Conesa et P. Mouterde, Soixante milliards d’euros pour la transition écologique : des dépenses ciblées mais des recettes à trouver, Le Monde, 13 juil. 2023
3 : Cass. com. 11 oct. 2023 n° 22-10.646
4 : Loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés
5 : Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises
6 : Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
7 : Le mécanisme du say on pay est une procédure introduite par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, qui consiste en une consultation des actionnaires sur la rémunération des dirigeants des sociétés cotées
8 : ANSA, comité juridique, 7 janv. 2015, n° 15-005
Sources
A. Couret, La loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France (L. n° 2024-537 du 13 juin 2024), Rev. sociétés 2024, Dalloz, p. 419
C. Coupet, Loi attractivité, un vent de libéralité souffle sur le droit des sociétés, Bulletin Joly Sociétés n°9, p. 45