Le régime primaire impératif peut être défini de manière générale comme étant le corps de règles venant régir les rapports patrimoniaux et extrapatrimoniaux entre époux et entre les époux et les tiers. Il a vocation à s’appliquer à tous les couples mariés quel que soit leur régime matrimonial. Ainsi, qu’ils soient mariés sous le régime légal ou sous le régime de la séparation des biens, les époux doivent respecter les articles 212 et suivants du code civil. C’est un régime d’ordre public, de sorte que les époux ne peuvent y déroger. Le régime primaire impératif, en droit international privé, relevait d’abord de la catégorie juridique des effets du mariage (I) avant d’être introduit dans la catégorie juridique relative aux régimes matrimoniaux depuis 2016, mais seulement en ce qui concerne les aspects patrimoniaux (II).
En outre, le régime primaire impératif, bien qu’assez hétérogène dans son contenu, revêt une importance considérable, si bien que la jurisprudence a hissé ses règles au rang de loi de police.
I. Avant le règlement européen de 2016
Face à une situation présentant un élément d’extranéité (la situation n’étant pas purement interne), la Cour de cassation avait considéré que la loi régissant le régime primaire impératif était la loi applicable aux effets du mariage (12 octobre 1985 “Bologna”). En 1990, la jurisprudence a toutefois exclu de cette catégorie juridique l’article 214 du code civil relatif à la contribution aux charges du mariage puisque cette dernière relève de la catégorie juridique des obligations alimentaires.
Peu de temps après, la Cour de cassation a voulu renforcer l’importance de ce régime en affirmant que « les règles relatives aux devoirs et droits respectifs des époux énoncés par les articles 212 et suivants du code civil sont d’application territoriale » dans l’arrêt “Cressot” du 20 octobre 1987. Dès lors, les articles relatifs au régime primaire impératif sont considérés comme des lois de police s’appliquant à tous les couples mariés domiciliés en France, sans considération de la loi applicable aux effets du mariage ni au régime matrimonial des époux (à l’exclusion de l’article 214 du code civil). Pour rappel, une loi de police est une loi matérielle impérative défendant un intérêt particulièrement important, de sorte qu’elle s’applique directement à une situation ou à un rapport de droit qui présente un élément d’extranéité indépendamment de la loi applicable.
Cette décision n’est pas un revirement par rapport à l’arrêt rendu en 1985 puisque la règle de conflit de lois continuera à s’appliquer toutes les fois où les époux ne seront pas domiciliés en France.
II. Depuis le règlement européen de 2016
Depuis le règlement européen du 24 juin 2016, applicable en matière de régime matrimonial, le régime primaire impératif, dans son aspect patrimonial, a intégré la catégorie juridique des régimes matrimoniaux. En effet, le règlement donne une définition autonome du régime matrimonial, le régime matrimonial est « l’ensemble des règles relatives au rapport patrimoniaux entre époux et dans les rapports avec les tiers qui résultent du mariage ou de sa dissolution ». Ainsi, par exemple, la solidarité des dettes ménagères prévue dans le régime primaire impératif relève dorénavant de la catégorie des régimes matrimoniaux.
Depuis ce règlement européen, il existe une scission au sein même du régime primaire impératif. Pour les règles impératives relevant des effets personnels du mariage, par exemple le devoir de fidélité, la loi applicable reste la loi régissant les effets du mariage. En revanche, concernant les règles relatives aux effets patrimoniaux du mariage, celle prise en compte sera dorénavant la loi applicable au régime matrimonial des époux pour tous les couples mariés à partir du 29 janvier 2019.
Enfin, le 12 juin 2024, la Cour de cassation est venue réaffirmer que le régime primaire impératif était d’application territoriale. En se fondant sur l’article 220 du code civil, elle a considéré que le contrat de bail, servant effectivement à l’habitation des deux époux, est réputé appartenir à l’un et à l’autre époux quel que soit leur régime matrimonial et en dépit de convention contraire. Ce dernier élément vient préciser l’arrêt “Cressot” de 1987 : l’arrêt réserve le jeu des conventions internationales qui auraient vocation à s’appliquer en matière de régime primaire impératif. On peut en déduire par exemple que la convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection des adultes pourrait trouver application sur une question relative à la représentation prévue par l’article 219 du code civil : cette convention, prévoyant le jeu des lois de police, conduirait la Cour de cassation à adopter le même raisonnement que pour le régime primaire de manière générale et donc à considérer que l’article 219 du code civil serait d’application territoriale si une question sur le sujet lui était posée. A contrario, une convention qui ne permettrait pas le mécanisme des lois de police pourrait conduire la Cour de cassation à changer son approche globale de l’impérativité du régime primaire impératif.
Encore une fois, cet arrêt ne rend pas obsolète la règle de conflit de lois applicable en la matière : si les époux se voient appliquer le régime primaire impératif dès lors qu’ils sont domiciliés en France indépendamment de la loi applicable, tel n’est pas le cas s’ils ne sont pas domiciliés en France. Dans ce cas, le régime primaire impératif ne s’appliquera que si la loi qui a été désignée par la règle de conflit de lois est la loi française.
Apolline PERROT, étudiante en Master 2 Droit privé général
Source :
Droit international privé en tableau, ellipses, J. Guillaumé, 2024
Arrêt du 22 octobre 1985 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007016076
Arrêt Cressot du 20 octobre 1987 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007019367/
Règlement européen du 24 juin 2016 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R1103&from=DA
Arrêt du 12 juin 2024 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000049733670?dateDecision=&init=true&page=1&query=mariage&searchField=ALL&tab_selection=juri
Pour aller plus loin : Defrénois, n°29 du 5 septembre 2024 p.23, “application territoriale du régime primaire impératif”, Sara Godechot-Patris.