« La question n’est pas “peuvent-ils raisonner ?” ni “peuvent-ils parler ?” mais “peuvent-ils souffrir ?”». Cette formule, tirée de l’ouvrage Introduction aux principes de la morale et de la législation de 1789 de Jeremy Bentham, nous invite à repenser la façon dont nous considérons le droit des êtres vivants, y compris celui des animaux.
Les critères classiques se fondent sur la capacité à raisonner ou à parler, justifiant ainsi la supériorité des humains sur les animaux, et légitimant presque la domination ou la violence envers eux. Jeremy Bentham souhaite apporter un nouveau critère de raisonnement plus éthique : celui de la capacité à souffrir. Selon lui, tous les êtres capables de souffrir méritent une considération morale.
Le bien-être animal est un sujet complexe et contemporain qui se confronte à des dimensions scientifiques, éthiques, économiques, sociales, religieuses et politiques. Toutefois, ces questions ne sont pas récentes. Au Moyen-Âge, les animaux sont considérés comme des personnes non dans le but de les protéger, mais de les punir. Il n’est ainsi pas rare de voir des animaux jugés devant les tribunaux pour des crimes contre des personnes, des biens, et même contre Dieu, mais également pour des méfaits graves. Les peines appliquées sont généralement la mise à mort par la pendaison, le bûcher, la décapitation ou encore l’excommunication.
Cette conception de l’animal humanisé n’a pas perduré car c’est finalement la conception de l’animal objet qui s’impose, jusqu’à atteindre son apogée au XVIIe siècle sous l’influence de Descartes, conception dont notre société actuelle est encore très marquée. Pourtant, le développement de la biologie a permis d’amener une nouvelle conception de l’animal, celle de l’être sensible auquel la loi peut accorder une protection.
Le code pénal de 1810 apporte d’ores et déjà une protection pour les propriétaires en interdisant de tuer sans nécessité les animaux d’autrui. Quelques décennies plus tard, de nombreuses associations s’emparent de la question de la protection animale, dont la Société Protectrice des Animaux (SPA) fondée en 1845, qui est, en France, la première association engagée en faveur de la protection animale. Depuis 1845, elle n’a jamais cessé de se mobiliser pour venir en aide aux animaux en détresse et pour promouvoir le bien-être animal.
En 1850, est votée la toute première loi condamnant les mauvais traitements « exercés publiquement et abusivement envers les animaux domestiques » à la demande du général Duc de Grammont, officier de cavalerie, qui a d’ailleurs fondé la Ligue française pour la protection du cheval.
En 1976, la loi française pose les bases d’une vraie politique de protection animale avec l’article L.214-1 du code rural et de la pêche maritime issu de la loi du 10 juillet 1976 qui dispose que : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » ; alors même que le code civil le classait toujours parmi les biens meubles (article 528 ancien du code civil). Le code pénal prend lui aussi subtilement position en 1994 en établissant une distinction entre les biens et les animaux. De plus, le droit de propriété du gardien de l’animal se trouve limité. En effet, ce dernier n’est plus en possession de l’abusus étant donné qu’il peut désormais être poursuivi pour acte de cruauté sur son animal (actuel article 521-1 du code pénal).
L’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime est pertinent et la seule mention du placement de l’animal « dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » renvoie à d’autres notions. Effectivement, le bien-être animal est souvent explicité par les cinq libertés fondamentales permettant d’offrir aux animaux des conditions de vie conformes à leurs besoins, publiées pour la première fois en 1979 par le conseil britannique sur le bien-être des animaux d’élevage. Ces cinq libertés fondamentales, aujourd’hui mondialement connues, mettent en avant les conditions que l’Homme doit offrir à l’animal pour assurer son bien-être de sa naissance à sa mort :
– Absence de faim, de soif et de malnutrition : l’animal doit avoir accès à de l’eau claire et à une nutrition adaptée et en quantité appropriée ;
– Absence de peur et de détresse : les conditions d’élevage ne doivent pas induire de souffrances psychiques aux animaux ;
– Absence de stress physique et/ou thermique : l’animal doit disposer d’un certain confort physique ;
– Absence de douleur, de lésion et de maladie, ce qui induit, pour nous humains, une obligation de soins ;
– Liberté d’expression d’un comportement normal de son espèce : l’animal doit être détenu dans des conditions et dans un environnement adaptés à son espèce (par exemple, les veaux doivent pouvoir interagir avec leurs congénères).
En parallèle, les textes internationaux relatifs à la protection de l’animal se multiplient. Par exemple, en 1974, la France a ratifié la Convention européenne sur la protection des animaux en transport international. Et la Déclaration universelle des droits de l’animal par l’UNESCO a été proclamée le 15 octobre 1978.
Depuis la loi du 16 février 2015 qui a introduit l’article 515-14 dans le code civil, les animaux « sont des êtres vivants doués de sensibilité » par conséquent, susceptibles de recevoir une protection juridique. Cette requalification permettrait ainsi de réprimer les mauvais traitements, néanmoins cette catégorie particulière reste soumise au régime du droit des biens. L’application du droit de propriété, et plus précisément du régime des biens meubles (article 528 du code civil), suggère que les animaux peuvent faire l’objet de contrat et qu’ils sont, de fait, appropriables. Ils peuvent dès lors faire l’objet d’une possession et ainsi être revendiqués en cas de dépossession.
Enfin, une avancée majeure a été faite grâce par la loi du 30 novembre 2021, qui vient aggraver les sanctions encourues en cas d’atteinte aux animaux, créer de nouvelles infractions comme l’enregistrement d’images de cruauté animale et leur diffusion sur Internet et sanctionner la complicité. Elle a notamment créé des circonstances aggravantes lorsque ces actes sont commis en présence d’un mineur. D’ailleurs, il y a une prise de conscience en France sur le fait qu’il y aurait un lien entre les maltraitances animales et les violences domestiques.
Sans forcément établir le lien entre maltraitances animales et violences domestiques, il y a parfois une accoutumance et une forme de répétition, c’est ce que Maître Olivia Symniacos, avocat en droit animalier, nous explique dans son ouvrage Au nom de tous les animaux. En effet, certains éleveurs ne prennent pas soin de leurs animaux, soit parce qu’ils ont toujours procédé ainsi depuis des générations et sont incapables de sortir du schéma qui leur a été transmis, soit parce qu’ils se trouvent dans une situation économique qui ne leur permet plus de faire face à leurs obligations. Rappelons que l’abandon d’un animal n’est pas seulement le fait de laisser son chien sur une aire d’autoroute, mais aussi le fait de le garder auprès de soi sans s’en occuper, ni le soigner, ni le nourrir. L’abandon d’un animal est un acte de cruauté passible de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (article 521-1 du code pénal).
En outre, afin de mieux protéger les animaux, il est primordial de définir leur statut juridique. La loi française distingue deux catégories d’animaux : les animaux sauvages et les animaux domestiques, chacune des deux catégories est subdivisée en plusieurs sous-catégories. L’appartenance de l’animal à une catégorie va donc déterminer son statut juridique, mais surtout son degré de protection. Toutefois, un animal ne reste-t-il pas un animal, quelle que soit la catégorie à laquelle il appartient ?
Pour mieux comprendre, prenons l’exemple du lapin. Le lapin peut être :
– né au sein d’un élevage, il est alors protégé par une réglementation stricte par le code rural et de la pêche maritime et par les dispositions du code pénal ;
– vendu à un laboratoire : il sera ainsi protégé par le code pénal pour les atteintes qui pourraient lui être faites « sans nécessité ». C’est-à-dire que si les atteintes sont nécessaires à la satisfaction d’un intérêt supérieur, elles ne seront pas réprimées ;
– placé dans un cirque ou dans une ferme pédagogique : protection par le code rural et de la pêche maritime et par le code pénal ;
– vendu en animalerie : protection par le code pénal de toute atteinte à son bien-être, à sa vie ou à son intégrité ;
– sauvage et donc chassable car non protégé ;
– sauvage et nuisible, c’est-à-dire « susceptible d’occasionner des dégâts » : non seulement la loi ne le protège pas, mais encourage sa destruction ;
– sauvage et en voie de disparition : protection renforcée (parfois à cause d’une destruction massive) ;
– un animal de rente : qui est élevé pour être financièrement rentable. De nombreuses normes sanitaires s’appliquent en plus des dispositions du code rural et de la pêche maritime.
Enfin, Maître Olivia Symniacos nous fait part de l’un de ses dossiers plaidés en 2021, qui atteste de l’évolution des mœurs en matière de protection animale. En l’espèce, cinq adolescents dont la moyenne d’âge est de 21 ans organisent une soirée alcoolisée au domicile parental de l’un d’eux renfermant des animaux tels qu’un chien, une tortue de terre et des créatures aquatiques. Bilan funeste : le chien a servi de poney, la tortue de terre a été arrosée d’alcool et plongée dans l’aquarium d’eau de mer, la perruche déplumée… lors de l’audience, les adolescents ne se souviennent que vaguement de la soirée heureusement immortalisée par des photographies. La présidente a veillé à ce que les jeunes réalisent ce que signifie le délit de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal, mais les adolescents loin de reconnaître leurs torts ont interjeté appel du jugement. Ce dossier témoigne de l’évolution des mœurs, car il y a encore quelques années, il n’aurait probablement pas été instruit et présenté au tribunal.
Pour finir, le rôle des présidents est essentiel, seulement, il reste encore trop représentatif de la population actuelle. Certains présidents ont bien compris les enjeux liés au respect des êtres vivants et du bien-être animal, d’autres restent bloqués dans le monde d’antan en attendant de comprendre que les paradigmes changent.
Agathe Chandelier-Laurent – Étudiante en Master 2 Droit du patrimoine et des activités culturelles
Principales sources utilisées :
SYMNIACOS Olivia avec Valérie PERONNET – Au nom de tous les animaux – Les Arènes, Paris 2024
Le bien-être animal, qu’est-ce que c’est ? | Ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt – https://agriculture.gouv.fr/le-bien-etre-animal-quest-ce-que-cest
Le bien-être et la protection des animaux de compagnie – https://agriculture.gouv.fr/le-bien-etre-et-la-protection-des-animaux-de-compagnie
Fiche d’orientation Dalloz – Animaux Mai 2024 : https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ/OASIS/001100#:~:text=Qualification de l’animal : un être doué d’une sensibilité,-Depuis la loi&text=En effet, cette loi, introduisant,de recevoir une protection juridique..
Les procès d’animaux au Moyen Âge – Archives départementales de l’Aisne – https://archives.aisne.fr/documents-du-mois/document-les-proces-d-animaux-au-moyen-age-88/n:85
Le respect de l’animal dans ses racines historiques: de l’animal-objet à l’animal sensible – La Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences – https://www.fondation-droit-animal.org/documentation/respect-de-lanimal-objet-a-lanimal-sensible/
Droit des animaux : opérer une distinction fondamentale entre biens vivants et biens inertes (biens organiques et bien inorganiques) – Actu-Juridique – https://www.actu-juridique.fr/civil/droit-des-animaux-operer-une-distinction-fondamentale-entre-biens-vivants-et-biens-inertes-biens-organiques-et-bien-inorganiques/