LE DROIT DE PRÉFÉRENCE DES PROPRIÉTAIRES DE PARCELLES BOISÉES CONTIGUËS

« Sur le plan mondial, le bois constitue la première énergie renouvelable […] la forêt française couvre aujourd’hui […] presque le tiers du territoire [et] appartient […] pour 72 % à des propriétaires privés, le reste étant détenu par l’État et diverses collectivités locales ou publiques. Cette forêt privée se morcelle […] entre les mains de 3,5 millions de propriétaires, dont 500 000 seulement possèdent plus de quatre hectares […] seule la moitié de la production biologique est récoltée […] L’augmentation de la récolte de produits forestiers [est un objectif qui] s’inscrit dans le cadre d’une gestion durable, assurant le renouvellement de la forêt pour les générations futures, et toujours plus respectueuse des fonctions environnementale et sociale […] la politique forestière doit [donc] s’orienter vers l’exploitation durable [qui] se traduit par un double objectif opérationnel : regrouper la propriété et optimiser la gestion durable ». (Mes  Antoine GENCE et Éric MEILLER, Rapport du 114e congrès des notaires de France, « Demain le territoire » p. 257 – 260). 

Aux fins de favoriser l’exploitation forestière et lutter contre le morcellement de la forêt en France, le législateur a institué au bénéfice des justiciables, des communes et de l’État, plusieurs droits de priorité consacrés aux articles L. 331-19 à L. 331-24 du Code forestier (C. for.), au sein d’un Chapitre intitulé « regroupement de la propriété ». 

C’est pourquoi la vente d’une propriété boisée peut être soumise au droit de préemption de l’État (art. L. 331-23 C. for.), de la commune (art. L. 331-22 C. for.) ou de la SAFER (art. L. 143-4 Code rural), mais aussi au droit de préférence de la commune (art. L.331-24 C. for.) ou des propriétaires de parcelles boisées contiguës (art. L. 331-19 à L. 331-21 C. for.). Ce dernier, institué par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010, fera l’objet de nos développements.

En la matière, le droit de préférence se définit comme la faculté, accordée à une personne, d’acquérir une propriété boisée par priorité à toute autre personne lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de la vendre. 

I. Le droit de préférence des propriétaires voisins

1. Champ d’application

Aux termes de l’article L. 331-19 C. for., les ventes, les cessions de droits indivis ou de droits réels de jouissance portant sur une propriété classée au cadastre en nature de bois et forêt d’une superficie totale inférieure à 4 hectares sont soumis au droit de préférence (1). 

Par exception, sont exclues de son champ d’application les opérations visées à l’article L. 331-21 C. for. (ex. la vente au profit d’un propriétaire d’une parcelle contiguë en nature de bois ; la vente au profit du conjoint, du partenaire pacsé, du concubin ou de parents ou alliés du vendeur jusqu’au 4e degré inclus).

Définition de la notion de « propriété » utilisée par l’article :

Depuis l’ordonnance du 26 janvier 2012, le terme de « parcelle » a été remplacé par celui de « propriété », plus large, de sorte qu’en cas de vente de plusieurs parcelles, même disjointes, la vente ne porte que sur une seule propriété (2). Il n’importe peu que l’ensemble se situe sur le territoire d’une même commune ; la seule condition tient à sa superficie : l’ensemble entrera dans le champ d’application du droit de préférence si et seulement si sa superficie totale est inférieure à 4 hectares.  

Définition du caractère boisé de la propriété objet de la vente ? 

Il convient de noter qu’en contradiction avec l’esprit de la loi, le caractère boisé de la propriété s’apprécie ici de façon abstraite au regard de sa seule classification au cadastre (3), peu importe qu’elle soit véritablement boisée (4). Par conséquent, le propriétaire d’une propriété réellement boisée mais non inscrite comme telle au cadastre n’a pas à purger le droit de préférence (5).

Le législateur a toutefois réintroduit un critère de réalité conforme au sens souhaité du regroupement de la propriété forestière, puisque, depuis 2012, la partie réellement boisée de la propriété entièrement classée au cadastre en nature de bois et forêt doit représenter au moins la moitié de sa superficie totale. À défaut, elle n’est pas soumise au droit de préférence (article L. 331-21, 7° C. for.). La preuve de cette appréciation in concreto peut être apportée par tous moyens. 

En cas d’autorisation de défrichement régulièrement notifiée au propriétaire, la parcelle est considérée avoir perdu son caractère boisé, et ce, même si les opérations de défrichement n’ont pas été réalisées (6).

Concernant les biens mixtes : 

L’article L. 331-21, 8° C. for. exclu le droit de préférence lorsque la vente doit intervenir sur une propriété comportant une ou plusieurs parcelles classées au cadastre en nature de bois et une ou plusieurs autres parcelles cadastrées d’une autre nature. 

2. Bénéficiaires

Le droit de préférence bénéficie aux propriétaires (7) d’une parcelle boisée contiguë tels qu’ils sont désignés sur les documents cadastraux, peu importe la superficie de leur parcelle. 

Définition du caractère boisé de la parcelle contiguë ? 

À défaut de précision du législateur, il convient de se rapporter à la ratio legis du texte. Le but étant de procéder au regroupement de la propriété forestière pour en obtenir une meilleure exploitation, il ne serait pas pertinent d’ouvrir un droit de priorité au propriétaire d’une parcelle non boisée bien que classée comme telle sur les documents cadastraux. Inversement, et dans la logique de la loi, le simple fait que la parcelle soit de fait boisée, bien qu’elle ne soit pas classée ainsi, suffirait à faire bénéficier à son propriétaire d’un droit de préférence (8). Il faut donc considérer en pratique que la nature cadastrale de la parcelle voisine est indifférente, seul son véritable boisement est à prendre en considération. 

Quid si la personne désignée par le cadastre n’est pas le véritable propriétaire de la parcelle contiguë ? 

Le texte vise les propriétaires « tels qu’ils sont désignés sur les documents cadastraux » (art. 331-19, al. 1er C. for.). Or, si le cadastre n’est pas à jour et que la personne désignée n’est plus, à la date de la notification, le propriétaire effectif de la parcelle boisée contiguë, lui faire bénéficier d’un droit de préférence irait à l’encontre de la volonté du législateur. Pour autant, une réponse ministérielle a rappelé que le vendeur n’a pas à réaliser de recherche au-delà des indications énoncées par le cadastre (9).

Reste le cas dans lequel le notaire et/ou le vendeur s’en tiennent au cadastre alors même qu’ils ont connaissance du nom et de l’adresse du propriétaire effectif de la parcelle voisine et que ce dernier n’est pas celui désigné sur les documents cadastraux (ex. lorsque le notaire a réglé la succession de l’ancien propriétaire). Dans cette hypothèse pour laquelle ils n’ont pas à effectuer de recherches, ne pas notifier le droit de préférence au véritable propriétaire pourrait remettre en cause leur bonne foi. Ainsi, même si le texte ne le prévoit pas, il apparaît plus prudent en pratique de notifier la vente projetée au véritable propriétaire lorsque celui-ci est connu. 

Définition de la contiguïté de la parcelle voisine :

La contiguïté se définit de deux choses qui s’entre-touchent, sans qu’il n’y ait rien entre deux. Il suffit alors qu’une partie de la propriété objet de la vente soit mitoyenne, même par un seul angle (10), à une parcelle boisée pour que le propriétaire de cette dernière, tel qu’il est identifié sur les documents cadastraux, puisse bénéficier du droit de préférence sur le tout. 

Il faut noter à ce sujet qu’un chemin rural ne rompt pas la contiguïté, à la différence d’une autoroute, d’une rivière, ou d’une voie ferrée qui sont des obstacles difficilement franchissables (11). 

3. Procédure de purge

En principe, la notification émane du vendeur. Le notaire peut toutefois effectuer cette formalité en vertu d’un mandat ad hoc (12). 

Depuis la loi d’avenir agricole du 13 octobre 2014, la notification est en principe individuelle. Le vendeur doit, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (LRAR) ou par remise contre récépissé, notifier la vente projetée aux propriétaires de parcelles boisées contiguës. Par exception, lorsque le nombre de notification est égal ou supérieur à dix, le vendeur peut rendre publique la cession projetée par voie d’affichage en mairie durant un mois et de publication d’un avis au sein d’un support habilité à recevoir des annonces légales. 

La notification individuelle, l’affichage et la publication doivent indiquer le prix et les conditions de la vente projetée. À défaut, le délai légal de réponse ne court pas.  

Que faire si la LRAR revient à l’expéditeur avec la mention « pli avisé et non réclamé » ?

Le Cridon de Paris, dans une réponse du 15 septembre 2019, considère que la LRAR « n’ayant pas été retirée par son destinataire, il est contestable que le délai de deux mois ouvert pour exercer le droit de préférence des propriétaires boisés ait commencé à courir. Il apparaît donc prudent, en l’absence de jurisprudence rendue en la matière, de recourir à une signification par acte extrajudiciaire » de commissaire de justice. Cette solution, prudente, n’est pas prévue par la loi, de sorte qu’il est possible de considérer que bien que non réclamée par son destinataire, la notification produit ses pleins effets.

Quid de la parcelle contiguë en indivision ? 

Lorsqu’une parcelle contiguë est indivise, la cession projetée doit être notifiée individuellement à chacun des indivisaires.

La notification faite par erreur ouvre-t-elle conventionnellement une possibilité d’acquisition à son destinataire ?

La Cour de cassation retient que la notification effectuée par erreur n’a pas pour conséquence de faire bénéficier son destinataire d’un droit de priorité sur l’achat du bien (13). 

La notification oblige-t-elle le vendeur ?

La nature juridique de la déclaration d’intention d’aliéner par le propriétaire est incertaine en doctrine. Certains auteurs considèrent qu’il s’agit d’une pollicitation (offre de vente), qui priverait alors le vendeur de retirer le bien de la vente si l’un des voisins venait à préempter, son acceptation emportant automatiquement la formation du contrat de vente ; tandis que d’autres considèrent qu’il s’agit d’une invitation à entrer en pourparlers qui n’engagerait pas le vendeur. 

Dans ce contexte, une réponse ministérielle a indiqué que « la notification que doit faire le vendeur […] doit comporter le prix et les conditions de la vente. Elle constitue donc une offre […] Elle crée ainsi un engagement juridique définitif qui peut engager la responsabilité du vendeur en cas de refus de vente » (14). La question reste pour autant débattue en doctrine et aucune solution ne semble s’imposer. 

Par un arrêt du 28 septembre 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est étonnamment venue consacrer une position différente en considérant qu’ « à défaut de disposition législative le précisant, la notification ou l’affichage du prix et des conditions de la vente projetée ne vaut pas offre ferme de vente au profit du bénéficiaire du droit de préférence, de sorte que l’exercice de ce droit par le propriétaire d’une parcelle boisée contiguë ne prive pas le vendeur de la liberté de renoncer à la vente » (15). Si cette position venait à se confirmer, la notification n’engagerait pas son expéditeur dans un contrat de vente alors même que son destinataire qui exerce son droit de préférence ne peut négocier ni le prix ni les conditions de la vente mais seulement les accepter.

4. Exercice du droit de préférence

Le bénéficiaire du droit de préférence dispose d’un délai de 2 mois à compter de la notification ou de l’affichage en mairie pour faire connaître sa réponse. Celle-ci doit être adressée au vendeur par LRAR ou par remise contre récépissé. Si le propriétaire voisin exerce son droit de préférence, il ne peut le faire qu’aux prix et conditions qui lui ont été notifiés, sans pouvoir les négocier. Il est ici précisé que si la propriété vendue contient plusieurs parcelles, mêmes disjointes, le voisin de l’une d’elle qui exerce son droit de préférence l’exerce sur le tout, et non seulement sur la parcelle contiguë à la sienne. 

Si plusieurs bénéficiaires exercent leur droit de préférence, le vendeur choisit librement celui auquel il souhaite vendre son bien (art. L. 331-19, al. 4 C. for.). 

La réalisation de la vente : 

L’article L. 331-19, al. 5 C. for. précise que si l’acte authentique de vente n’est pas dressé dans un délai de 4 mois à compter de la réception de la déclaration d’exercice du droit de préférence, l’acceptation par le bénéficiaire n’est plus opposable au vendeur. Cette inopposabilité est toutefois conditionnée à la défaillance de l’acheteur, le vendeur ne pouvant s’en prévaloir en esquivant la signature de l’acte authentique de vente. 

5. Sanction

Il résulte de l’article L. 331-20 C. for. que la vente conclue en violation du droit de préférence de l’article L. 331-19 C. for. est sanctionnée par la nullité. Cette nullité est relative, se prescrit par 5 ans et ne peut être exercée que par les bénéficiaires omis par la notification ou leurs ayants droit.

Le texte n’indique pas le point de départ de la prescription, mais la vente étant opposable aux tiers par sa publication, il serait logique que le délai de prescription soit de cinq ans à partir de la publication de la vente.

II. L’articulation des différents droits de priorité

Les droits de préférence, qu’ils bénéficient aux propriétaires de parcelles boisées contiguës ou à la commune, sont de même force de sorte qu’en cas d’exercice concurrent de ces facultés, le vendeur choisit librement celui à qui il souhaite céder sa propriété. Ils sont en revanche primés par le droit de préemption de l’État, de la commune et de la SAFER. 

Point pratique : la purge du droit de préemption de la SAFER nécessite de faire connaître, dans la notification, l’identité de l’acquéreur. En conséquence, même s’il prime sur les droits de préférence des propriétaires voisins et de la commune, ces derniers doivent être préalablement purgés avec l’indication qu’en cas d’exercice de leurs droits, ils sont susceptibles d’être primés par la SAFER.

Valentin ANGER – étudiant en Master 1 Droit notarial

Principales sources utilisées : 

  • Code forestier.
  • JurisClasseur Notarial Formulaire – Fasc. 390.
  • Mémento Pratique Francis Lefebvre – Vente immobilière 2024.
  • Rapport du 114e congrès des notaires de France – « Demain le territoire » – Cannes 2018.
  • Droits de préemption et de préférence applicables à la vente de bois et forêts – 28 juin 2022 – Emmanuelle Te Rietmolen.
  • Nota-Bene – CRIDON sud-ouest, n° 272 – novembre 2022.
  • Questions/réponses du Cridon de Paris. 
  • Bulletin du Cridon de Paris du 15 septembre – 1er octobre 2014 – n° 18-19.
  • La semaine juridique – Notariale et immobilière – n° 10 – 6 mars 2015.

Notes de bas de page :

(1)  Deux réponses ministérielles ont également soumis l’adjudication au droit de préférence des propriétaires voisins.

(2) « une propriété classée au cadastre en nature de bois et forêts – vise aussi bien la situation d’une unité foncière qui serait classée au cadastre en nature de bois et forêts que plusieurs biens, contigus ou pas, classés au cadastre en nature de bois et forêts. Il évoque finalement le ou les biens mis en vente, identifiés comme bois par le cadastre » Nota-Bene – CRIDON sud-ouest, n° 272 – novembre 2022.

(3) CA Paris, 15 avril 2016, 14/21394 : « le droit de préférence concerne tous les biens vendus d’une superficie inférieure à 4 ha, relevant du groupe 5 (bois et forêts) de la matrice cadastrale ».

(4) V. en ce sens : CAA Lyon, 6 mai 2021, n° 19LY00942 et TA Besançon, 24 septembre 2015.

(5) Rép. Joyandet : Sén 1er mars 2018 p. 956-957, n° 2902

(6) Cridon Paris, dossier n° 836234, 1er mai 2015

(7) Il faut noter que le propriétaire est entendu, si le bien se trouve être en démembrement de propriété, comme le nu-propriétaire. Le droit de préférence ne bénéficie pas à l’usufruitier.

(8)V. en ce sens : CA Amiens, 1er juin 2017, n° 15/04740.

(9) Rép. min. n° 92781 : JOAN 11 janvier 2011, p. 158, Verchère : La notification doit être faite aux propriétaires tels qu’ils sont désignés sur les documents cadastraux. Le propriétaire vendeur n’a pas à faire de recherche au-delà de ces renseignements

(10) « Il ne peut être ajouté à la loi en exigeant du propriétaire du fonds revendiquant le droit de préférence que celui-ci démontre que la contiguïté entre les fonds est acquise sur une quelconque longueur.  » (CA Paris, 4, 1, 5 avr. 2019 , n° 17/13116)

(11) Rép. Leroy : Sén. 7 novembre 2013 p. 2849 n° 08388

(12) V. en ce sens : CA Grenoble, 22 juin 2021, n° 19/02306 

(13) Cass. 3e civ., 12 oct. 2011, n° 10-19.285 : « lorsque l’aliénation profite à des parents ou alliés du propriétaire jusqu’au troisième degré inclus, le preneur qui n’est pas parent ou allié de ce propriétaire ne bénéficie pas d’un droit de préemption, nonobstant la notification qui lui est faite du projet de vente ».

(14)  Rép. min. n° 92781 : JOAN 11 janvier 2011, p. 158, Verchère

(15) Cass. Civ. 3e, 28 septembre 2023, n° 22-15.576, publié au Bulletin

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