Dans un arrêt rendu le 10 mai 2024 (pourvoi numéro 22-20.439) publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé qu’un cautionnement consenti par le président du directoire d’une société anonyme n’est valable que s’il a reçu une délégation de pouvoir du directoire, après autorisation préalable du conseil de surveillance.
Dans les faits, la banque BNP Paribas avait accordé un prêt à une société, garanti par le cautionnement d’une société anonyme à directoire et à conseil de surveillance, la société Investissement Gestion Service (IGS). Le débiteur, ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, la banque a appelé en paiement la caution. Cependant, la société a opposé la nullité de son engagement de caution, car ce n’est pas le directoire, qui est normalement le seul organe social compétent pour engager la société, mais le président du directoire qui avait consenti le cautionnement.
La cour d’appel de Paris a rendu un arrêt le 22 juin 2023, rejetant la demande en nullité. Elle retient qu’il n’y a aucun fondement légal ou statutaire obligeant à ce que le président du directoire soit habilité par une décision spéciale pour consentir un cautionnement.
La société caution s’est alors pourvue en cassation.
L’enjeu de l’arrêt était de savoir si un président du directoire d’une société anonyme peut consentir seul un cautionnement au nom de la société.
La Cour de cassation rend un arrêt de cassation au visa des articles L. 225-66, L. 225-68 et R. 225-53 du code de commerce. Elle retient que le président du directoire a pour seul pouvoir d’exécuter les décisions du directoire, et donc il ne peut consentir un cautionnement sans l’accord préalable du conseil de surveillance et sans avoir reçu une délégation de pouvoir du directoire.
L’arrêt rappelle ainsi la répartition des pouvoirs entre les organes d’une société anonyme dualiste (I), et les règles relatives aux cautions, avals et garanties (II).
- La répartition des pouvoirs au sein d’une société anonyme dualiste
Il convient de rappeler les exigences légales concernant la répartition des pouvoirs au sein d’une société anonyme (A), sur lesquelles s’est fondée la Cour de cassation pour casser l’arrêt de la cour d’appel (B).
- La différence entre le pouvoir de représentation et de décision
Les sociétés anonymes (SA) peuvent prendre deux formes. D’une part, la SA moniste, comprenant un conseil d’administration et un directeur général et, d’autre part, la SA dualiste, qui est la forme la plus récente, et qui propose une répartition des pouvoirs entre un conseil de surveillance et un directoire.
La SA dualiste est la forme sociale qui nous intéresse ici. Cette société est dirigée par un directoire, elle prend donc la forme d’une direction collégiale. Ce dernier est composé de cinq membres au plus (article L. 225-58, al. 1 du code de commerce). Deux dérogations existent. D’une part, ce nombre peut être élevé par les statuts à sept dans les sociétés cotées (article L. 22-10-18 du code de commerce). D’autre part, le directoire peut n’être composé que d’un seul membre lorsque le capital de la société est inférieur à 150 000 euros. On parle alors de directeur général unique (articles L. 225-58, al. 2 et L. 225-59, al. 2 du code de commerce). Parmi les membres du directoire, l’un d’eux est désigné en tant que président du directoire (article L. 225-59 du code de commerce). Cependant, des directeurs généraux peuvent aussi être nommés pour représenter la société à l’égard des tiers, dans le cas où les statuts habilitent le conseil de surveillance à les nommer. Néanmoins, toute disposition statutaire limitant le pouvoir de représentation de la société est inopposable aux tiers (article L. 225-66 du code de commerce).
En vertu de l’article L. 225-66 du code de commerce, le président du directoire n’a qu’un pouvoir de représentation de la société à l’égard des tiers. Ainsi, il convient de faire une distinction entre, d’une part, le pouvoir de direction, qui est un pouvoir purement décisionnel appartenant au directoire et, d’autre part, le pouvoir de représentation, qui appartient au président du directoire. Néanmoins, la Cour de cassation précise la portée de cet article en octroyant au président du directoire le pouvoir très général d’exécuter les décisions prises par le directoire. Il ressort des articles du code de commerce, et de cet arrêt, que le président du directoire n’a pas une voix prépondérante au sein du directoire, il fait partie d’un organe collégial qui a pour mission de diriger la société. Son statut de président du directoire est limitativement encadré car il ne fait que représenter la société à l’égard des tiers, sans avoir de pouvoir supplémentaire dans la direction de la société (sous réserve d’une délégation de pouvoir).
Par ailleurs, il convient de rappeler le pouvoir du conseil de surveillance. Ce dernier est la barrière protectrice de la SA puisqu’il contrôle les décisions du directoire, sans pouvoir s’immiscer dans la gestion car il ne dispose que d’un pouvoir interne. Cet organe peut effectuer des vérifications, se faire communiquer tout document nécessaire et examiner les rapports présentés par le directoire. En outre, il peut être amené à donner son autorisation préalable dans le cas où la loi ou les statuts l’exigent (article L. 225-68 du code de commerce).
C’est cette répartition des pouvoirs qui est tout l’enjeu de l’arrêt étudié.
- La cassation de l’arrêt d’appel pour défaut de délégation de pouvoir au président
En l’espèce, la Cour de cassation a fait une application très littérale des textes. La question était de savoir si le président du directoire d’une SA pouvait consentir un cautionnement, alors qu’il n’avait reçu aucune délégation de la part du directoire pour ce faire. Effectivement, le défaut de validité du cautionnement ne portait pas sur le défaut d’accord préalable du conseil de surveillance, au sens de l’article L. 225-68 du code de commerce, car celui-ci ne faisait l’objet d’aucune contestation. L’enjeu est de savoir quels sont concrètement les pouvoirs du président du directoire.
Ainsi, la Cour de cassation est venue appliquer les articles L. 225-68 et R. 225-53 du code de commerce, combinés à l’article L. 225-66 du même code. Il en ressort que le directoire, en tant qu’organe collégial, peut consentir des cautions ou avals. C’est donc une décision prise par l’organe en tant que tel, à la majorité de ses membres, et non une décision relevant du pouvoir du président du directoire. Ce dernier n’a qu’un pouvoir de représentation de la société, et non un pouvoir décisionnel. Il ne peut qu’exécuter les décisions prises par le directoire. Il lui est tout de même possible d’engager seul la société, uniquement s’il a reçu une délégation de pouvoir de la part du directoire pour ce faire. Or, et c’est ce que relève la Cour de cassation ici, il n’y a eu aucune délégation de pouvoir puisqu’il n’y a pas eu de décision du directoire. La décision de consentir un cautionnement par le président du directoire n’était donc pas fondée. Elle casse donc l’arrêt d’appel, qui affirmait qu’aucun fondement légal ou statutaire n’exigeait une délégation de pouvoir pour que le président du directoire puisse consentir un cautionnement.
- Les règles en matière d’octroi de cautions, avals et garanties par une société anonyme
Le code de commerce prévoit une procédure (A), qui permet une large protection des intérêts de la société mais qui n’est pas sans conséquences pour les cocontractants de celle-ci (B).
- La procédure légale
Le second apport de cet arrêt est de rappeler les règles concernant l’octroi de cautions, avals ou garanties au nom d’une société anonyme. Le conseil de surveillance est celui qui est compétent pour contrôler les décisions du directoire. Cependant, pour ce qui est des cautions, avals ou garanties, le risque pour la société étant plus conséquent, l’accord du conseil de surveillance est requis (article L. 225-68 du code de commerce). Néanmoins, le conseil de surveillance peut donner une autorisation globale au directoire, dans la limite d’un montant fixé préalablement, et pour une durée maximum d’un an, pour consentir des cautions, avals ou garanties au nom de la société. En cas de dépassement, cette limite ne peut être opposée aux tiers qui n’en ont pas connaissance, à moins que le montant de l’engagement invoqué n’excède, à lui seul, l’une des limites fixées par la décision du conseil de surveillance. (article R. 225-53 du code de commerce).
Ainsi, même si l’accord du conseil de surveillance n’est pas requis, il reste que c’est le directoire qui doit accorder la garantie, les articles ne mentionnant pas le président du directoire. Comme l’ont indiqué les Professeurs Le Cannu et Bruno Dondero, le président du directoire ne peut « s’émanciper » du directoire pour conclure seul un cautionnement au nom de la société.
- Une décision dangereuse pour les cocontractants d’une société anonyme
En l’espèce, la Cour de cassation relève qu’il n’y a pas eu d’autorisation du directoire, ce qui va fonder la remise en cause du cautionnement accordé par le président du directoire. La Cour insiste donc sur le principe de hiérarchie des organes sociaux et de collégialité du directoire. Il en résulte qu’il y a deux barrières à franchir pour que le président du directoire puisse consentir un cautionnement. Non seulement, le conseil de surveillance doit autoriser l’opération, mais le directoire doit en plus consentir une délégation de pouvoir au président du directoire pour lui permettre d’engager la société par un cautionnement. C’est cette seconde condition qui a fait défaut en l’espèce, ce qui a conduit la Cour de cassation à rendre un arrêt de cassation et de permettre la remise en cause du cautionnement.
Deux conséquences peuvent être tirées de cet arrêt. D’une part, la SA et ses actionnaires sont protégés contre un excès de zèle du président du directoire, puisque l’acte peut être remis en cause en cas de défaut de délégation de pouvoir. Cet acte pourrait aussi avoir pour conséquence la révocation du président du directoire de ses fonctions, notamment pour juste motif (car l’engagement pris par ce dernier sans délégation de pouvoirs peut constituer une faute justifiant cette révocation). D’autre part, les cocontractants de la SA, et plus spécialement les banques, vont se retrouver dans une situation précaire, puisque non seulement ils devront vérifier que le conseil de surveillance a autorisé l’opération, mais surtout que la personne qui a engagé la SA, avait réellement le pouvoir pour le faire. La situation découlant de cet arrêt semble être peu adaptée à la vie des affaires et pourrait entraîner une grande méfiance de la part des établissements bancaires.
Clara L’HONORÉ – Étudiante en Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Sources :
- Les affres du cautionnement consenti par le président du directoire d’une société anonyme – Bulletin Joly Sociétés – N°9 du 1er septembre 2024
- Sociétés et groupements – Eddy Lamazerolles – Jean-Marc Moulin – Anne Rabreau – D. 2024. Page 1832 (recueil Dalloz)
- Détermination des pouvoirs du président du directoire – Renaud Mortier – Rev. sociétés 2024. Page 645