Les recours administratifs en milieu carcéral : des délais de réponse inadaptés face à la réelle nécessité de protéger les libertés des détenus

Introduction

En France, la surpopulation carcérale constitue depuis plusieurs années un problème majeur. Dans une interview accordée à France Inter, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, et la magistrate Béatrice Brugère se sont prononcées sur le sujet.

En effet, d’une part, elles soutiennent que malgré le manque d’évaluation du coût de la récidive, la politique menée en la matière est coûteuse et mène elle-même à la récidive. D’autre part, il faut assumer des places de prison qui respectent la dignité en garantissant une individualisation de la cellule. De plus, Dominique Simonnot souligne « un manque de 2 800 surveillants avec un abandon total des détenus et des agents pénitenciers ». Les éléments soulignés dans cette interview permettent en partie d’établir un lien entre les personnes détenues et le juge administratif. C’est en effet parce que ces problèmes subsistent que la juridiction administrative est saisie.

Le contentieux pénitentiaire concerne les litiges entre les personnes détenues et l’administration compétente. Le rapport unissant le droit administratif au milieu carcéral a été établi par la décision du Tribunal des conflits du 27 novembre 1952, Préfet de Guyane. Dans cet arrêt, le Tribunal déclare que, même si le juge administratif n’a pas compétence pour les actes faisant l’objet d’une procédure judiciaire, il admet que celui-ci “est en revanche compétent pour connaître de tout ce qui touche au fonctionnement administratif du service public pénitentiaire”.

1/ Les fondements juridiques du contentieux pénitentiaire

Les fondements du contentieux pénitentiaire sont de deux sources : jurisprudentielles et légales.

L’arrêt du Conseil d’État rendu en Assemblée, du 17 février 1995, Hardouin et Marie (1) est un revirement de jurisprudence. Dans l’affaire Hardouin, le Conseil d’État a rejeté la requête qu’il avait déclarée recevable au fond, estimant que les faits reprochés à l’intéressé étaient de nature à justifier une sanction. Concernant l’affaire Marie, les juges du Palais-Royal ont opéré un raisonnement inverse puisqu’ils ont annulé la décision attaquée, considérant que les faits reprochés à M. Marie n’étaient pas de nature à motiver une sanction. 

Dans les faits, M. Hardouin a été puni de dix jours d’arrêt (2) pour refus de se soumettre à un test d’alcoolémie en raison de son état d’ébriété. Il a contesté cette sanction devant le tribunal administratif de Rennes, qui l’a rejetée pour irrecevabilité. Concernant M. Marie, il avait contesté le bien-fondé de sa sanction, consistant à huit jours de cellule de punition avec sursis. Il avait porté sa requête devant le tribunal administratif de Versailles qui a, pour les mêmes motifs que M. Hardouin, rejeté sa requête pour irrecevabilité.

Le Conseil d’État considérait que les sanctions disciplinaires prononcées à l’égard de deux catégories de personnes, que sont les détenus et les militaires, constituaient des mesures d’ordre intérieur qui ne pouvaient faire l’objet de discussions devant le juge administratif. Les mesures d’ordre intérieur sont des mesures relatives à l’organisation interne et externe des services, tels que le milieu pénitentiaire. 

Par exemple, le fait de placer deux détenus aux profils spécifiques dans une cellule, relève de l’organisation interne du service. Toutefois, cette mesure peut s’avérer préjudiciable à l’exercice des droits et libertés des détenus.

Toutefois, par un revirement de jurisprudence, sur les décisions Hardouin et Marie, le Conseil d’État a considérablement réduit l’étendue de la catégorie des mesures d’ordre intérieur. Une décision qui s’inscrit dans un volant de sécurité juridique, notamment pour les détenus, puisque l’administration doit désormais répondre de ses actions, ce qu’elle ne faisait pas auparavant puisqu’elle considérait que ces mesures relevaient de l’ordre intérieur. Cependant, cette notion n’a pas été totalement abandonnée par le Conseil d’État, mais la solution rendue s’inscrit dans l’évolution générale de la jurisprudence dans laquelle ces mesures d’ordre intérieur font face à une restriction progressive.

Cette décision constitue ainsi l’un des fondements du contentieux pénitentiaire. Il est désormais rare que les détenus ne puissent pas effectuer des recours administratifs (3) contre des mesures d’ordre intérieur.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 est le deuxième pilier de ce droit. Elle aménage de nouveaux principes :

  • La garantie de l’usage de certains droits, tels qu’un meilleur accès au droit au travail ;
  • Le développement des alternatives de la détention provisoire et des aménagements de peine ;
  • Une meilleure distinction des régimes de détention en lien avec la personnalité des détenus et une meilleure adaptation des cellules collectives ;
  • L’encellulement individuel.

Ces deux fondements juridiques, qui s’ajoutent à la jurisprudence du Tribunal des conflits du 27 novembre 1952, Préfet de Guyane, ont structuré le droit et la pratique du milieu pénitentiaire, faisant progressivement évoluer l’administration et les sanctions prises par cette dernière. La majeure partie de la loi du 24 novembre 2009 a été abrogée par l’ordonnance du 30 mars 2022, portant partie législative du code pénitentiaire. 

L’objectif de cette ordonnance est de donner, par le biais du code pénitentiaire, davantage de cohérence au droit des peines et de rendre l’ensemble des dispositions du code plus accessibles et plus lisibles. De plus, l’ordonnance de 2022 permet de souligner l’importance et la spécificité des missions du service public pénitentiaire. Ces dispositions ont ensuite été ajoutées à ce code lors de sa rédaction, le 5 avril 2022.

2/ La difficile saisine du juge administratif par les détenus

Les personnes détenues disposent de droits en matière administrative, tels que la possibilité de demander l’annulation ou la suspension d’une décision administrative. Les principaux recours étant : le recours pour excès de pouvoir et les référés en cas d’urgence. Le code des relations entre le public et l’administration (CRPA), mentionne les différents recours administratifs aux articles L. 410-1 à L. 412-8.

La différence principale entre le recours pour excès de pouvoir et les référés résulte du fait que lors de ces derniers, le juge statue toujours de façon provisoire (comme la suspension d’un acte), contrairement au recours pour excès de pouvoir qui fait naître des décisions définitives. Lors de celui-ci, le requérant soumet à la censure et au contrôle de légalité du juge administratif un acte administratif et demande son annulation.

Les référés urgents sont composés des référé-suspension, référé-liberté et référé mesures utiles. Le critère principal de ces derniers est l’urgence, qui se caractérise lorsqu’une décision administrative préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre.

On constate ainsi deux problèmes, l’un concerne le pouvoir discrétionnaire de l’administration et l’autre, qui persiste encore aujourd’hui, est la saisine du juge administratif. 

D’une part, le pouvoir discrétionnaire se constate par un maintien des sanctions disciplinaires qui semblent parfois injustifiées. Un certain « déséquilibre » peut être perçu entre la faute commise et la décision administrative prise en conséquence. D’autre part, lorsqu’une personne détenue souhaite saisir le juge administratif, elle doit d’abord effectuer un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), devant le directeur régional qui dispose de trente jours pour y répondre. 

Le RAPO est une procédure par laquelle une personne, souhaitant contester une décision administrative qui lui est défavorable, est tenue de former un recours devant l’autorité administrative préalablement à toute saisine du juge administratif. Ce recours ne laisse donc pas le choix d’être fait à l’administré s’il veut contester une décision contentieuse.

On constate ainsi que le délai de traitement dont disposent les autorités compétentes en matière administrative est relativement long, lorsque ce sont des droits fondamentaux qui sont en cause. En effet, le plus souvent, lorsque la décision du juge est prononcée, la peine ou la sanction du détenu est déjà terminée.

En revanche, si une personne incarcérée n’est pas en accord avec une décision prise par l’administration, elle peut, comme le dispose l’article R. 315-2 du code pénitentiaire, effectuer un recours hiérarchique. 

Le recours hiérarchique est la réclamation adressée à une autorité administrative, par laquelle il lui est demandé de réformer, d’abroger ou d’annuler un acte édicté par une autorité administrative tierce qui lui est hiérarchiquement subordonnée. Le recours gracieux, quant à lui, est une demande adressée à une autorité administrative tendant à ce qu’elle modifie, abroge ou retire une décision dont elle est l’auteur.

L’article R. 315-2 du code pénitentiaire mentionne les autorités devant lesquelles ce recours est réalisable et énonce dans son dernier alinéa que « ce recours n’est pas suspensif ». En effet, préciser que ce recours n’est pas suspensif, insiste sur le fait que le recours hiérarchique a pour finalité la réformation, l’abrogation ou l’annulation d’une décision administrative.

3/ Le contrôleur général des lieux de privation de liberté : un acteur assurant le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté

Le renforcement de l’accessibilité du juge administratif concernant l’indignité des conditions de détention a été constaté grâce aux évolutions récentes. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), peut visiter à tout moment, sur l’ensemble du territoire français, tout lieu où des personnes sont privées de liberté.

Sa mission principale est de veiller à la garantie des droits fondamentaux dont les détenus disposent.

Le CGLPL s’assure du respect de l’équilibre entre, d’une part, le respect des droits fondamentaux des personnes incarcérées, et d’autre part, le respect des mesures d’ordre public et de sécurité.

Il peut être averti d’un irrespect de cet équilibre par courrier et peut également constater ce déséquilibre lors de ses visites.

Le CGLPL a constaté que les requêtes dénonçant des conditions indignes de détention devant le juge administratif ne s’élèvent qu’à 9 %. 

Il reste donc un long chemin à parcourir avant de rendre meilleures, et plus adéquates, les décisions rendues par l’administration envers les personnes incarcérées.

4/ La faible garantie de l’action du juge administratif 

Les personnes détenues peuvent saisir le juge administratif et faire valoir leurs droits en contestant un acte pris par l’administration à leur égard. Cependant, force est de constater, que les pouvoirs du juge administratif sont limités, concernant ses capacités à effectuer son rôle et à garantir des décisions adaptées.

En effet, même si jusqu’à aujourd’hui, les droits des détenus en matière administrative ont évolué, la portée de la juridiction administrative reste limitée à leur sujet. Les décisions rendues par l’administration dans le cadre d’un recours administratif, opéré par une personne incarcérée restent inégales. Généralement, elles n’aboutissent pas ou lorsque c’est le cas, cela intervient dans un délai trop long.

En somme, l’effectivité et l’efficacité de la juridiction administrative dans le milieu pénitentiaire continuent de progresser. Malgré une baisse de l’arbitraire, celui-ci persiste dans les décisions rendues par l’administration envers les personnes détenues. 

Nathan HUIJBREGTS – étudiant en Master 1 Droit public, Métiers des Contentieux Publics et du Droit Public Général.

Sources

  1. https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-assemblee-17-fevrier-1995-hardouin-et-marie 
  2. la sanction d’arrêt entraîne dans le cadre militaire le report de la permission déjà accordée 
  3. Le recours administratif étant la réclamation adressée à l’administration en vue de régler un différend né d’une décision administrative.

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mardi-12-novembre-2024-7522665

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021312171

https://www.cglpl.fr/missions-et-actions/sa-mission/

https://www.cglpl.fr/2024/leffectivite-des-voies-de-recours-contre-les-conditions-indignes-de-detention/

https://www.vie-publique.fr/en-bref/295636-quels-recours-pour-les-detenus-dans-des-conditions-indignes

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