La compensation est un mécanisme du régime général des obligations qui permet une extinction des obligations réciproques entre deux personnes. La compensation peut être d’origine légale, conventionnelle ou judiciaire. Afin que la compensation légale s’opère, il est nécessaire de réunir quatre conditions. Premièrement, il faut l’existence de deux dettes réciproques, c’est-à-dire deux dettes croisées entre deux mêmes personnes. Deuxièmement, il faut deux dettes fongibles, c’est-à-dire portant sur une chose interchangeable, telle qu’une somme d’argent. Troisièmement, il faut deux dettes certaines, ce qui signifie qu’elles existent et qu’elles ne font pas l’objet d’une contestation. Enfin, il faut deux dettes exigibles, c’est-à-dire dont le terme est échu.
Il est important de préciser que ce mécanisme a connu une modification suite à l’ordonnance du 10 février 2016 (ordonnance n°2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations).
En effet, le droit antérieur définissait la compensation à l’ancien l’article 1290 du code civil en indiquant que « La compensation s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes s’éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives. »
Cette définition consacrait le principe de l’effet automatique de la compensation. En effet, celle-ci s’opérait de plein droit, sans qu’elle soit invoquée par les parties.
L’ordonnance du 10 février 2016 consacre désormais la compensation à l’article 1347 du même code comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. Elle s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies. »
Cet article vient rompre avec le principe de l’effet automatique de la compensation et établit dorénavant l’exigence d’une invocation formelle de la compensation par les parties. Une fois la compensation invoquée, celle-ci rétroagit au jour où les obligations coexistaient avec les conditions requises.
Cette rétroactivité a notamment un effet sur la prescription. En effet, il est possible d’invoquer la compensation même si la créance est prescrite, tant qu’elle ne l’était pas au moment où les conditions de la compensation étaient réunies.
C’est en ce sens que, par un arrêt du 11 juin 2024, la 9ème et la 10ème chambres réunies du Conseil d’État, ont affirmé cette nouvelle théorie de déclenchement volontaire et se sont prononcées sur l’inaptitude de l’administration fiscale de déclarer d’office la compensation des dettes réciproques entre deux sociétés.
Afin de tirer les conséquences de cet arrêt, il convient, dans un premier temps, d’analyser les faits (I), et dans un second temps, d’examiner la prise de position du juge administratif quant à la nécessité d’une invocation formelle de la compensation par l’un des débiteurs ainsi que les conséquences fiscales liées à cette théorie (II).
I. Synthèse de l’arrêt du Conseil d’État du 11 juin 2024
Dans cet arrêt, la société Aequatio et la société OAA émettaient des factures de prestations demeurées impayées. La société Aequatio n’avait pas payé la totalité des factures de la société OAA, de sorte que le compte fournisseur de la société OAA était créditeur. De plus, la société Aequatio avait bénéficié d’avances de trésorerie de la part de la société OAA par le biais de crédits inscrits au compte courant d’associé de cette dernière, dans les écritures de la société en litige.
Lors d’un contrôle de l’administration fiscale, le vérificateur a déduit de l’existence de dettes réciproques entre les deux sociétés, à savoir les sommes inscrites aux crédits du compte courant associé et du compte fournisseur, qu’elles devaient être regardées comme des encaissements au sens de l’article 269 du code général des impôts (CGI) relatif à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Dès lors, l’administration fiscale a estimé que la compensation valait encaissement, rendant l’opération exigible à la TVA. L’administration fiscale en a tiré les conséquences et a assujetti les sociétés à des rappels de TVA.
Or, il est important de préciser que cette compensation a été réalisée par la seule initiative de l’administration fiscale, sans invocation de la part des sociétés.
La société Aequatio a contesté cette décision et a esté en justice en demandant au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des différentes pénalités et des rappels de TVA auxquelles elle a été assujettie. Le tribunal administratif a favorablement accueilli sa demande et a prononcé la décharge des rappels de TVA.
Saisie par le ministre de l’Économie contre le jugement du tribunal administratif, la cour administrative d’appel de Nantes a approuvé la démarche de l’administration fiscale et a considéré qu’il y avait bien un encaissement rendant l’opération exigible à la TVA.
La société Aequatio estimait, quant à elle, qu’il n’y avait pas eu d’encaissement au sens de l’article 269 du CGI et qu’aucune TVA n’était donc exigible à ce titre pour la période entre le 1er octobre 2009 et le 30 septembre 2012.
Saisi par la société contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, le Conseil d’État s’est prononcé au visa de l’ancien article 1290 du code civil, en vigueur au moment des faits. Cette disposition consacrait l’effet automatique de la compensation, qui s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs.
Ainsi, la question qui se posait était de savoir si sous l’empire du droit ancien, l’administration fiscale pouvait considérer comme encaissement des créances impayées lorsque les conditions de la compensation légale étaient réunies, sans qu’aucune des parties n’invoque ladite compensation.
Dans sa décision, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes et a jugé que, même si les dettes entre les deux sociétés étaient certaines, liquides, fongibles et exigibles, la compensation des dettes entre les sociétés ne pouvait pas être prononcé d’office par l’administration fiscale, lorsque qu’aucun des débiteurs n’ait explicitement invoqué cette compensation.
Par la même occasion, le juge administratif affirme que la compensation ne saurait être assimilée à un encaissement au sens de l’article 269 du CGI, encaissement qui rend la TVA exigible.
II. Les conséquences fiscales de la compensation selon la théorie du déclenchement volontaire
Rendue au visa de l’ancien article 1290 du code civil, selon lequel la compensation s’opérait de plein droit par la seule force de la loi, et ce, même à l’insu des parties, la solution retenue par le Conseil d’État est en réalité davantage conforme au régime de la compensation légale issue de l’ordonnance du 10 février 2016 qui a remplacé l’ancien article 1290 du code civil par le nouvel article 1347.
L’ordonnance de 2016 a consacré la théorie du déclenchement volontaire de la compensation, qui signifie que désormais, la compensation légale des dettes réciproques ne peut intervenir que si l’une ou l’autre des parties l’invoque. Dans le cas de l’espèce, étant donné que les parties ne l’ont pas invoqué, le Conseil d’État a considéré que l’administration fiscale ne saurait elle-même procéder d’office à une telle compensation.
Le Conseil d’État subordonne la réalisation de la compensation légale à l’invocation par les parties, tandis que l’administration fiscale et la cour administrative d’appel de Nantes avaient procédé à une interprétation littérale de l’ancien article 1290 qui consacrait l’effet automatique de la compensation légale.
En réalité, sur l’empire du droit antérieur, la doctrine majoritaire considérait que la compensation devait être invoquée par le débiteur pour produire son effet extinctif des deux dettes réciproques. Dans son arrêt, le Conseil d’État suit donc la doctrine majoritaire et rend un arrêt conforme au régime de la compensation légale issu de l’ordonnance du 10 février 2016.
Désormais, la question de l’automaticité de la compensation est résolue par l’ordonnance du 10 février 2016, qui à article 1347 du code civil consacre la nécessité d’une invocation de la compensation légale par les parties afin que celle-ci produise son effet extinctif. Étant précisé, que la compensation rétroagit au jour où les dettes réciproques coexistaient avec les conditions requises.
En ce qui concerne la conséquence de la compensation sur la TVA, en l’espèce, après avoir procédé à la compensation légale, l’administration fiscale avait considéré qu’il s’agissait d’un encaissement au sens de l’article 269 du CGI, et a donc procédé à l’imposition de l’opération à la TVA.
Pour les opérations imposables et qui entrent dans le champ d’application de la TVA, la date d’exigibilité de la TVA sur le prix d’une prestation de services correspond à la date d’encaissement du prix. L’encaissement du prix est l’événement permettant à l’administration fiscale de réclamer la TVA et, corrélativement, de permettre au client de bénéficier de son droit à déduction.
Ce qui est visé par la notion d’encaissement, c’est la perception d’une contrepartie monétaire ou en nature. Or, la compensation légale, si elle libère effectivement le débiteur en éteignant son obligation, ne constitue pas un encaissement au sens de la TVA, puisqu’elle n’engendre pas de perception d’une contrepartie monétaire ou en nature. Il s’agit simplement d’un mode d’extinction d’une obligation et ne saurait s’analyser en un encaissement pour l’application de la TVA.
Ainsi, dans son arrêt, le Conseil d’État invite les services fiscaux à mettre en œuvre correctement les textes fiscaux, et en l’occurrence l’article 269 du CGI.
Shushan ARGHUSHYAN – étudiante en Master 1 Droit des affaires et fiscalité
Sources utilisées :
- Absence de faculté de l’administration de procéder d’office à la compensation entre les dettes réciproques de deux sociétés | Lexbase
Exigibilité de la TVA – Notion d’encaissement – Dettes réciproques entre assujettis,compensation légale et date d’encaissement du prix d’une prestation de services : quand lacompensation légale ne vaut pas paiement – Commentaire par Neyla Gonzalez-Gharbi –Lexis 360 Intelligence (normandie-univ.fr)