La lutte contre la « réduflation »

L’Insee (l’Institut national de la statistique et des études économiques) publie les informations sur le taux d’inflation en France pour chaque année depuis 2000, calculé à partir de la moyenne de l’évolution des prix à la consommation de l’année. Ces dernières années, l’évolution des prix est marquée par une forte hausse. Ainsi, en 2023 et en 2022, l’inflation annuelle en France s’est établie respectivement à 4,9 % et à 5,2 % (contre 1,6 % en 2021 ou 0,5 % en 2020) (1). 

La hausse des prix affecte tant le pouvoir d’achat des consommateurs, que l’augmentation des charges des producteurs. Dans ces conditions, de nombreux fabricants ont recours à la « réduflation » (combinaison des mots « réduire » et « inflation »).

La réduflation désigne la pratique commerciale ayant pour effet de diminuer la quantité du produit mis dans l’emballage, alors que le prix associé à l’emballage est maintenu, voire augmenté. Si un consommateur paie une même somme d’argent pour le même produit vendu en quantité réduite, il fait face à une hausse de prix. 

Bien que cette stratégie commerciale soit licite, les autorités tant au niveau national (2), qu’au niveau européen (3) cherchent les moyens pour lutter contre ce phénomène. À l’heure actuelle, ce travail a abouti à l’adoption par le ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de l’arrêté du 16 avril 2024 (I), dont la mise en œuvre nécessite certaines précisions (II).

I – L’arrêté du 16 avril 2024 relatif à l’information des consommateurs sur le prix des produits dont la quantité diminue (entré en vigueur le 1 juillet 2024)

L’arrêté du 16 avril 2024, tel que modifié le 28 juin 2024 (4), impose, depuis le 1er juillet 2024, que la proposition à la vente d’un produit de grande consommation préemballé à la quantité nominale constante, dont la quantité a été réduite et le prix ramené à l’unité de mesure de masse ou de volume a augmenté, s’accompagne de la mention obligatoire suivante (à l’exclusion de toute autre mention) : “ Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au (préciser l’unité de mesure concernée) a augmenté de …% ou …€. ”. Les deux valeurs X et Y sont exprimées, selon le cas, en masse ou en volume. Le dispositif renvoie au prix de vente au kilogramme, à l’hectogramme, au litre, au décilitre, au mètre, au mètre carré ou au mètre cube, la quantité nette délivrée et le prix de vente correspondant (deuxième alinéa de l’article 1er de l’arrêté du 16 novembre 1999 relatif à la publicité, à l’égard du consommateur, des prix de vente à l’unité de mesure de certains produits préemballés (5)).

Lorsque le produit est composé de plusieurs unités, la mention doit être rédigée de la façon suivante : “ Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y unités et son prix ramené à l’unité a augmenté de … % ou … €. ” 

Ce dispositif s’adresse aux distributeurs des produits de grande consommation qui exploitent, directement ou indirectement, un magasin à prédominance alimentaire dont la surface de vente est supérieure à 400 mètres carrés.

La mention indiquée ci-dessus doit être apposée directement sur l’emballage ou sur une étiquette attachée ou placée à proximité du produit concerné, de façon visible, lisible et dans une même taille de caractères que celle utilisée pour l’indication du prix unitaire du produit. Elle devra figurer dans le magasin durant les deux mois qui suivent la date de la mise en vente du produit dans sa quantité réduite, et ce, qu’il s’agisse de produits de marque nationale ou de marque de distributeur.

Il résulte de l’article L. 441-4, I du code de commerce que les produits de grande consommation sont les produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation. La liste des produits de grande consommation figure à l’article D. 441-1 du code de commerce (6). Elle contient, par exemple, les produits alimentaires et les boissons, les piles électriques, les produits de lavage, d’hygiène corporelle. 

II – La mise en œuvre de la lutte contre la réduflation

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF) a apporté certaines précisions sur l’application de l’arrêté susmentionné (7). 

Ainsi, la nécessité d’informer davantage les consommateurs est née du constat qu’ils ne se rendaient pas compte de petites modifications de quantités (par exemple, diminution des parts individuelles de fromage à tartiner de 20 g à 18 g). En revanche, si le nouveau format est suffisamment différent du précédent pour exclure toute confusion (par exemple, une bouteille d’eau d’un litre remplacée par une bouteille de 50 centilitres), le consommateur n’est pas susceptible d’être trompé, il y a lieu de considérer que c’est un nouveau produit pour lequel il n’y a pas de comparaison possible avec un produit antérieur et qui n’a en conséquence pas besoin de faire l’objet d’un affichage de la mention.

La notion de nouveau produit intervient en lien avec celle de changement substantiel de la composition du produit. En effet, il pourrait être tentant pour les fabricants d’utiliser les modifications marginales dans les recettes des produits comme moyen d’éviter la comparaison avec les produits antérieurs. En luttant contre le contournement du devoir d’information par ces éventuelles manœuvres, la DGCCRF subordonne la décharge de la comparaison entre les produits à ce que ces derniers soient suffisamment différents dans leurs qualités et caractéristiques essentielles. Par exemple, une formule plus concentrée pour une lessive peut justifier le statut de nouveau produit. En règle générale, la mise sur le marché d’un nouveau produit est accompagnée d’une politique de commercialisation pour mettre en avant la nouveauté. 

En outre, le fournisseur ne peut pas s’opposer à l’information des consommateurs par les distributeurs si les conditions, qui exigent que la mention soit apposée, sont remplies. Pour rappel, il s’agit de deux conditions cumulatives : la diminution de la quantité du produit préemballé et l’augmentation du prix ramené à l’unité de mesure (le poids, le volume ou un ensemble d’unités comme un paquet de piles ou du café vendu en capsule).

Les produits préemballés à quantité nominale variable ou les produits vendus en vrac ne sont pas concernés. 

De surcroît, les professionnels opérant dans le secteur du e-commerce (la vente à distance et le drive) sont hors du champ d’application de l’arrêté en raison du besoin de se conformer au droit européen. Imposer une nouvelle mesure d’information des consommateurs en matière de vente à distance serait contraire au droit européen, harmonisé par la directive (UE) n° 2011/83 (8) sur les droits des consommateurs en matière de vente à distance. La France, en tant qu’État membre de l’Union européenne, ne peut pas ajouter des obligations d’information précontractuelle qui ne sont pas prévues par le droit européen. Cette discordance dans les obligations des distributeurs selon l’exercice des ventes en magasin physique ou virtuel pourrait poser des questions concernant l’existence d’avantages injustes et la violation du droit de concurrence au profit des professionnels non soumis à l’obligation en cause. 

L’autre difficulté majeure de la mise en œuvre de l’arrêté du 16 avril 2024 est que l’obligation d’information, qu’il prévoit, ne pèse que sur les distributeurs et non sur les industriels eux-mêmes, qui sont pourtant mieux placés pour connaître les modifications de leurs produits. Cela s’explique par le fait que les prescriptions incombant aux industriels concernant l’étiquetage des denrées alimentaires préemballées relèvent du règlement (UE) n° 1169/2011 dit INCO (9). L’adoption d’une obligation de transparence pour ces derniers nécessiterait une modification du règlement, ce qui n’est pas exclu dans la mesure où une révision dudit règlement est prévue en 2025. La DGCCRF considère qu’en vertu du « principe de loyauté des transactions », le fournisseur devrait informer le distributeur dès lors qu’il modifie en cours d’année la quantité d’un produit qui constitue une « caractéristique essentielle du bien ». 

Concernant les sanctions, les manquements à l’obligation d’information sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale (articles L. 112-1 et L. 131-5 du code de la consommation). La DGCCRF précise qu’aucun seuil de tolérance ne s’applique en cas de manquements. Cependant, comme pour toute nouvelle réglementation, et pour autant que les acteurs concernés engagent de bonne foi les efforts nécessaires pour assurer sa mise en œuvre, les services de la DGCCRF privilégieront des suites pédagogiques dans un premier temps. 

Par ailleurs, les agents habilités pourront enjoindre à tout professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ses obligations (article L. 470-1 du code de commerce).

Elena BYKOVA – étudiante en Master 1 Droit des affaires et fiscalité

Sources : 

(1) L’essentiel sur… l’inflation | Insee

(2) Phénomène de shrinkflation (senat.fr)

(3) Parliamentary question | Urgent need to take measures at European level to combat shrinkflation | E-000275/2024 | European Parliament (europa.eu)

(4) Arrêté du 16 avril 2024 relatif à l’information des consommateurs sur le prix des produits dont la quantité a diminué – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

(5) Arrêté du 16 novembre 1999 relatif à la publicité, à l’égard du consommateur, des prix de vente à l’unité de mesure de certains produits préemballés –  Légifrance (legifrance.gouv.fr)

(6) Article D. 441-1 – Code de commerce – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

(7) FAQ sur la mise en œuvre de l’arrêté du 16 avril 2024 relatif à l’information des consommateurs sur le prix des produits dont la quantité a diminué | economie.gouv.fr

(8) Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

(9) Règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires – EUR-Lex

A. Guyon, P. Klein, Arrêté anti-shrinkflation : beaucoup de bruit pour rien ?, LPA n° 10, p. 10, oct. 2024

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