La cession de créances professionnelles est issue de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981, modifiée en 1984, dite « loi Dailly » du nom du sénateur auteur de la proposition de loi. La loi Dailly a permis de mettre en place une cession de créances entre les professionnels avec un formalisme allégé. La cession de créances Dailly est un instrument de crédit. Il convient ainsi d’analyser le fonctionnement de l’instrument de crédit (I), les conditions d’application de la cession de créances professionnelles (II) et les effets produits à la suite de sa réalisation (III).
I – Le fonctionnement d’un instrument de crédit
Les instruments de crédit sont des moyens de financement qui ne relèvent pas d’une innovation récente. La lettre de change existait déjà au Moyen-Âge, elle permettait aux marchands de ne pas avoir à transporter de grandes quantités d’argent lors de leurs voyages à l’étranger et d’obtenir l’équivalence de leur monnaie en monnaie étrangère. Aujourd’hui, les instruments de crédit ont évolué et sont devenus des éléments du droit cambiaire. Fruit de l’harmonisation européenne, leur régime est majoritairement issu de directives européennes, de sorte que les dispositions applicables en France les concernant sont semblables aux dispositions applicables au sein du régime juridique des autres États membres.
L’article L. 313-1 du code monétaire et financier (CMF) définit le crédit comme « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie. ». Un instrument de crédit n’a qu’une contrepartie possible, qui se manifeste sous la forme d’une somme d’argent. Cependant, les établissements de crédit, au sein de ce système, obtiendront un avantage, sous la forme de commissions dont ils seront bénéficiaires lors de l’utilisation d’un instrument de crédit lié au risque d’incertitude de recouvrement de la créance.
Un instrument de crédit permet à un commerçant de financer son activité rapidement. Lors d’une relation commerciale, une créance va se former, le créancier aura ainsi un droit à l’encontre de son débiteur. Le paiement de la créance peut être imputé d’un délai, c’est dans ce cas qu’un instrument de crédit va trouver son intérêt, le créancier ayant besoin de fonds afin que son activité fonctionne de manière pérenne pourra consulter un établissement de crédit pour obtenir une avance de fonds en contrepartie de sa créance. Le créancier sera alors cédant de la créance, le débiteur sera le cédé et l’établissement de crédit le cessionnaire.
Exemple : Une société par actions simplifiée (SAS) spécialisée dans les travaux immobiliers obtient un contrat de rénovation d’immeubles d’un montant de 50 000 €, payable à la fin des travaux, prévus pour durer 30 jours. Ne disposant pas des fonds propres nécessaires pour financer ces travaux, la SAS envisage de solliciter un établissement de crédit afin de bénéficier d’une avance de fonds. En cédant la créance issue du contrat de rénovation à cet établissement, la SAS recevrait immédiatement les 50 000 €, diminués de la commission prélevée par le cessionnaire. Cette somme lui permettrait de financer les travaux, et le crédit serait remboursé à l’échéance des 30 jours. Dans cette opération, la SAS agit en tant que cédant de la créance sur l’entrepreneur (le débiteur cédé), tandis que l’établissement de crédit devient le cessionnaire.
II – Les conditions de la cession de créances professionnelles
- Les parties à l’opération
La cession de créances professionnelles présente l’avantage de réduire le formalisme requis par le régime de la cession de créances de droit commun, qui est accessible à toutes les personnes, qu’elles soient professionnelles ou non.
Encadrée par l’article L. 313-23 du code monétaire et financier, la cession Dailly constitue un instrument de crédit réservé exclusivement aux professionnels. Cet article en limite l’usage aux personnes morales de droit privé, aux personnes morales de droit public, ainsi qu’aux personnes physiques exerçant une activité professionnelle.
Concernant le cessionnaire, l’article L. 313-23 du code monétaire et financier a connu plusieurs évolutions depuis son entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2001. Initialement, seuls les établissements de crédit pouvaient être cessionnaires dans une cession de créances professionnelles. Le 1ᵉʳ janvier 2014, cette possibilité a été élargie aux sociétés de financement, et, depuis le 3 janvier 2018, aux fonds d’investissement alternatifs (FIA).
- Les conditions relatives aux crédits consentis
Les cessions de créances professionnelles sont indissociablement liées à des opérations de crédit, qu’ils visent précisément à encourager. Ces crédits peuvent être de courte, moyenne ou longue durée, bien que, dans la pratique, ils soient principalement à court terme. Ils peuvent également inclure des crédits par signature. La cession de créances peut servir de garantie à une opération de crédit spécifique.
Par ailleurs, la créance cédée n’a pas nécessairement de lien direct avec le crédit garanti. Une jurisprudence importante a élargi cette interprétation : dans un arrêt du 24 avril 1990, la Cour de cassation a validé l’utilisation d’une créance pour garantir des crédits déjà consentis, soulignant ainsi une conception large de la loi applicable (Cass. com., 24 avr. 1990, n° 88-20.466).
- Les conditions relatives aux créances cédées
Aux termes de l’article L. 313-23, alinéa 2, du code monétaire et financier, peuvent être cédées des créances liquides et exigibles, même à terme. Il en va de même pour les créances issues d’un acte déjà réalisé ou à venir, même si leur montant ou leur exigibilité ne sont pas encore déterminés. Par exemple, cela peut concerner une créance liée à un marché non encore conclu, dès lors que la soumission de l’entrepreneur a été acceptée. Les créances échues peuvent également être cédées, y compris à titre de garantie (Cass. com., 8 janv. 1991, n° 89-13.711).
L’origine de la créance est indifférente : elle peut être contractuelle, délictuelle ou quasi-délictuelle, et peut également avoir une nature publique, comme dans le cadre de marchés publics, d’arrêtés de subvention ou de relations avec l’administration fiscale.
En cas de contestation sur l’existence de la créance cédée, il appartient à celui qui invoque cette créance d’en apporter la preuve, conformément à l’article 1353 du code civil. Toutefois, l’acceptation de la cession de créances par le débiteur vaut preuve de l’existence de la créance (Cass. com. 25 févr. 2003, n° 00-22.117).
Il existe une limite à la cession de créances professionnelles concernant les sous-traitants. La loi impose une incessibilité partielle des créances issues de marchés non intégralement exécutés par l’entrepreneur principal. Concernant les marchés privés, l’article 13-1, alinéa 1er, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance prévoit que l’entrepreneur principal ne peut céder les créances issues du marché qu’à hauteur des sommes correspondant aux travaux qu’il exécute personnellement.
- Les conditions de forme
L’article L. 313-23 du CMF dispose que la validité de la cession de créances Dailly est soumise à la remise d’un bordereau comportant les énonciations suivantes :
- La dénomination, selon le cas, « acte de cession de créances professionnelles » ou « acte de nantissement de créances professionnelles” ;
- La mention que l’acte est soumis aux dispositions des articles L. 313-23 à L.313-34 du CMF ;
- Le nom ou la dénomination sociale du cessionnaire ;
- La désignation ou l’individualisation des créances cédées ou données en nantissement
La Cour de cassation est très rigoureuse sur le respect du formalisme du bordereau, le fait de mentionner « acte de cession de créances loi Dailly » rend impossible l’application du régime de la cession de créances professionnelles (Cass. com., 11 juill. 2000, n° 97-22.452), il faut que le bordereau comporte en toutes lettres « acte de cession de créances professionnelles ».
La loi n° 2024-537 du 13 juin 2024, dite loi attractivité, introduit une innovation notable en matière de cession de créances Dailly. Jusqu’à présent, le bordereau attaché à la cession de créances ou au nantissement devait obligatoirement être établi sur support papier. Cependant, à compter du 14 mars 2025, cette loi permettra la dématérialisation du bordereau lorsqu’il sera stipulé “à ordre”, conformément au nouvel alinéa ajouté à l’article L. 313-23 du code monétaire et financier.
Le bordereau permet l’identification et l’individualisation des créances transmises. Afin que la cession prenne effet entre les parties et soit opposable aux tiers, il faut que celui-ci soit signé par le cédant et que la date soit apposée par le cessionnaire (art. L .313-25 CMF). C’est l’apposition de la date sur le bordereau par le cessionnaire qui lui donne sa validité. Le cédant a la capacité de s’opposer à la date apposée sur le bordereau par tous moyens (art. L. 313-27 CMF).
III – Les effets de la cession de créances professionnelles
- Les effets entre les parties
La créance est réputée transférée au moment où la date est apposée sur le bordereau par le cessionnaire (art. L. 313-27 CMF). C’est à compter de cette date que la cession produit ses effets entre les parties et devient opposable aux tiers.
La cession de créances professionnelles entraîne un transfert de la propriété de la créance entre les parties (art. L. 313-24 CMF). Sauf convention contraire, le cédant est garant solidaire des créances cédées. En outre, lorsque la créance cédée est assortie de sûretés ou de garanties, celles-ci sont transférées avec la créance à titre d’accessoire.
La contrepartie de cette cession peut revêtir deux formes. Elle peut d’abord consister en une somme d’argent, comme dans un instrument de crédit classique. Il s’agit alors d’une cession d’escompte. En revanche, une autre possibilité est que la créance soit cédée à titre de garantie. Dans ce cas, la contrepartie ne prend pas la forme d’une somme d’argent, mais celle d’une garantie de remboursement d’un crédit, ce qui entraîne la formation d’une cession-sûreté impliquant le transfert de la pleine propriété de la créance.
Lorsqu’il existe un conflit entre deux cessionnaires concurrents, il est résolu en faveur du premier en date, en application de l’adage prior tempore potior jure (Cass. com., 5 juil. 1994, n° 92-14.966).
- Les effets à l’égard du débiteur cédé
Dans le cadre de cette cession de créances professionnelles, tant que le débiteur cédé n’a pas reçu notification de la cession, il peut régler sa dette auprès du cédant, et ce paiement sera considéré comme libératoire. En revanche, si le débiteur a accepté la cession, seul un paiement effectué au cessionnaire aura un effet libératoire (art. L. 313-28 CMF).
Le recours du cessionnaire contre le débiteur cédé s’inscrit dans le cadre du droit commun des actions en paiement. Cela signifie que le cessionnaire, en tant que nouveau titulaire de la créance, dispose des mêmes droits que le cédant pour en demander le règlement. Cependant, une condition spécifique s’applique : le cessionnaire ne peut exiger le paiement du débiteur cédé qu’à condition de présenter le bordereau de cession comme preuve de la transmission de la créance (Cass. com. 25 févr. 2003, n° 00-22.117).
En pratique, la charge du recouvrement de la créance est souvent laissée au cédant. Bien qu’il ne soit plus titulaire de la créance. Le cédant agit alors en qualité de mandataire du cessionnaire pour procéder au recouvrement. Cela ne remet pas en cause la cession de la créance, mais confère au cédant un rôle limité à cette mission spécifique (Cass. com., 4 janv. 2005, n° 03-11.980).
En droit cambiaire, le principe est l’inopposabilité des exceptions, ce qui signifie que le débiteur cédé ne peut pas opposer au cessionnaire les exceptions découlant de ses relations personnelles avec le cédant, telles qu’un manquement à ses obligations. Toutefois, en matière de cession Dailly, ce principe ne s’applique que si le débiteur cédé a expressément accepté la cession par écrit, à la demande du cessionnaire, conformément à l’article L. 313-29 du code monétaire et financier.
Cet écrit doit être formulé comme suit : « Acte d’acceptation de la cession ou du nantissement d’une créance professionnelle ».
La seule limite à ce principe réside dans le cas où le cessionnaire aurait agi sciemment au détriment du débiteur, ce qui rendrait l’inopposabilité des exceptions inapplicable.
Baudouin RENAUD – étudiant en Master 1 Droit des affaires et fiscalité
Principales sources utilisées :
- Code monétaire et financier, articles L. 313-1 et suivants
- Code monétaire et financier, articles L. 313-23 à L. 323-34
- La cession de créances professionnelles par bordereau Dailly, A.Bamdé 30/05/2016
- Les conditions du recours en garantie du cessionnaire Dailly contre le cédant, D.Robine 07/10/2010