I. Qu’est-ce qu’un organisme de gestion agréé ?
En France, les professionnels soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non-commerciaux (BNC), des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et des bénéfices agricoles (BA), peuvent adhérer à un organisme de gestion agréé (OGA).
En présence d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale ou agricole, l’organisme prend le nom de centre de gestion agréé (CGA), tant dis qu’en présence d’une entreprise libérale, il prend le nom d’association de gestion agréée (AGA). Cette adhésion offre divers avantages fiscaux.
Les CGA et les AGA sont des associations de type “loi 1901”, créées par la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat du 27 décembre 1973, « Loi Royer » et par la loi de finances du 24 décembre 1984. Ces associations visent à fournir aux entreprises une aide technique en matière de comptabilité, de gestion, de fiscalité et de formation ainsi qu’un accompagnement en termes de gestion et de prévention des difficultés économiques et financières.
À partir de 2006, une réforme fiscale a introduit une majoration de 25 % du bénéfice imposable pour les non-adhérents, remplaçant l’abattement de 20 % précédemment accordé aux adhérents. Ce nouveau dispositif de majoration a été jugé conforme à la Constitution dans la décision n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010 du Conseil constitutionnel.
Toutefois, cette majoration a entraîné un litige, qui a été amené devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), le 7 décembre 2023 (n° 26604/16).
II. La décision de la Cour européenne des droits de l’Homme du 7 décembre 2023
Dans cette affaire, le requérant exerçait une activité professionnelle en France, soumise à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des BNC. Il n’avait pas adhéré à un OGA et s’était ainsi vu appliquer une majoration de 25 % sur son résultat fiscal. Cette imposition supplémentaire, selon lui, entraînait une surcharge fiscale disproportionnée par rapport aux obligations normales des contribuables.
Il a contesté cette majoration devant les juridictions françaises, en soutenant qu’elle violait le principe d’égalité devant l’impôt et constituait une sanction déguisée pour les contribuables ne souhaitant pas adhérer à un OGA. Les juridictions nationales ont rejeté son recours, considérant que la mesure visait à encourager la transparence fiscale et à prévenir la fraude fiscale.
Par la suite, il a porté l’affaire devant la CEDH, invoquant une violation de son droit au respect des biens, garanti par l’article 1er du Protocole n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Convention EDH). Il faisait valoir que la majoration de 25 % constituait une ingérence disproportionnée au droit au respect de ses biens.
Le requérant obtient gain de cause puisque la CEDH considère que la majoration de 25 % du bénéfice imposable appliquée aux contribuables non adhérents à un OGA violait, effectivement, l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention EDH. Plus précisément, la CEDH indique que la majoration entraîne l’imposition de revenus pouvant être qualifiés de « fictifs », ce qui conduit à une surcharge financière disproportionnée pour le contribuable, présumé de bonne foi. La CEDH n’ignore pas l’objectif de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, toutefois, elle considère que la méthode utilisée par le législateur français rompt le juste équilibre qui doit exister entre les impératifs d’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.
III. Impact fiscal de l’arrêt sur les contribuables et les organismes de gestion agréés
La France avait déjà amorcé une suppression progressive de cette majoration prévue par l’article 158, 7, 1° du code général des impôts (CGI). La loi de finances pour 2021, avait prévu une réduction progressive de la majoration fiscale. Cette majoration, initialement fixée à 25 %, était réduite à 20 % pour les revenus de 2020, 15 % pour ceux de 2021, et 10 % pour ceux de 2022. La loi de finances pour 2021 avait également prévu une suppression définitive de la majoration fiscale à compter des revenus de 2023.
Cette décision ouvre la voie à des réclamations de la part des contribuables ayant subi cette majoration. Ils peuvent désormais contester les impositions supplémentaires qui leur ont été appliquées, en invoquant l’incompatibilité de la mesure à la Convention EDH. Ces réclamations doivent être présentées avant le 31 décembre de la seconde année suivant la mise en recouvrement.
Ainsi, pour les revenus de 2021, imposés en 2022, la réclamation devra être déposée au plus tard le 31 décembre 2024. Pour les revenus de 2022, imposés en 2023, la réclamation pourra être effectuée jusqu’au 31 décembre 2025.
En outre, pour se conformer à la décision de la CEDH, l’administration fiscale a ajusté sa doctrine au sujet des déductions fiscales dont bénéficient certains médecins. En effet, les médecins conventionnés du secteur I (praticiens ayant signé une convention avec l’Assurance maladie, s’engageant à appliquer les tarifs réglementés fixés par cette convention) peuvent bénéficier de déductions fiscales spécifiques, notamment l’abattement du groupe III (dispositif fiscal spécifique permettant aux médecins conventionnés du secteur I de bénéficier d’une déduction forfaitaire sur leurs revenus imposables) et d’une déduction complémentaire de 3 %. Historiquement, l’application de ces déductions était conditionnée à l’adhésion à un OGA.
Cependant, une mise à jour du Bulletin Officiel des Finances Publiques – Impôts (BOFiP – Impôts) en date du 28 août 2024 a supprimé cette condition. Désormais, les médecins du secteur I, qu’ils soient adhérents ou non à un OGA, peuvent bénéficier de ces déductions, sous réserve du respect des autres conditions. Cette modification s’applique de manière rétroactive pour les années d’imposition non prescrites. Les médecins concernés peuvent donc rectifier leurs déclarations fiscales pour ces années afin de bénéficier des abattements du groupe III et de la déduction complémentaire.
Toutefois, cet arrêt, au-delà de ses implications fiscales, exerce également une influence sur le plan législatif, en remettant en question la conformité de certaines dispositions du CGI avec les principes européens de protection des droits patrimoniaux.
Par exemple, l’article 774 bis du CGI, qui exclut la déductibilité de dettes de restitution de quasi-usufruit de l’actif brut successoral, soulève des questions quant à sa compatibilité avec le droit au respect des biens, protégé par l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention EDH.
L’article 774 bis du CGI dispose que sont désormais exclues du passif déductible de l’actif taxable les dettes de restitution afférentes à une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit. Corrélativement, l’exclusion de la dette de restitution du passif déductible entraîne une hausse de l’actif taxable à concurrence du même montant, ainsi, cela entraîne pour le nu-propriétaire une imposition à hauteur de la somme totale grevée d’usufruit. Les droits sont liquidés dans les conditions et au tarif applicables entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.
En pratique, cela conduit à une surimposition injustifiée des ayants droit, qui se voient imposer des valeurs patrimoniales virtuelles ou non réalisées, essentiellement lorsque le nu-propriétaire n’est pas en mesure de recouvrer le montant de sa créance. Cette situation est comparable à celle dénoncée par la CEDH dans l’arrêt étudié.
La décision de la CEDH pourrait diminuer l’incitation à adhérer à un OGA, remettant en question leur rôle dans le dispositif fiscal français. Cela pourrait conduire à une redéfinition de leurs missions et des avantages offerts aux adhérents.
Il existe à ce jour deux avantages offerts aux adhérents. Tout d’abord, les contribuables adhérant à un CGA ou à une AGA et ayant opté pour le régime réel d’imposition peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu (article 199 quater B du CGI). Cette réduction s’applique aux dépenses liées à la tenue de leur comptabilité et à leur adhésion au CGA ou à une AGA. Elle est équivalente à deux tiers des dépenses engagées, dans une limite maximale de 915 euros.
Ensuite, les contribuables adhérant à un CGA ou à une AGA peuvent être exemptés de majorations fiscales sous conditions (article 1755 du CGI), sauf en cas de manœuvres frauduleuses. Pour en bénéficier, ils doivent signaler spontanément les erreurs, omissions ou inexactitudes figurant dans leurs déclarations fiscales. Cette démarche doit être effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de trois mois suivant l’adhésion.
Le projet de loi de finances pour 2025 propose de supprimer la réduction d’impôt pour frais de comptabilité et d’adhésion à un OGA (article 199 quater B du CGI) et de modifier le régime juridique des OGA, qui pourraient devenir des associations non agréées ou des structures commerciales. Ces réformes visent des économies budgétaires et font suite à la suppression de la majoration de 25 % pour les non-adhérents. Il sera nécessaire de vérifier si ces propositions sont retenues dans la loi de finances pour 2025.
Alexandra Jovanovic – étudiante en Master 1 Droit des affaires et fiscalité
Sources :
Décision de la CEDH :
https://hudoc.echr.coe.int/fre – {« itemid »:[« 001-229323 »]}
Contexte fiscal :
https://www.legifiscal.fr/actualites-fiscales/3645-majoration-adhesion-oga-recours-possible.htm
Impact de la décision sur les professions médicales :
https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/5962-PGP.html/identifiant=BOI-BNC-SECT-40-20210512?
F. Douet, Non-déductibilité de la créance de restitution du quasi-usufruitier d’une somme d’argent et atteinte au droit au respect des biens, RJF 4/24, p. 15
Projet loi de finance pour 2025 :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0324A/AN/3656