Introduction : Les ZFE-m dans la politique de lutte contre le réchauffement climatique
126 millions de tonnes. Il s’agit de la quantité d’émissions de CO₂ que le secteur du transport a émis en 2021 en France, ce qui représente environ 30 % du total national des émissions de CO₂. Le transport est en effet le premier secteur émetteur de CO₂ devant le secteur de l’industrie et l’agriculture.
La même année, l’État français est condamné par le tribunal administratif de Paris dans sa décision dite « Affaire du siècle » en date du 3 février 2021 (n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1) pour non-respect de ses engagements internationaux s’inscrivant dans la Stratégie nationale bas-carbone [1]. Le 1er juillet 2021, c’est au tour du Conseil d’État de condamner la France en retenant sa carence dans la lutte contre le réchauffement climatique dans son arrêt « Grande-Synthe » (n° 427301).
S’inscrivant à la suite de ces contentieux climatiques historiques, la loi dite « climat et résilience » du 22 août 2021 a eu la lourde tâche d’apporter des solutions face au dérèglement climatique. Parmi celles-ci, il a été décidé de renforcer le système des Zones à Faibles Émissions mobilité, en rendant obligatoire leur instauration pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants, et ce, d’ici le 31 décembre 2024.
Arrivé à terme de cette échéance et à l’heure où les véhicules Crit’Air 3 ne peuvent en théorie plus circuler à Paris ou encore à Lyon depuis le 1er janvier 2025, quel est le premier bilan de ce dispositif ? Les Zones à Faibles Émissions mobilité visent à répondre à l’impératif de protection de la santé publique en améliorant progressivement la qualité de l’air (I), mais elles soulèvent également des difficultés qui remettent en question leur pertinence (II).
I. Les Zones à Faibles Émissions mobilité : principe et échéancier calibré
Après une année 2020 peu propice aux réflexions concernant le changement climatique, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Loi climat et résilience », confirme l’année 2021 comme année clé face au défi climatique. Faisant partie de ses mesures phares, les Zones à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m) ne sont pourtant pas une nouveauté.
En effet, les ZFE-m ont été instituées en 2019 par la loi n° 2019-1458 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, remplaçant alors les zones à circulation restreinte prévues depuis 2015. Relativement méconnues par le grand public jusqu’alors, la loi climat et résilience susmentionnée a donné un coup de projecteur important sur ce dispositif, codifié à l’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
Leur objectif est l’amélioration de la qualité de l’air par une réduction importante des émissions de gaz à effet de serre dans les plus grandes agglomérations, sources majeures de la pollution atmosphérique nationale. Ce principe s’observe aujourd’hui dans toute l’Europe avec plus de 320 ZFE ou low emission zones.
Concrètement, en France, les ZFE-m correspondent à une zone dans laquelle les véhicules les plus polluants sont sujets à des restrictions de circulation plus ou moins importantes sur les voies de circulation routière.
En vertu de l’article L. 2213-4-1 du CGCT, ces ZFE-m sont instituées par arrêté « par le maire ou par le président d’un établissement public de coopération intercommunale [EPCI] à fiscalité propre lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation », « dans les agglomérations et dans les zones pour lesquelles un plan de protection de l’atmosphère est adopté » [2]. À noter que les ZFE-m n’ont pas nécessairement besoin d’occuper tout le territoire de la commune ou de l’EPCI. Toujours selon ce même article, cet arrêté va notamment :
- délimiter ces zones ;
- fixer les mesures de restriction de circulation qui y sont applicables ;
- déterminer les catégories de véhicules concernées par ces restrictions ;
- préciser « les motifs légitimes pour lesquels des dérogations individuelles peuvent être accordées ».
Préalablement à celui-ci, le projet d’arrêté est accompagné d’une étude « présentant l’objet des mesures de restriction, justifiant leur nécessité et exposant les bénéfices environnementaux et sanitaires » qui vont en découler, ainsi que les « impacts socio-économiques » de ces mesures. Ce projet d’arrêté est soumis pour avis à diverses entités mentionnées par ce même article.
Au sein de ces zones, les véhicules « font l’objet de l’identification fondée sur leur contribution à la limitation de la pollution atmosphérique » : une identification via les fameuses vignettes Crit’Air qui dépendent du niveau de pollution du véhicule et qui sont le résultat de décrets d’application.
Depuis la loi climat et résilience, il est possible de distinguer théoriquement deux types d’agglomérations concernées par l’instauration de ZFE-m, à savoir :
A) Les agglomérations dites « territoires ZFE » ou « territoires ZFE effectifs »
Ce sont les ZFE-m dont l’instauration « est obligatoire avant le 31 décembre 2020 lorsque les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 du même code [3] ne sont, au regard de critères définis par voie réglementaire, pas respectées de manière régulière » dans l’agglomération concernée.
Ce sont également celles qui sont obligatoires à compter du 1er janvier 2021, dans un délai de 2 ans, pour la raison susmentionnée et lorsque « les transports terrestres sont à l’origine d’une part prépondérante des dépassements ».
Cette catégorie de ZFE-m est relativement technique et se base sur des outils scientifiques multiples qu’il n’est pas nécessaire de développer davantage ici. Sont concernées par ce type de ZFE-m les villes de Paris et de Lyon, dont les seuils de pollution de l’air restent non-conformes aux seuils à respecter.
Dans ces zones, un échéancier précis a été instauré par l’article L. 2213-4-1 du CGCT avec des mesures de restriction interdisant la circulation de certains véhicules automobiles en fonction du type de véhicule (essence ou diesel) et en fonction de la date d’immatriculation de celui-ci. Trois échéances y sont prévues : le 1er janvier 2023, le 1er janvier 2024 et le 1er janvier 2025. Cette dernière échéance prévoit ainsi l’interdiction des véhicules Crit’Air 3 au sein de Paris et de Lyon. À noter que des dérogations existent en la matière.
L’objectif de cette catégorie de ZFE-m est finalement de réduire suffisamment les émissions dans ces zones afin de les faire intégrer, à terme, la deuxième catégorie de ZFE-m dont les restrictions sont moindres.
B) Les agglomérations dites « territoires de vigilance »
Ce sont les ZFE-m dont l’instauration « est obligatoire avant le 31 décembre 2024 dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants situées sur le territoire métropolitain ».
Une catégorie qui a été rajoutée par la loi climat et résilience et qui a pour effet l’instauration d’un nombre conséquent de ZFE-m sur le territoire (40 agglomérations sont a priori concernées, avec 10 ZFE-m déjà existantes et 30 nouvelles ZFE-m avant le 1er janvier 2025).
Ce sont des zones moins restrictives en matière de circulation que les premières citées. La différence s’explique en effet par leur respect « de manière régulière » des seuils réglementaires prévus en matière de qualité de l’air. La loi leur impose donc uniquement des restrictions minimales de circulation.
II. Les ZFE-m, leurs résultats et leurs difficultés : 2025, une année clé ?
En ce début d’année 2025, comme précisé précédemment, les territoires ZFE effectifs ne sont plus qu’au nombre de deux : Paris et Lyon. Ce sont les deux seules villes actuellement à ne pas respecter régulièrement les seuils de pollution de l’air. À ce titre, le juge administratif a régulièrement condamné l’État du fait du non-respect de ces seuils par différentes zones urbaines :
- En 2017, 13 zones urbaines dépassaient ces seuils, soit 11 de plus qu’actuellement.
- En 2020, ce ne seront plus que 8 zones urbaines.
- En novembre 2023, seules les villes de Paris et de Lyon seront concernées par ces dépassements réguliers des seuils de pollution de l’air.
Cette amélioration continue de la qualité de l’air sera par ailleurs confirmée lors du troisième comité ministériel pour la qualité de l’air du 19 mars 2024.
Cette évolution, bien que n’étant pas du seul fait des ZFE-m, a un impact concret sur les restrictions applicables en leur sein. En effet, les villes de Rouen, Marseille et Strasbourg, jusqu’alors soumises aux restrictions des territoires ZFE effectifs, vont voir leurs obligations en la matière diminuées du fait de leur respect régulier des seuils prévus en matière de qualité de l’air [4].
Malgré ces améliorations indéniables, des difficultés persistent. À ce titre, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, dès le 14 juin 2023, a déposé le rapport d’information n° 738 (2022-2023) intitulé « Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) : sortir de l’impasse » avec pour impératif la conciliation entre « amélioration de la qualité de l’air et acceptabilité sociale » de ce dispositif. Dans ce cadre, cette commission avait réalisé une consultation en ligne auprès des citoyens du 17 avril au 14 mai 2023. Ainsi, ce rapport du Sénat retient un certain nombre de difficultés et notamment :
- Une majorité de français ignorent ce à quoi correspondent les ZFE-m en raison notamment d’un manque « de communication et de pédagogie » en la matière par les personnes publiques. Cette communication est pourtant un préalable nécessaire pour la réussite d’une telle mesure [5].
- Une certaine réticence de la part de nos concitoyens vis-à-vis de ces mesures, notamment concernant les « conséquences sociales » de ce dispositif. En effet, la demande de renouvellement du parc automobile français est perçue comme étant trop rapide, ce qui constitue un « risque de creusement des inégalités sociales » et notamment des classes moins aisées ou celles habitant en périphérie de ces zones.
- Le Sénat perçoit ce dernier point comme le résultat notamment d’un manque d’accompagnement des citoyens par les autorités publiques, mais également d’un accompagnement défaillant de l’État vis-à-vis des collectivités territoriales et EPCI responsables de leur mise en œuvre, en particulier d’un point de vue financier.
- Enfin, on peut également souligner la complexité technique et juridique d’un tel système et une hétérogénéité de mise en œuvre notamment par un manque de concertation entre les différents territoires concernés.
Ainsi, le rapport du Sénat va retenir neuf pistes d’amélioration à travers trois axes de propositions d’amélioration et vingt-cinq propositions via six enjeux pour le Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires dans son rapport en date du 10 juillet 2023, « Les zones à faibles émissions – 25 propositions pour allier transition écologique et justice sociale ». Parmi les propositions récurrentes et mises en avant, on retrouve notamment la nécessité de concertation (en particulier régionale) vis-à-vis de la mise en œuvre des ZFE-m, de renforcer les aides de l’État pour les citoyens, notamment les aides financières (prime à la conversion, prêt à taux zéro, etc.), ou encore le renforcement des alternatives de mobilité et notamment celles périurbaines.
Dès lors, bien que présentant des effets positifs notamment une relative amélioration de la qualité de l’air, les ZFE-m n’ont pas encore répondu à toutes les difficultés notamment et surtout d’un point de vue social. Face à un climat d’instabilité et de tensions politiques, il paraît pour l’instant peu probable que ces problématiques soient réellement abordées d’autant que d’autres sujets semblent préoccuper davantage actuellement. Reste donc à attendre les potentielles réponses futures ainsi que les résultats des dernières mesures prises en la matière.
Evan VEITES – étudiant en Master 2 Métiers de l’Administration Publique Territoriale
NOTES DE BAS DE PAGE :
[1] Il s’agit de la « feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique » adoptée par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et révisée en 2018-2019 puis en 2020. Elle vise à opérer une « transition vers une économie bas-carbone, circulaire et durable » afin d’atteindre notamment la neutralité carbone d’ici 2050 (voir en ce sens : https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/strategie-nationale-bas-carbone-snbc). [2] Pour la notion d’agglomération, voir le lien suivant : https://www.reunion.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/121127_publicite_notion_d_agglo.pdf [3] Les seuils prévus par l’article L. 221-1 du code de l’environnement ainsi que par son article d’application R. 221-1 résultent de la directive européenne n° 2008/50/CE du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe. [4] Certaines études montrent que cette amélioration pourrait être, à l’échelle d’un territoire particulier, d’autant plus importante par l’interdiction des véhicules Crit’Air 3 et encore davantage par l’interdiction des véhicules Crit’Air 2 (cf. Le rapport suivant : https://www.adeus.org/wp-content/uploads/Rapport-ZFE-m_MAJ-octobre-2024_web.pdf dans sa partie 0.7 « Les points d’attention pour la suite de la démarche ». [5] Voir en ce sens le rapport « Évaluation de la zone à faibles émissions-mobilité » d’octobre 2024 de l’Eurométropole de Strasbourg et notamment sa partie 0.3 « L’efficacité de la mise en œuvre » : https://www.adeus.org/wp-content/uploads/Rapport-ZFE-m_MAJ-octobre-2024_web.pdf.SOURCES :