L’alinéa 3 de l’article 16-1 du code civil dispose que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».
Le code civil, dans son chapitre relatif au respect du corps humain, énonce un principe qui paraît évident : celui de l’indisponibilité du corps humain. Il interdit de voir l’être humain comme un objet patrimonial qui peut être vendu ou donné. Mais alors pourquoi, en France, certains musées possèdent des momies ou encore des crânes humains ?
Bien que cela puisse étonner, ces restes humains présents dans les collections muséales sont considérés comme des biens culturels du domaine public soumis au régime juridique de ce dernier. Le code du patrimoine indique dans son article L. 115-5 qu’il peut s’agir « d’un corps complet ou d’un élément de corps humain ». Ces restes humains, exposés ou simplement conservés dans les collections sont donc réifiés : ils sont passés de la catégorie « des personnes », sujets de droit, à celle « des choses », objets de droit. Ce sont des biens entrés dans les collections muséales et plus largement, au sein du patrimoine culturel pour les intérêts artistiques, archéologiques, historiques ou scientifiques qu’ils représentent. Ils sont donc en possession de musées définis par le code du patrimoine en son article L. 410-1 comme « toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public ». On pourrait penser que la conservation et la présentation de restes humains patrimonialisés visent davantage à remplir les deux premiers objectifs d’un musée plutôt que de susciter du plaisir chez les visiteurs qui font frontalement face à la réalité de la mort, sujet de peurs et d’angoisses chez de nombreuses personnes.
Ainsi, les restes humains présents dans les musées constituent-ils des biens culturels ordinaires ?
La patrimonialisation des restes humains en biens culturels muséaux apparaît comme une exception au principe d’indisponibilité du corps humain (I) et soulève toujours des questions éthiques liées à la dignité humaine et à la mort (II).
- Une patrimonialisation des restes humains exceptionnelle dans les musées
- L’absence d’un droit patrimonial sur les restes humains dans le code civil
L’article 16-1 du code civil est clair : la personne humaine ne peut pas être patrimonialisée et cette règle survit après sa mort. Cependant, les musées ont la propriété de restes humains qui appartiennent au domaine public. On remarque, d’une part, qu’ils peuvent faire l’objet d’un droit de propriété qui dépasse, par ailleurs, la seule propriété publique des musées : il se retrouve par exemple dans la punition du vol ou du recel de cadavre ou encore sur le sort de la dépouille d’un défunt. D’autre part, on observe qu’ils échappent à la patrimonialisation au sens du code civil et peuvent être perçus comme une exception au principe d’indisponibilité. En réalité, les restes humains présents dans les collections des musées font l’objet d’un droit patrimonial culturel qui se distingue de celui énoncé dans le code civil.
- L’appartenance des restes humains à un régime patrimonial particulier
La particularité de ce droit patrimonial culturel a été rappelée dans un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 24 juillet 2008, connu sous l’intitulé « Commune de Rouen ». Cet arrêt est intervenu lors d’une demande de restitution d’une tête maori à la Nouvelle-Zélande, conservée par le Muséum d’histoire naturelle, d’ethnographie et de Préhistoire de la ville de Rouen. Cette dernière avait autorisé la restitution de la tête en se fondant sur l’article 16-1 du code civil. Or, pour refuser cette restitution sur ce fondement, la cour rappelle que les dispositions du code du patrimoine « qui rendent inaliénables les biens d’une personne publique constituant une collection des musées de France, placent ces biens sous un régime de protection particulière distinct du droit patrimonial énoncé à l’article 16-1 du code civil ». Bien qu’ils soient soumis à ce régime particulier, les restes humains ne peuvent pas être achetés comme d’autres biens. Les musées peuvent acquérir leur propriété par des dons ou des legs en vue d’assurer leur conservation, mais jamais sur le marché de l’art, duquel ils sont exclus. On observe donc que le régime des restes humains des collections muséales n’est pas totalement imperméable au régime du code civil notamment à l’article 16-5 qui dispose que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ».
La conservation et surtout l’exposition de restes humains au sein des musées soulèvent des questions éthiques qui poussent à réfléchir sur la raison de la présence de ces biens particuliers dans les collections et, par conséquent, sur l’absence de leur inhumation et de leur repos normalement permis après la mort.
- La question éthique de l’exposition de restes humains : entre le respect de la dignité humaine et le rapport à la mort
- Le principe de dignité humaine : une limite à l’exposition de restes humains
Droit fondamental évoqué dans la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la dignité humaine est un principe qui prohibe toute atteinte dégradante, inhumaine ou irrespectueuse envers l’être humain. L’article 16-1-1 du code civil l’énonce également : « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, (…) doivent être traités avec respect, dignité et décence ». La dignité humaine ne semble pas incompatible avec la conservation et l’exposition de restes humains par les musées puisqu’on peut, par exemple, observer le crâne de Descartes au Musée de l’Homme ou admirer des momies comme celles de l’exposition « Momies, corps préservés, corps éternels » du Muséum de Toulouse en 2022. Or, le principe de dignité humaine empêche la tenue d’une exposition fondée exclusivement sur une démarche lucrative. En effet, d’abord refusée pour le défaut de consentement des défunts, l’exposition « Our Body » a été interdite en France à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2010 car elle visait seulement un but lucratif. Organisée par un businessman, « Our body » présentait des cadavres plastinés d’anciens prisonniers chinois dans des positions relevant de la vie quotidienne. L’exposition s’inscrivait dans une démarche commerciale et constituait davantage une attraction qu’une exposition fondée sur une démarche pédagogique de compréhension de l’anatomie.
- Un rapport à la mort interrogé par l’exposition de restes humains
Des restes humains sont exposés pour des intérêts archéologiques, historiques, esthétiques, scientifiques et surtout pédagogiques. On trouve, par exemple, « les écorchés » du chirurgien Honoré Fragonard au Musée Fragonard de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort servant l’apprentissage anatomique. L’exposition des restes humains suscite toujours des questions par rapport à la mort. Quand on regarde une momie ou un crâne, on pense inconsciemment à la personne humaine qui existait derrière les restes qu’elle a laissés. On peut néanmoins nourrir une curiosité mal placée voire un certain voyeurisme qu’on trouverait inacceptable si les restes exposés étaient ceux de nos proches. Cette curiosité se joint inéluctablement à la confrontation face au décès et de « son après ». L’exposition de restes humains nous rapprocherait de la mort, de sorte à lutter contre le déni existant de celle-ci. Même si la mort constitue naturellement une étape de la vie, une exposition de cadavres bruts, plastinés ou non, ne semble pas pouvoir être accueillie en France même à des fins non lucratives, car elle poserait toujours des préoccupations éthiques liées au respect de la dignité et soulèverait des révoltes de la part de divers acteurs. La France se distingue donc de certains autres pays comme la Belgique, qui autorise l’exposition « Our Body » dénommée « Body World » jusqu’au 9 mars 2025 à Bruges. Le Mexique est, quant à lui, un pays où la mort ne met pas mal à l’aise, notamment par la célèbre fête des morts. Dans la ville de Guanajuato, le Musée des momies (Museo de las Momias) est un endroit lugubre et effrayant pour les voyageurs étrangers, alors que les momies qu’ils présentent debout, contribuent à la fierté de la ville.
Anaël KINSEKI NKIERIE – étudiante en Master 2 Droit du Patrimoine et des Activités Culturelles
Principales sources utilisées :
- CORNU, Marie, « Les restes humains « patrimonialisés » et la loi », 2016, journals.openedition.org, https://journals.openedition.org/techne/909#:~:text=Le%20corps%20humain%2C%20ses%20%C3%A9l%C3%A9ments,corps%20humain%20change%20de%20statut.
- Cour administrative d’appel de Douai, Formation plénière, 24 juillet 2008, 08DA00405, Publié au recueil Lebon
- LE COZ, Pierre. « Pourquoi l’exhibition des cadavres a-t-elle été interdite en France ? ». Corps, 2013/1 N° 11, 2013. p.79-86, cairn.info, shs.cairn.info/revue-corps-2013-1-page-79?lang=fr.
PIODA, Stéphanie, « Les musées doivent-ils encore exposer des restes humains ? », 6 juin 2024, lequotidiendelart.com, https://www.lequotidiendelart.com/articles/25789-les-mus%C3%A9es-doivent-ils-encore-exposer-des-restes-humains.html
Excellente synthèse, conduite à la fois avec la rigueur de l’exigence juridique et le soucis didactique de l’énoncé clair et précis.
Cet article sérieux et sourcé répond parfaitement aux attendus du travail de veille, bravo.