Les règles de territorialité en matière de fiscalité sont essentielles pour déterminer les modalités d’imposition des revenus. En droit français, ces principes sont fixés par l’article 4 A du code général des impôts (CGI), qui établit que les personnes domiciliées fiscalement en France sont imposables sur l’intégralité de leurs revenus, qu’ils soient de source française ou étrangère, ce qui constitue une obligation fiscale illimitée (I) et, à l’inverse, les personnes domiciliées fiscalement hors de France ne sont imposables en France que sur leurs revenus de source française, relevant ainsi d’une obligation fiscale limitée (II).
Ces règles s’appliquent sous réserve des conventions fiscales internationales. En droit fiscal international, il n’existe pas de principe de primauté du droit conventionnel, mais un principe de subsidiarité. En matière de territorialité de l’impôt sur le revenu (IR), le juge doit prioritairement se référer au droit interne pour vérifier que l’imposition est valablement établie. C’est uniquement dans l’affirmative, qu’il a le droit d’appliquer la convention fiscale et qu’il va devoir vérifier que la convention ne comporte pas une disposition contraire au droit interne (III). Le principe de subsidiarité trouve son fondement dans la convention modèle de l’OCDE, ainsi que dans la jurisprudence française (Conseil d’État, 11 avril 2008, n° 285583).
I. Le régime des contribuables fiscalement domiciliés en France : une obligation fiscale illimitée
Les contribuables domiciliés fiscalement en France sont soumis à une obligation fiscale illimitée. Ils sont imposables à l’IR sur l’ensemble de leurs revenus, qu’ils soient de source française ou étrangère.
Le domicile fiscal, distinct du domicile civil, est défini à l’article 4 B du CGI. Il repose sur des critères alternatifs, dont la réunion de l’un suffit pour établir la domiciliation fiscale en France :
- Le foyer fiscal du contribuable en France : Il correspond au lieu où le contribuable réside habituellement et où se situe le centre de ses intérêts familiaux. Le foyer demeure en France même en cas de séjours professionnels prolongés à l’étranger, dès lors que la famille du contribuable réside en France. En revanche, la simple possession d’une résidence secondaire en France ne suffit pas à établir un domicile fiscal.
2. Le lieu de séjour principal : Ce critère est subsidiaire, applicable en l’absence de foyer du contribuable en France. Il est caractérisé lorsque le contribuable séjourne en France plus de 183 jours par an, ou, à défaut, si la durée cumulée de ses séjours en France excède celle passée dans d’autres pays (Conseil d’État, 19 novembre 1969, n° 75925). Ces deux critères ont été unifiés par la jurisprudence dans l’arrêt du Conseil d’État du 3 novembre 1995, n° 126513, qui précise que le domicile fiscal est établi en France si le contribuable a soit son foyer, soit, à défaut, son lieu de séjour principal.
L’exercice d’une activité professionnelle en France : Toute personne exerçant de manière effective et régulière une activité professionnelle en France est fiscalement domiciliée en France, sauf si cette activité est démontrée comme accessoire. Si le contribuable exerce dans plusieurs pays, l’activité principale est exercée en France lorsque la durée d’exercice en France est supérieure à la durée d’exercice dans un autre État. L’article 4 B, 1. b. du CGI présume que les dirigeants des entreprises dont le siège est situé en France et qui y réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur 250 millions d’euros exerçant leur activité professionnelle principale en France. Il ne s’agit que d’une présomption simple, pouvant ainsi être renversée par la preuve contraire.
3. Le centre des intérêts économiques en France : Ce critère s’applique lorsque le contribuable dispose en France de son principal lieu d’investissement, du siège de ses affaires, ou lorsqu’il y administre ses biens. Il suffit que la majorité de ses revenus mondiaux proviennent de la France pour établir son domicile fiscal. Toutefois, le seul fait que le contribuable dispose d’un patrimoine en France ne suffit pas pour considérer qu’il est domicilié en France sur ce critère, en effet, il faut que le patrimoine produise ses principaux revenus.
Les modalités d’imposition des revenus des personnes fiscalement domiciliées en France reposent sur des principes fondamentaux :
- Tous les revenus, qu’ils soient ou non transférés en France, sont pris en compte.
- Les revenus sont imposés après déduction des charges engagées pour leur acquisition, y compris une déduction forfaitaire de 10 % pour les frais professionnels.
- Les impôts acquittés à l’étranger sont déductibles du revenu imposable, mais ne réduisent pas directement l’impôt dû en France.
En outre, des régimes spécifiques s’appliquent aux salariés expatriés. Ces dispositifs prévoient des exonérations totales ou partielles des traitements et salaires perçus à l’étranger, sous conditions de durée, de nature de l’activité exercée et de preuves justificatives (article 81 A du CGI).
Un salarié expatrié est un salarié domicilié en France au sens de l’article 4 A du CGI, qui y exerce une activité salariée et qui est envoyé par son employeur dans un autre État pour y exercer une activité.
- Une exonération totale concerne :
Les rémunérations soumises à un impôt étranger au moins équivalent aux deux tiers de l’IR français sont exonérées.
Les salaires liés à certaines activités spécifiques exercées à l’étranger (construction, montage, recherche, extraction, navigation à bord de navire de commerce) pendant plus de 183 jours sur une période de 12 mois consécutifs, ou à des missions de prospection commerciale effectuées sur plus de 120 jours, sont également exonérés. - Une exonération partielle concerne les suppléments de rémunération accordés pour des séjours à l’étranger sont exonérés sous certaines conditions :
Les séjours doivent être effectués dans l’intérêt direct et exclusif de l’employeur.
Les séjours doivent avoir une durée d’au moins 24 heures sur place.
Les suppléments de rémunération doivent être déterminés avant le séjour, être proportionnels à sa durée et ne pas excéder 40 % de la rémunération du salarié.
II. Le régime des contribuables fiscalement domiciliés à l’étranger : une obligation fiscale limitée
À défaut de conventions fiscales, les contribuables non domiciliés fiscalement en France sont soumis à une obligation fiscale limitée. Cela signifie qu’ils sont imposables uniquement sur leurs revenus de source française, lesquels peuvent faire l’objet d’un prélèvement à la source ou être soumis au barème progressif (article 197 A du CGI). L’imposition repose sur deux critères généraux, applicables de façon alternative, définis à l’article 164 B du CGI, selon la nature des revenus :
- Le lieu du bien ou de l’activité génératrice du revenu : Ce critère inclut les revenus issus de biens ou activités situés en France, comme les revenus immobiliers, les dividendes d’actions françaises, les plus-values de cession de droits sociaux de sociétés françaises, les revenus professionnels ou d’entreprises exploitées en France, ainsi que les revenus des artistes et sportifs liés à des prestations fournies ou utilisées en France ;
- Le domicile ou l’établissement du débiteur du revenu : Les revenus sont de source française si le débiteur est domicilié ou établi en France. Cela concerne notamment les pensions et rentes viagères, les droits d’auteur et les prestations fournies en France.
L’IR dû par les non-résidents sur leurs revenus de source française est calculé dans les conditions de droit commun. Ainsi, il convient d’appliquer le barème de droit commun ainsi que le quotient familial de droit commun. Toutefois, les non-résidents sont plus sévèrement traités que les résidents au sujet des charges déductibles du revenu brut global. En effet, les non-résidents ne peuvent déduire aucune des charges prévues par le CGI, telles qu’une pension alimentaire. En outre, ils ne peuvent pas bénéficier des réductions et crédits d’impôts. Enfin, ils sont imposés à un taux minimum de 20 %, porté à 30 % pour les revenus excédant la limite supérieure de la deuxième tranche du barème. Ce taux peut être écarté si le contribuable prouve qu’un taux inférieur aurait été applicable en prenant en compte l’ensemble de ses revenus mondiaux.
Les contribuables non-résidents en France, mais domiciliés dans l’Union européenne, dans l’Espace Économique Européen (Islande, Norvège, Liechtenstein) ou en Suisse peuvent, sous certaines conditions, être assimilés à des résidents fiscaux français (Cour de justice de l’Union européenne, 14 février 1995, n° C-279/93). Pour cela, trois conditions cumulatives doivent être remplies :
- Le contribuable doit avoir son domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne, de l’Espace Économique Européen ou en Suisse.
- Le contribuable doit justifier que ses revenus de source française sont supérieurs ou égaux à 75 % de son revenu mondial imposé.
- Le contribuable ne doit pas bénéficier d’avantages fiscaux dans son État de résidence en raison de la faiblesse de son revenu imposable.
Enfin, des modalités spécifiques de recouvrement peuvent s’appliquer :
- Une retenue à la source (RAS), qui peut être libératoire ou non libératoire de l’IR, pour de nombreux revenus (dividendes, plus-values, salaires, pensions, etc.) ;
- ou un prélèvement à la source (PAS) non libératoire de l’IR pour d’autres revenus (revenus fonciers, produits d’exploitations, etc.).
III. L’application des règles conventionnelles
Lorsqu’une opération présente un élément d’extranéité, son analyse repose sur l’existence ou non d’une convention fiscale bilatérale. En l’absence d’une telle convention, chaque État est libre d’appliquer son droit interne, ce qui peut engendrer des situations de double imposition. En revanche, si une convention existe, elle s’impose aux États contractants dans le respect du principe de subsidiarité mentionné précédemment.
Les conventions fiscales sont pour la plupart construites sur le modèle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) adoptée en 2017.
Cette convention, ratifiée par la France et d’autres pays, s’applique exclusivement aux résidents des États contractants, définis à l’article 4 comme des personnes assujetties à l’impôt en raison de leur domicile, de leur résidence, de leur siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue.
Les conventions fiscales encadrent principalement l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune immobilière, les plus-values et des impôts similaires ou analogues. Cependant, elles ne couvrent pas nécessairement l’ensemble du territoire d’un État. En France, certains territoires autonomes, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, ne sont pas inclus, sauf stipulations spécifiques.
La détermination de la résidence fiscale repose sur une série de critères propres à chaque État. La convention modèle de l’OCDE prévoit des critères afin de déterminer la résidence d’un contribuable lorsque deux États revendiquent la qualité de résident :
- Une personne est considérée comme un résident seulement de l’État où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent ;
- Si elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans les deux États, elle est considérée comme un résident seulement de l’État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ;
- Si l’État où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d’un foyer d’habitation permanent dans aucun des États, elle est considérée comme un résident seulement de l’État où elle séjourne de façon habituelle ;
- Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d’eux, elle est considérée comme un résident seulement de l’État dont elle possède la nationalité ;
- Si cette personne possède la nationalité des deux États ou si elle ne possède la nationalité d’aucun d’eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d’un commun accord.
Les conventions fiscales répartissent les droits d’imposition entre les États contractants en catégorisant les revenus. Pour chaque type de revenu, trois configurations sont possibles :
- Une imposition exclusive dans l’État de résidence (ER),
- une imposition exclusive dans l’État de la source (ES),
- ou un partage entre les deux, souvent accompagné de plafonds sur les retenues à la source.
Pour éviter les doubles impositions, les conventions prévoient deux méthodes principales : l’exemption (article 23 A du CGI) et l’imputation (article 23 B du CGI).
L’exemption permet à un État de renoncer à imposer un revenu taxable dans l’autre État, soit de manière intégrale, soit avec progressivité. Dans le second cas, le revenu étranger exonéré est pris en compte pour calculer le taux d’imposition applicable aux autres revenus dans l’État de résidence, préservant ainsi la progressivité de l’IR.
L’imputation, quant à elle, autorise les deux États à imposer un même revenu, mais l’État de résidence accorde un crédit d’impôt correspondant à l’impôt payé dans l’État de la source. Ce crédit peut être intégral, partiel (plafonné au montant de l’impôt correspondant au revenu étranger selon le taux de l’État de résidence) ou fictif, encouragé dans certains cas pour stimuler les investissements dans les pays en développement.
Quentin LECLERC – Étudiant en Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Sources :
- Précis de droit fiscal de la famille, Douet Frédéric, 23e édition, 2024, LexisNexis, Précis fiscal,
- Les Petites affiches – n°078 – page 6 – La notion de domicile fiscal – Frédérique Perrotin