« Je vais dire les choses simplement. Naître avec des organes génitaux et reproducteurs féminins ne fait pas de vous une femme. Naître avec un sexe masculin ne fait pas de vous un homme. Sauf si vous le décidez. » (S. Rushdi, La Maison Golden, 2018, Actes Sud)
Cette citation illustre la distinction faite aujourd’hui entre la notion de sexe et celle de genre. Le sexe est déterminé par la biologie, ce sont les chromosomes qui font d’une personne qu’elle soit du sexe féminin ou masculin. Cette dimension biologique peut ne pas être en adéquation avec la perception intime d’une personne de son identité sexuelle. C’est précisément à cet endroit que la notion de genre devient utile : le genre est le ressenti d’une personne, elle peut se sentir homme, femme ou ni homme ni femme. On utilisera le terme transgenre pour toute personne dont le sexe biologique n’est pas en adéquation avec son ressenti, que cette personne ait eu des opérations chirurgicales ou non.
La notion de genre n’est pas intégrée dans le droit français, mais cela ne signifie pas pour autant que cette question est oubliée. En effet, en France, un changement de sexe à l’état civil est possible pour les personnes dont l’identité sexuelle ne correspond pas au sexe biologique. Le sexe mentionné à l’état civil indique donc soit la réalité biologique soit le genre. Il y a alors une confusion entre la notion de sexe et celle de genre.
En droit, le sexe fait partie des principaux éléments relatifs à l’état des personnes. L’état des personnes était traditionnellement considéré comme indisponible en France, de sorte qu’un changement de sexe à l’état civil n’était pas envisageable. Avant 1992, les juges considéraient qu’une personne, sur la base de sa seule volonté, ne pouvait disposer d’un élément de son état civil. Toutefois, après de nombreuses évolutions, le changement de sexe à l’état civil a été admis.
Suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 25 mars 1992, B. c/France, la France est condamnée pour atteinte à la vie privée. Après cette condamnation, la Cour de cassation a alors fait primer le respect du droit à la vie privée sur l’indisponibilité de l’état des personnes pour permettre aux personnes ayant effectué une transition d’obtenir le changement de sexe à l’état civil sous certaines conditions, notamment le diagnostic médical du syndrome de transsexualisme. La personne devait avoir subi une opération chirurgicale et se comporter comme appartenant au sexe opposé.
À la fin des années 2000, la question de la transidentité est abordée comme faisant partie des droits de l’Homme, particulièrement dans un rapport de Thomas Hammerberg qui était commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Aussi, en France, une circulaire CIV/07/10 du ministère de la Justice en date du 14 mai 2010 vient préciser que les juges peuvent accorder le changement de sexe à l’état civil suite à un traitement médico-chirurgical. Le changement de sexe est autorisé à condition d’établir le caractère irréversible de la transformation de l’apparence.
La dernière évolution est l’introduction de la loi du 18 novembre 2016 relative à la question du changement de sexe à l’état civil. Cette loi a abrogé la condition de l’obligation de traitement médico-chirurgical lors de la demande de changement de sexe avec l’alinéa 3 de l’article 61-6 du code civil, qui dispose que “Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande.”
L’article 61-5 du code civil pose les conditions pour le changement de sexe à l’état civil :
« Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification.
Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :
1° Qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;
2° Qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;
3° Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué. »
Cette demande doit être adressée au tribunal judiciaire et, selon l’article 61-8 du code civil, elle n’a aucune conséquence sur les filiations établies avant cette modification. Malgré la loi de 2016, certaines difficultés demeurent quant à l’établissement de la filiation biologique après le changement de sexe à l’état civil.
Depuis le retrait de l’obligation de subir une opération chirurgicale ou une stérilisation, la parentalité biologique après le changement de sexe à l’état civil est possible ; cependant, la loi de 2016 est muette sur la question. Par conséquent, la jurisprudence a dû y répondre. La Cour de cassation considère que l’établissement de la filiation biologique se détache de la question de l’identité sexuelle dans plusieurs arrêts, notamment dans un arrêt de la première chambre civile du 16 décembre 2020. La filiation doit alors être établie en fonction du sexe biologique et non en fonction du sexe mentionné à l’état civil.
La CEDH a tranché sur la question dans deux arrêts O.H. et G.H. c/Allemagne et A.H. et autres c/Allemagne du 4 avril 2023. Un arrêt concernait un homme transgenre voulant être reconnu comme père de l’enfant. La CEDH a eu à vérifier la conformité de la législation allemande au regard des articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Elle conclut à une non-violation de l’article 8 dans le cadre de la large appréciation laissée aux États. Elle considère que les autorités allemandes ont trouvé un équilibre des intérêts en présence. La Cour souligne également que seul un faible nombre de pays (cinq) du Conseil de l’Europe prennent en compte « le sexe reconnu » (mentionné à l’état civil) dans l’établissement de la filiation. La CEDH a conclu à une non-violation de l’article 8 dans un arrêt du même jour, relatif à une femme transgenre voulant être reconnue comme mère à l’état civil.
La jurisprudence de la France n’est donc pas en conflit avec celle de la CEDH, de sorte qu’elle ne risque pas de condamnation en la matière.
En matière d’assistance médicale à la procréation (AMP), depuis la loi bioéthique du 2 août 2021, la procréation médicalement assistée (PMA) est ouverte aux couples formés d’un homme et d’une femme, de deux femmes ainsi qu’aux femmes seules. Cependant, elle n’est pas ouverte aux couples formés de deux hommes ni aux hommes seuls alors que certains d’entre eux ont changé de sexe à l’état civil et ont gardé leurs facultés reproductives.
Cette situation semble incohérente puisque, d’un point de vue biologique, ces personnes se trouvent dans la même situation que des femmes. Ces personnes subissent un traitement différent sans raison légitime, ce qui pourrait constituer une discrimination. Ce traitement est-il discriminatoire ? Le Conseil constitutionnel répond par la négative à cette question dans une décision du 8 juillet 2022 à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’État. Le Conseil constitutionnel rappelle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général », à condition que cette différence de traitement soit « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Il explique que les hommes transgenres et les femmes sont dans des situations différentes au regard des règles de l’état civil. Il ajoute qu’il ne lui appartient pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, d’une telle différence de situation ».
Enfin, il faut souligner que la position française pourrait être amenée à évoluer si la CEDH est saisie de la question. En effet, une vingtaine de pays européens, tels que la Belgique et l’Espagne, ont ouvert l’AMP aux hommes transgenres.
Yoldie CONSTANT – étudiante en Master 2 Droit privé général
Sources :
Bellivier Florence, Droit des personnes, précis Domat, 2023, p.107 à 118.
Le Maigat Patrice, « Double maternité biologique et filiation identitaire » La gazette du palais, 3 novembre 2020, p.20.
Le Maigat Patrice, « Lost in transition : entre ignorance et arrogance, le Conseil constitutionnel valide l’interdiction de la PMA pour les hommes transgenres », Gazette du Palais, 20 septembre 2022, p.15.
Dionisi-Peyrusse Amélie, « 30 ans de lois de bioéthique : une grande œuvre inachevée », Recueil Dalloz 2024, p.1379.
Arrêt Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 16 septembre 2020, 18-50.080 19-11.251 : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042372068
Affaire O.H. et G.H. c. Allemagne (CEDH) : https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-223924%22%5D%7D Affaire A.H. et autres c. Allemagne (CEDH) : https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-223932%22%5D%7D