Arrêt Diarra : Les règles de la FIFA à l’épreuve du Droit européen de la concurrence (CJUE, 4 octobre 2024, aff.C-650/22, FIFA c/ BZ)

Appréhendant le football à travers le prisme d’une activité économique, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) est intervenue une première fois dans ce domaine en 1995 par le très célèbre arrêt Bosman (1). Cette décision a permis aux juges européens de réguler le marché des transferts par le droit européen des travailleurs en interdisant toute forme de quota discriminant les ressortissants des États membres. Cette bombe jurisprudentielle a complètement transformé le marché des transferts européen et a eu des conséquences financières et sportives directes, en permettant aux différents clubs européens d’inscrire en compétition un plus grand nombre de joueurs issus des États membres de l’Union européenne (UE) (2).

Par un arrêt du 4 octobre 2024 (3), déjà qualifié d’ « arrêt Bosman 2.0 »(4), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est revenue pour réguler le marché des transferts des joueurs professionnels de football. En effet, les juges européens ont considéré que les règles imposées par la fédération internationale de football association (FIFA) en matière de transferts de joueurs professionnels sont contraires au droit européen de la concurrence, prévu par les articles 45 et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Cette intervention des juges européens dans les affaires de la FIFA peut surprendre, en effet le droit de la concurrence s’applique aux entreprises. Cependant, au regard de la définition posée par l’arrêt “Höfner et Elser” rendu en 1991 par la CJCE (5), la notion d’entreprise en droit de la concurrence est large et correspond à toute entité exerçant une activité économique de manière indépendante, quelle que soit sa forme juridique ou son mode de financement. Ainsi, compte tenu de son activité de réglementation du football à l’échelle mondiale, la CJUE considère la FIFA comme une entreprise devant respecter le droit de la concurrence. 

Le Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) (6), adopté par la FIFA en 2014, et plus particulièrement ses articles 13, 14 et 17, s’impose à tout acteur souhaitant participer aux compétitions organisées par la FIFA et toute autre association affiliée (UEFA, CAF, FFF, etc.). Il dispose qu’aucune des parties au contrat liant un joueur professionnel à un club ne peut le rompre unilatéralement sans juste cause, sous peine de devoir verser une indemnité conséquente de plusieurs millions d’euros. De plus, l’article 17 du RSTJ impose aux nouveaux clubs souhaitant engager un joueur ayant rompu unilatéralement son contrat sans juste cause d’assumer solidairement l’indemnité due par le joueur et de s’exposer à des sanctions sportives. Enfin, le RSTJ interdit aux associations chargées d’encadrer le football à l’échelle nationale, comme la FFF, de délivrer un certificat international de transfert (CIT) dès lors qu’il existe un litige concernant la rupture du contrat entre l’ancien club et le joueur, empêchant ainsi le nouveau club d’enregistrer ce dernier dans son effectif auprès de la FIFA. Ces normes visent à dissuader les ruptures abusives et à garantir la stabilité contractuelle entre joueurs et clubs.

En l’espèce, Lassana Diarra, un joueur professionnel français de football, a rompu sans juste cause le contrat le liant à un club russe, le Lokomotiv Moscou. Pour ce motif, la chambre de résolution des litiges de la FIFA a condamné le joueur à verser à son ancien club une indemnité de 10,5 millions d’euros, décision confirmée par le Tribunal arbitral du sport. Le Sporting Club du Pays de Charleroi, un club belge, était intéressé par le recrutement du joueur, à condition toutefois d’être assuré de ne pas avoir à payer solidairement l’indemnité due par le joueur et d’obtenir un CIT de la part de la fédération russe de football. Faute d’avoir obtenu de telles garanties, le club belge n’a pas donné suite au recrutement du joueur. Le joueur, considérant que les règles imposées par la FIFA ne respectent pas le droit européen de la concurrence et que ce non-respect des règles européennes lui a causé un préjudice en Belgique, a assigné en justice la FIFA et la fédération belge de football (URBSFA). La cour d’appel de Mons, pour statuer, a adressé une question préjudicielle à la CJUE afin de déterminer si les règles de la FIFA doivent être interprétées comme contraires aux articles 45 et 101 du TFUE (7).

En réponse, la Cour a constaté une atteinte à la liberté de circulation des travailleurs (I), ainsi qu’une entente d’entreprises contraire aux règles de l’UE (II), ce qui amène à s’interroger sur une possible remise en cause du marché des transferts de joueurs professionnels de football (III).

I – Une atteinte à la liberté de circulation des travailleurs  

Inscrite à l’article 45 du TFUE, la libre circulation des travailleurs est l’une des libertés fondamentales du marché unique européen. Elle permet aux citoyens européens de circuler, s’établir et travailler dans tout autre État membre de l’UE, sans discrimination fondée sur la nationalité. Afin de statuer sur l’atteinte à cette liberté, les juges européens s’appuient sur l’interprétation de l’article 45 du TFUE, telle qu’avancée par la CJUE dans l’arrêt « Royal Antwerp Football Club » du 21 décembre 2023 (8). Ainsi, ils ont estimé que cet article s’oppose à toute règle empêchant les travailleurs de quitter leur État membre d’origine pour exercer un emploi dans un autre État membre.

Dans les faits, la CJUE retient que le versement de l’indemnité, les sanctions sportives ainsi que l’interdiction pour l’ancienne association nationale du joueur de fournir un CIT à la nouvelle association, ont pour effet de dissuader les clubs d’embaucher des joueurs ayant rompu unilatéralement leur contrat sans juste cause. Ces sanctions ont ainsi indirectement empêché Lassana Diarra, résidant à Paris, d’exercer son activité économique dans un autre État membre.

De plus, il est à noter que le droit européen prévoit la possibilité, pour des organisations non étatiques, de mettre en place des mesures contraires à la libre circulation des travailleurs sous deux conditions :

  • La mesure doit poursuivre un objectif légitime d’intérêt général ;
  • Elle doit être proportionnée et ne pas dépasser l’objectif poursuivi.

La CJUE écarte rapidement ces hypothèses de justification des règles de la FIFA en rappelant, dans un premier temps, que les pouvoirs publics n’avaient jamais confié un tel objectif à la FIFA et qu’il n’était pas démontré en quoi les règles du RSTJ assuraient la protection des joueurs de football professionnels en tant que travailleurs. Dans un second temps, la CJUE considère que les sanctions prévues par le RSTJ sont justifiées dans leur principe, mais disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

II – Une entente entre entreprises contraire au droit de la concurrence  

Le droit européen de la concurrence, et notamment son article 101, interdit les ententes sur le marché intérieur européen. Une entente anticoncurrentielle est un accord ou une action concertée ayant pour objet ou pour effet de perturber, restreindre ou fausser la concurrence sur un marché de biens ou de services. Ces pratiques peuvent revêtir différentes formes : formelles ou informelles, expresses ou tacites.

Reprenant son interprétation issue des jurisprudences « Royal Antwerp Football Club » et « European Superleague Company » du 21 décembre 2023 (9), la CJUE considère que la FIFA, indépendamment de sa forme juridique, est une entreprise relevant du champ d’application de l’article 101 du TFUE.

Dans sa décision, la CJUE appréhende les différentes règles du RSTJ de manière globale et considère que l’indemnité élevée, ainsi que l’interdiction de délivrer le CIT, couplées au marché limité des joueurs de football professionnels, restreignent considérablement la concurrence entre les clubs recrutant des joueurs. En effet, le droit européen autorise les entreprises à se prémunir contre les pratiques de débauchage agressif de leurs employés, mais en l’espèce, la CJUE ne considère pas ces règles imposées par la FIFA comme telles, mais plutôt comme une manière de cloisonner le marché des joueurs, ce qui va à l’encontre du droit européen de la concurrence.

Cependant, le paragraphe 3 de l’article 101 prévoit une exception au paragraphe 1 du même article, sous réserve du respect de quatre conditions cumulatives :

  • L’accord doit permettre des gains d’efficacité ;
  • Une partie équitable des profits issus de l’accord doit revenir aux utilisateurs ;
  • L’accord ne doit pas imposer de restrictions non indispensables à la réalisation du gain ;
  • L’accord ne doit pas avoir pour effet d’éliminer la concurrence.

En réponse, la CJUE rejette rapidement à nouveau ces hypothèses de justification en questionnant les gains d’efficacité réalisés par la FIFA et le caractère indispensable des restrictions issues du RSTJ pour leur réalisation.

III – L’hypothétique fin du marché des transferts de joueurs professionnels 

Qualifiée de séisme juridique (10), l’analyse de cette décision nous indique plutôt que les secousses provoquées par celle-ci devraient être relativement limitées. En effet, cet arrêt semble à première vue obliger la FIFA à revoir ses règles et permettre aux joueurs de rompre leurs contrats avec une plus grande facilité et, indirectement, d’agiter le spectre de la fin du marché de l’achat-revente de joueurs professionnels. En réalité, cette décision oblige surtout la FIFA à revoir ses outils juridiques afin d’assurer la stabilité contractuelle des relations entre les acteurs du football.

Ainsi, plusieurs mécanismes issus du droit des contrats semblent parfaitement adaptés afin de remplacer les règles du RSTJ et d’offrir des garanties de stabilité, que ce soit aux clubs ou aux joueurs :

  • Tout d’abord, l’utilisation de clauses de non-concurrence, insérées dans les contrats de travail des joueurs, pourrait être une solution permettant aux clubs de bloquer leurs joueurs et de pouvoir obtenir une compensation financière en cas de départ d’un joueur vers un club adverse. En effet, cette stipulation prive le salarié de la faculté d’exercer pendant une certaine période et sur une aire géographique déterminée une activité professionnelle susceptible de concurrencer celle du club.
  • De plus, l’insertion de clauses pénales, qui sanctionnent le non-respect d’une obligation contractuelle par le versement d’une somme forfaitaire au cocontractant, au sein des contrats entre clubs et joueurs, semble être un instrument parfaitement adapté afin d’éviter les ruptures de contrats unilatérales. Cette option a pour avantage de permettre une plus grande prévisibilité en cas de rupture de contrat.
  • Enfin, l’application du principe de responsabilité contractuelle paraît être une solution susceptible de dissuader les parties souhaitant rompre le contrat. Ce mécanisme permet au cocontractant ayant subi des dommages du fait de l’inexécution d’un contrat par l’autre partie d’en réclamer réparation. Néanmoins, il convient de noter que la partie lésée doit prouver le dommage subi, ce qui peut s’avérer particulièrement complexe dans le domaine du sport.

Hugo DOS SANTOS – étudiant en Master 1 Droit des affaires et fiscalité

Sources : 

  1. https://curia.europa.eu/juris/showPdf.jsf?text=&docid=99445&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3104898
  2. https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/laffaire-bosman-la-premiere-decision-qui-a-revolutionne-le-foot-europeen-2123342#:~:text=Et%20trente%20ans%20plus%20tard,une%20augmentation%20significative%20des%20salaires%20.
  3. https://curia.europa.eu/juris/document/document_print.jsf?mode=DOC&pageIndex=0&docid=290690&part=1&doclang=FR&text=&dir=&occ=first&cid=381936
  4. https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/football-l-arret-diarra-est-l-extension-de-l-arret-bosman-explique-thierry-granturco-avocat-et-specialiste-du-droit-du-sport_6818387.html
  5. https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:1689d986-8f43-4ecc-a389-bb324927dfc5.0001.06/DOC_2&format=PDF
  6. https://media.fff.fr/uploads/document/429bfa94f99fc8f75380f05888486c18.pdf
  7. https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12012E/TXT:fr:PDF
  8. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=280764&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3136870
  9. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=782DACCA4564DFCDE290B16AAEB5A95A?text=&docid=280787&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=7979371
  10. https://www.lemonde.fr/sport/article/2024/10/05/l-affaire-lassana-diarra-amorce-une-nouvelle-donne-sur-le-marche-des-transferts-du-football_6344328_3242.html

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *