À l’aube de la disparition du devoir conjugal ?

Le 23 janvier 2025, dans l’affaire H. W c/ France (n° 13805/21), la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu une décision historique : elle a jugé qu’il y avait violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (disposition relative au droit au respect de la vie privée et familiale) à propos d’un divorce pour faute, prononcé aux torts exclusifs de la requérante au motif qu’elle avait cessé d’avoir des relations intimes avec son conjoint. 

Les faits de l’affaire H. W c/ France : 

En 2015, une femme assigne son époux en divorce pour faute, lui reprochant sa violence et le fait qu’il ait privilégié sa carrière professionnelle à sa vie familiale. C’est à titre reconventionnel que son conjoint demande le divorce aux torts exclusifs de la requérante en invoquant un manquement au devoir de respect et au devoir conjugal pendant plusieurs années. Le juge aux affaires familiales saisi des demandes refuse de prononcer le divorce pour faute en retenant notamment que « Les problèmes de santé de la requérante étaient de nature à justifier l’absence durable de sexualité au sein du couple ».

L’épouse interjette appel et, le 7 novembre 2019, la cour d’appel de Versailles prononce le divorce aux torts exclusifs de cette dernière. Les juges se sont fondés sur l’article 242 du code civil prévoyant que « Le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. » Ils ont constaté que la requérante avait avoué l’absence de relations sexuelles conjugales depuis 10 ans dans une main courante déposée en 2004. Quant à son état de santé, la cour d’appel a considéré qu’il ne pouvait excuser le refus opposé de relations intimes à son mari pendant une durée aussi longue. 

La requérante décide alors de former un pourvoi en cassation. Dans une décision rendue le 17 septembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette la demande de l’épouse. 

Estimant que le droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme a été violé, elle décide d’introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme. 

La décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme : 

Devant la Cour, la requérante considère que son droit au respect de sa vie privée est bafoué. Elle estime que le §2 de l’article 8 de la Convention n’est pas respecté. Ce dernier prévoit qu’il peut y avoir une ingérence dans le droit au respect de la vie privée des individus sous certaines conditions. Cette ingérence doit être prévue par la loi et être nécessaire et légitime au but poursuivi. Afin de démontrer que cette ingérence n’est pas justifiée, elle argue devant les juges notamment qu’« une faute civile ne devrait pas pouvoir résulter de l’exercice d’un droit protégé par le droit interne et par la Convention » et « la crainte d’une sanction, fût-elle de nature civile, peut avoir pour effet de vicier le consentement aux relations sexuelles au sein du couple ». 

Pour se défendre, le gouvernement français considère tout d’abord que l’ingérence est prévue par la loi. Il expose qu’en vertu de l’article 215 du code civil, les époux s’obligent mutuellement à une « communauté de vie », laquelle est généralement comprise comme impliquant une « communauté de lit ». Ensuite, il estime qu’elle poursuit un objectif de « protection des droits d’autrui », et qu’elle était nécessaire puisque, notamment, « les époux ont librement consenti à leur mariage et […] se sont délibérément soumis aux devoirs qu’il implique », et que « le manquement au devoir conjugal était ici le seul fondement permettant de prononcer le divorce ». 

Les juges constatent une violation de l’article 8 de la Convention et en concluent une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée de l’épouse. Ils retiennent qu’une telle obligation matrimoniale est contraire à la liberté sexuelle ainsi qu’au droit de disposer de son corps, et à l’obligation de prévention pesant sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles. La Cour n’admet pas que le consentement au mariage entraîne un consentement aux relations sexuelles futures, comme l’allègue le gouvernement français. Elle considère que cette justification reviendrait à remettre en cause le caractère répréhensible du viol entre époux. 

Quid du devoir conjugal ? 

La Cour européenne des droits de l’Homme l’affirme : toute relation sexuelle qui n’est pas consentie est constitutive d’un viol, et ce, que les individus soient mariés ou non. De surcroît, le viol entre époux est répréhensible et, depuis la loi du 4 avril 2006, le mariage constitue une circonstance aggravante. 

Bien que la dernière décision rendue en la matière soit ancienne (Cass. Civ. 2e, 17 déc. 1997, n° 96-15.704), les juges du fond appréciaient souverainement l’inexécution de ce devoir. Le devoir conjugal existait bel et bien. La décision de la Cour européenne ne peut donc qu’être bien accueillie. 

La Cour met également en avant qu’il existe d’autres voies pour mettre fin à une union. En l’espèce, le conjoint de la requérante pouvait demander le divorce pour altération définitive du lien conjugal. Elle entend ici privilégier d’autres types de divorce que celui pour faute fondé sur l’absence de relations sexuelles. 

Les juges insistent également sur un point : un mariage n’est pas un consentement par anticipation. Ils rappellent à la France que « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances » et la Cour refuse d’admettre que le consentement au mariage entraîne le consentement aux relations sexuelles futures entre les époux. Surtout qu’ici, cette justification se heurte au droit pénal qui incrimine le viol entre époux. 

En rendant une telle décision, la Cour met l’accent sur la notion de consentement et sur la liberté sexuelle et individuelle. Pour se conformer à la décision de la Cour, le législateur français devra intervenir et, la liberté sexuelle étant au cœur de la motivation des juges, le devoir conjugal semble destiné à disparaître.

Bon à savoir : 

  • Le caractère répréhensible du viol entre époux : Article 222-22 alinéa 2 du code pénal « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. »
  • La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique :

Thaïs BLIN – étudiante en Master 2 Droit privé général 

Les sources : 

https://hudoc.echr.coe.int/eng/#{%22itemid%22:[%22001-240199%22]}

CEDH 23 janv. 2025, H.W c/ France, Req. 13805/21

https://www-dalloz-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/documentation/Document?ctxt=0_YSR0MD1ILlcuIGMuIEZyYW5jZcKneCRzZj1zaW1wbGUtc2VhcmNo&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PSNkZWZhdWx0X0Rlc2PCp3Mkc2xOYlBhZz0yMMKncyRpc2Fibz1UcnVlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD3Cp3MkZnJlZXNjb3BlPUZhbHNlwqdzJHdvSVM9RmFsc2XCp3Mkd29TUENIPUZhbHNlwqdzJGZsb3dNb2RlPUZhbHNlwqdzJGJxPcKncyRzZWFyY2hMYWJlbD3Cp3Mkc2VhcmNoQ2xhc3M9&id=RECUEIL%2FJURIS%2F2025%2F0109

« Divorce pour faute (devoir conjugal) : condamnation de la France – Cour européenne des droits de l’homme 23 janvier 2025 » – Recueil Dalloz, 2025, p.149

https://www-dalloz-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/documentation/Document?ctxt=0_YSR0MD1kZXZvaXIgY29uanVnYWzCp3gkc2Y9c2ltcGxlLXNlYXJjaA%3D%3D&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PSNkZWZhdWx0X0Rlc2PCp3Mkc2xOYlBhZz0yMMKncyRpc2Fibz1UcnVlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD3Cp3MkZnJlZXNjb3BlPUZhbHNlwqdzJHdvSVM9RmFsc2XCp3Mkd29TUENIPUZhbHNlwqdzJGZsb3dNb2RlPUZhbHNlwqdzJGJxPcKncyRzZWFyY2hMYWJlbD3Cp3Mkc2VhcmNoQ2xhc3M9&id=AJFAM%2FJURIS%2F2025%2F0017Maïté Saulier, « Vent de liberté : la fin du devoir conjugal », 2025, Dalloz, AJ fam, p. 102

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