L’évolution du cadre juridique des langues régionales en France

« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » énonce l’article 75-1 de la Constitution apparu avec la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République. Il met en avant la patrimonialisation des langues régionales qui sont perçues davantage comme des parties intégrantes du patrimoine culturel de la France que comme des langues officielles. Ces langues régionales ou encore langues dites minorées, font partie des 75 langues reconnues comme « langues de France » aux côtés des langues territoriales, arrivées avec l’immigration, et de la langue des signes française. Selon le site du ministère de la Culture, elles désignent « des langues traditionnellement parlées sur une partie du territoire de la République, souvent depuis plus longtemps que le français ». Elles comprennent non seulement les langues régionales de la métropole telles que le breton ou le basque, mais également les langues des territoires d’Outre-mer, où elles sont les plus nombreuses : il existerait, par exemple, une trentaine de langues en Nouvelle-Calédonie.

Comment la pratique de ces langues régionales s’organise-t-elle aux côtés de la langue française ?

Ces langues régionales étaient menacées de disparition avant que la loi n’intervienne pour assurer leur pratique (I), qui reste néanmoins restreinte par le principe d’indivisibilité de la République française (II). 

I. Une disparition des langues régionales évitée par la loi

1. Une quasi-disparition des langues régionales au profit de la langue française

Avant que la langue française ne se généralise sur tout le territoire français, la population française s’exprimait en divers et nombreux dialectes. La pratique de ces derniers a été victime de la volonté des rois de France d’imposer progressivement le français. La langue française s’est d’abord imposée dans les actes officiels en 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, peu à peu diffusée grâce à l’imprimerie, puis totalement généralisée au XIXe siècle. En effet, les lois Camille Sée (1881) et Jules Ferry (1882), relatives à l’enseignement, imposent la langue française à l’école sous peine d’une punition pour les enfants qui parlaient dans leurs dialectes. Par la suite, l’exode rural, la Première Guerre mondiale, impliquant la formation de régiments où plusieurs régions étaient représentées, puis l’essor de la radio et de la télévision, ont favorisé la langue française pour se comprendre et communiquer plus facilement. Ces dialectes, globalement séparés en langues d’oïl et en langues d’oc en France métropolitaine, tendaient à complètement disparaître avant que leur valeur soit reconnue pour l’histoire nationale.

2. Une renaissance des langues régionales depuis le milieu du XXe siècle

C’est en 1951, grâce à la loi Deixonne, que les dialectes, devenus nos langues régionales, réapparaissent dans le secteur qui pourtant a largement contribué à leur quasi-extinction : l’enseignement. La plupart des langues régionales sont enseignées dès l’école primaire et peuvent constituer des langues vivantes admises à l’examen du baccalauréat. Cela concerne principalement le basque, le breton, le catalan, le gallo, l’occitan ainsi que l’alsacien. En 1995, par la voie d’une circulaire, la connaissance de la langue régionale et de sa culture est favorisée en offrant un enseignement dans la langue pendant une à trois heures par semaine. Des structures sont également apparues : en 2001 un Conseil académique des langues régionales a été créé afin de veiller « au statut et à la promotion des langues et cultures régionales dans l’académie, dans toute la diversité de leurs modes d’enseignement » selon l’article D. 312-33 du code de l’éducation, tandis qu’en 2022, la création du Conseil national des langues et cultures régionales vise à inciter l’État et les collectivités territoriales à coopérer pour valoriser la pratique de ces langues notamment dans la formation et le numérique.

Le 21 mai 2021, la loi Molac a été promulguée afin d’assurer la protection et la promotion des langues régionales, composante d’un patrimoine linguistique avec la langue française. Elle reconnaît la possibilité de mettre en place une signalétique bilingue avec, par exemple, une traduction en langue régionale sur les panneaux de signalisation. Son apport majeur réside dans la possibilité pour des biens qui présentent un intérêt majeur pour la connaissance des langues françaises et régionales, comme d’anciens manuscrits, de bénéficier de la forte protection du statut de trésor national.

Bien que les actions pour valoriser les langues régionales se multiplient, celles-ci font face à un obstacle majeur : le principe de l’indivisibilité de la République.

II. Une pratique linguistique freinée par le principe de l’indivisibilité de la République française

1. Le droit au service du principe d’indivisibilité de la République

Le principe de l’indivisibilité de la République est énoncé à l’article Premier de la Constitution. Il signifie que l’exercice de la souveraineté nationale appartient au peuple français et non pas aux différents peuples qui le constituent. Par conséquent, le pouvoir politique est unifié et seul le français est reconnu comme la langue de la République à l’article 2 de la Constitution qui dispose que : « La langue de la République est le français ». Ce principe présente une forme de domination de la langue française au détriment des langues régionales. À l’image de l’ordonnance de Villers-Cotterêts au XVIe siècle, la loi Bas-Lauriol du 31 décembre 1975 imposait le français comme seul moyen de communication dans l’affichage public avant d’être remplacée par la loi Toubon du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française. Cette dernière assure le respect de l’article 2 de la Constitution en instaurant l’usage obligatoire du français dans l’enseignement, le travail, les services publics et les échanges. Cependant, contrairement à la loi Bas-Lauriol, la loi Toubon, modifiée par la loi Molac, dispose à son article 21 que ses dispositions « ne font pas obstacle à l’usage des langues régionales et aux actions publiques et privées menées en leur faveur ».

2. Une pratique linguistique encore limitée

Le respect du principe de l’indivisibilité de la République implique obligatoirement l’usage du français dans les relations avec l’administration et les services publics. Jugés non conformes à ce principe constitutionnel, les articles 4 et 9 de la loi Molac ont fait l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel dans une décision du 21 mai 2021. D’une part, l’article 4 de la loi Molac prévoyait que l’enseignement facultatif d’une langue régionale pouvait prendre la forme d’un enseignement immersif. Le Conseil constitutionnel rappelle que cette forme d’enseignement « d’une langue régionale est une méthode qui ne se borne pas à enseigner cette langue mais consiste à l’utiliser comme langue principale d’enseignement et comme langue de communication au sein de l’établissement » de sorte que l’article 4 ne respectait pas l’article 2 de la Constitution. D’autre part, l’article 9 prévoyait que les signes diacritiques propres aux langues régionales soient autorisés dans les actes de l’état civil. Or, le Conseil constitutionnel énonce que « ces dispositions reconnaissent aux particuliers un droit à l’usage d’une langue autre que le français dans leurs relations avec les administrations et les services publics », ce qui était de nouveau contraire à la Constitution. 

Cette deuxième censure empêche les parents de donner un prénom régional, présentant un signe diacritique, qui ne figure pas dans la liste autorisée par une circulaire de 2014, à leur enfant, alors que d’autres prénoms régionaux sont autorisés sans difficultés. Le prénom Artús (Arthur en occitan) a été, par exemple, refusé à cause de l’accent aigu sur le « u ». Le prénom Fañch (François en breton), de nombreuses fois refusé à cause du « n » tilde, présage possiblement d’une acceptation future des signes diacritiques régionaux. En effet, après deux ans de combat entre 2017 et 2019, un couple a réussi à garder le « n » tilde du prénom de leur fils tandis que le 24 février 2025, le tribunal de Lorient l’a également accepté pour un autre petit garçon. En revanche, la cour d’appel d’Angers, le 27 février 2025, a décidé de reporter sa décision à propos du même prénom qui fait toujours l’objet d’un refus.

Le droit apparaît comme un outil au maintien des langues régionales après avoir été une arme pour quasiment éteindre leur pratique. Une avancée majeure pour leur protection serait la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires qui, adoptée en 1992, ne semble pas aujourd’hui pouvoir être appliquée en France : visant la promotion active des langues régionales par l’État notamment dans l’enseignement, les administrations et les services publics, elle apparaît totalement contraire à la loi Toubon et à la Constitution. 

Anaël KINSEKI NKIERIE – étudiante en Master 2 Droit du Patrimoine et des Activités Culturelles

Principales sources utilisées : 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *