La solidarité fiscale des ex-époux : la loi n°2024-494 du 31 mai 2024

Il y a déjà plus d’un siècle que le Conseil d’État ne cesse de rappeler le principe en vertu duquel, les contribuables d’abord mariés, puis pacsés, répondant d’une imposition commune, soit formant un même foyer fiscal, sont solidaires face à l’impôt. C’est la solidarité fiscale. Ce principe, souvent au cœur d’un questionnement abondant, n’est pas sans faire appel à une certaine vigilance. Mais quel est-il ? 

I. La solidarité fiscale entre les ex-époux avant la loi du 31 mai 2024

A. Le principe de la solidarité fiscale

La solidarité fiscale, prévue au paragraphe I de l’article 1691 bis du code général des impôts (CGI) concerne les personnes mariées et les partenaires d’un pacte civil de solidarité (PACS). Elle s’applique notamment à l’impôt sur le revenu dès lors que les époux ou partenaires de PACS font l’objet d’une imposition commune. La solidarité fiscale implique que, si l’un des époux ou partenaires de PACS ne paye pas, l’administration fiscale peut se retourner contre l’autre afin d’obtenir le paiement des sommes dues, sans qu’il y ait lieu de procéder entre eux à une répartition préalable de la dette fiscale en fonction de leurs revenus propres. À l’inverse, lorsque l’époux ou le partenaire de PACS fait l’objet d’une imposition distincte en application du 4 de l’article 6 du CGI, il ne sera pas solidairement tenu au paiement de l’impôt sur le revenu afférent aux revenus de son conjoint (BOI-CTX-DRS-10). Il faut souligner que la solidarité ne se présumant pas, la solidarité fiscale est d’origine légale.

Ce principe ne pose normalement pas de difficulté en ce qui concerne les époux ou partenaires de PACS non séparés, bien que le Conseil d’État ait dû répondre du cas de l’épouse ayant opté pour le régime matrimonial de la séparation de biens affirmant que celle-ci devait solidairement la contribution mobilière, (CE, 6 août 1908, Dame Batut c/ Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, DP. 1909 – 3 – p. 113). Même si cette décision semble contestable à première vue, le régime de la séparation de biens ayant, dans l’esprit commun, pour but de séparer les dettes, elle est pourtant des plus logiques ; la solidarité fiscale porte sur l’unité d’un foyer fiscal, résultante du mariage, on ne parle pas de biens, mais bien de l’imposition commune. 

Cependant, les véritables difficultés apparaissent surtout en cas de divorce ou de rupture du PACS. En effet, dès lors que les ex-époux ou ex-partenaires sont séparés, cela ne signifie pas pour autant que leur imposition l’est totalement. Bien souvent, même si la règle est que l’année du divorce, ou de la séparation ou de la rupture du PACS, les deux ex-conjoints ou ex-partenaires font obligatoirement l’objet d’une imposition séparée pour l’ensemble de l’année, elle reste théorique, car la solidarité fiscale pourra continuer de produire ses effets pour des sommes à payer issues de la période où ils faisaient l’objet d’une imposition commune, même après le prononcé du divorce ou de la rupture du PACS, d’autant qu’elle peut durer longtemps après que la vie commune ait pris fin. 

Ainsi, dès lors qu’une dette fiscale naît du fait de l’un des époux ou partenaires de PACS pendant la période de l’imposition commune, son conjoint peut avoir à en répondre quand bien même le couple est déjà séparé. L’administration fiscale peut poursuivre l’un ou l’autre des conjoints pendant trois ans, voire dix ans dans certains cas, notamment en cas d’activité occulte et de revenus issus de comptes à l’étranger non déclarés. Cette situation peut mettre en difficulté financière l’un des ex-conjoints, notamment s’il n’a pas les moyens financiers pour rembourser la dette. En conséquence, il existe une possibilité pour le contribuable, appelé à supporter la dette d’autrui, de pouvoir demander une décharge de paiement de l’impôt commun. 

B. La décharge de paiement

L’administration fiscale peut décharger de leur solidarité fiscale les personnes qui ont été appelées au paiement de l’imposition due par l’ex-conjoint au titre de la période d’imposition commune, c’est ce qu’on appelle la décharge de responsabilité solidaire. Le dispositif concerne les personnes divorcées ou séparées, lorsque, à la date de la demande, le jugement de divorce ou de séparation de corps a été prononcé, la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats a été déposée au rang des minutes d’un notaire, la déclaration conjointe de dissolution du PACS établie par les partenaires, ou la signification de la décision unilatérale de dissolution du PACS de l’un des partenaires a été enregistrée au greffe du tribunal judiciaire, ou encore que les intéressés ont été autorisés à avoir des résidences séparées, ou enfin, que l’un ou l’autre des époux ou des partenaires liés par un PACS a abandonné le domicile conjugal ou la résidence commune. En outre, pour pouvoir bénéficier de la décharge de solidarité, des conditions doivent être respectées. 

Pour obtenir la décharge de solidarité fiscale, le demandeur doit satisfaire à trois conditions cumulatives, énoncées par l’article 1691 bis II du CGI. Il est exigé qu’il y ait une rupture de la vie commune, une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur à la date de la demande, et un comportement fiscal irréprochable depuis la rupture de la vie commune. Mais les chiffres ne montrent pas qu’il s’agisse d’une faveur souvent accordée. 

En effet, dans le rapport sur la proposition de loi de M. Hubert Ott et plusieurs de ses collègues visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (1961), n° 2052, déposé le mercredi 10 janvier 2024, il est fait mention « [qu’]en 2022, sur 245 demandes traitées, 100 décharges avaient été octroyées et 103 avaient été rejetées ». La réalité est donc celle-ci. Lorsque l’on regarde les conditions posées par l’article 1691 bis II du CGI, notamment celle tenant à la disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale du demandeur à la date de la demande, l’article ne définit pas quelle est cette disproportion, mais l’apprécie sur une durée de trois ans. En clair, cela signifie que si la dette est recouvrable dans un délai de trois ans pour le demandeur, alors la décharge en paiement solidaire ne lui sera pas accordée. Ce délai de trois ans n’existait pas avant la loi de finances pour 2022. Avant cela, l’appréciation se faisait sur une période qui variait entre cinq et dix ans. Il faut noter que cette appréciation est discrétionnaire et se trouve souvent être un motif de refus de décharge. L’appréciation de la capacité de remboursement du demandeur se fait ainsi en fonction de ses ressources, hors charges courantes, telles que les loyers et les impôts, et de son patrimoine, excluant la résidence principale. 

Une fois la demande de décharge de solidarité adressée à l’administration fiscale, celle-ci dispose d’un délai de six mois pour y répondre. Lorsque la décharge de solidarité est accordée, le demandeur reste redevable de la quote-part des impositions correspondant à ses revenus ou son patrimoine propre et la moitié des revenus ou du patrimoine communs avec le conjoint ou le partenaire de PACS (BOI-CTX-DRS-30). 

Lorsque la demande de décharge de solidarité est restée sans réponse dans le délai de six mois, ou qu’elle est rejetée, le demandeur pourra toujours avoir la possibilité d’adresser une nouvelle demande si sa situation financière se dégrade et que la condition visant la disproportion se trouve ainsi respectée. 

L’obtention de cette décharge constitue un droit pour le contribuable qui en a formulé la demande. Par voie de conséquence, les demandes ne revêtent pas un caractère gracieux, de sorte que les décisions de rejet peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

II. La solidarité fiscale entre les ex-époux depuis la loi du 31 mai 2024 

A. Un besoin de changement 

La loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 est venue réformer certains points relatifs à la décharge de responsabilité solidaire. Les travaux parlementaires font état d’un véritable besoin de changement notamment au regard des statistiques de demandes acceptées. 

Bien qu’il y ait eu un effort pour permettre l’assouplissement des conditions d’appréciation de la situation patrimoniale et financière du demandeur en 2022, le nombre de demandes acceptées restait relativement bas, il est fait part de 42 % de refus pour l’année 2022. Du fait de ce constat, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, plusieurs amendements ont été déposés afin de retravailler cet assouplissement. 

Lors de l’examen de la commission, datant du 10 janvier 2024, Madame Perrine GOULET, rapporteure, explique ainsi les problèmes qui peuvent exister à cause de la solidarité fiscale, telle que existante à cette période. Elle affirme qu’un contribuable appelé à supporter les dettes fiscales, dettes qui ne sont pas de son fait, mais de celui de son ex-époux, résultant par exemple d’une fraude fiscale, peuvent conduire le demandeur, dont la demande de décharge de responsabilité solidaire a été refusée, à devoir se séparer de son patrimoine propre. Cette situation ne peut pas être satisfaisante, d’autant que le demandeur pourrait, en théorie, exercer une action contre son ex-époux, mais en réalité, si l’administration fiscale ne s’est pas adressé à lui, c’est qu’il est fort probable qu’il ne sera pas en capacité de la rembourser, et donc le demandeur ne pourra pas non plus en obtenir le paiement. 

Initialement, dans les premiers amendements proposés, il a été question de venir exclure de l’assiette d’appréciation de la situation patrimoniale du demandeur, les biens qui auraient été acquis avant le mariage ou la conclusion du PACS. Cela aurait donc permis de pouvoir accorder plus de décharges. 

Toutefois, cet amendement n’a pas été retenu en tant que tel en raison des réserves émises par l’administration fiscale. Il a été préféré « une forme de dissociation du foyer fiscal a posteriori : si la séparation des deux conjoints est effective et que la personne qui demande une décharge de responsabilité solidaire n’a pas participé à la fraude fiscale, son ex-conjoint pourra être considéré comme un tiers qui assume seul le paiement des impositions dues par leur foyer fiscal. »

Ces changements sont marqués d’une certaine politique, car le projet de loi évoqué avait pour but de consacrer une meilleure protection. Toujours comme ce qu’expose les travaux parlementaires, « le collectif des femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale [a révélé que] dans 80 % des cas, ce sont les femmes qui doivent payer ces dettes fiscales. Il apparaît injuste que des femmes seules, qui ont en outre la charge des enfants, soient acculées à payer la totalité de l’impôt, y compris celui dû par leur ex-conjoint. »

Le projet de loi, et plus généralement les volontés de changement, ne voulaient pas mettre fin au principe de la solidarité fiscale, mais seulement de permettre d’atténuer ses effets, sans porter préjudice à la situation financière de l’État. 

B. La solidarité fiscale depuis la loi du 31 mai 2024 

La loi n° 2024-494 du 31 mai 2024 visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille est entrée en vigueur le 2 juin 2024. L’article 4 instaure une nouvelle procédure de décharge de responsabilité au plan gracieux, codifiée sous l’article L. 247 du livre des procédures fiscales (LPF). Grâce à cette nouvelle procédure, lorsque la condition d’octroi de la décharge de paiement relative à la disproportion marquée entre la dette et les revenus du demandeur n’est pas remplie, le demandeur peut se voir accorder une décharge de solidarité au plan gracieux. 

Il faut néanmoins noter que la nouvelle procédure de décharge de solidarité fiscale au plan gracieux ne vient pas remplacer le dispositif de décharge de solidarité fiscale prévu à l’article 1691 bis II du CGI, mais vient le compléter, et les deux procédures peuvent être cumulées. Par conséquent, si la demande de remise gracieuse est rejetée, le contribuable peut toujours présenter une demande de décharge de solidarité fiscale, dont les conditions restent, pour l’instant, inchangées. 

La décharge gracieuse de solidarité fiscale vise à protéger l’ex-époux ou l’ex-partenaire de celui qui a commis une fraude fiscale. Ainsi, le contribuable poursuivi pour le paiement d’une dette fiscale consécutive à une fraude fiscale de son ex-époux ou de son ex-partenaire peut demander à être reconnu comme un tiers à la dette dès lors qu’il démontre qu’il est de bonne foi, c’est-à-dire qu’il ignorait la fraude fiscale, et qu’il n’a tiré aucun profit de celle-ci. 

En outre, pour pouvoir bénéficier de la décharge de solidarité fiscale au plan gracieux, le demandeur doit, d’une part, être effectivement séparée de l’époux ou partenaire de PACS et, d’autre part, être à jour de ses obligations déclaratives en matière d’impôt sur le revenu et d’IFI à compter de la date de fin de la période d’imposition commune. 

Le caractère gracieux de ce mécanisme emporte que la décision de décharge relève du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale, qui va examiner la situation individuelle du demandeur au-delà du critère de « disproportion marquée ». En outre, les décisions de rejet des demandes peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, toutefois, le contrôle exercé par le juge administratif est limité à l’erreur manifeste d’appréciation.

Il est important de noter que cette disposition s’applique rétroactivement aux demandes de décharge en cours, c’est-à-dire les demandes qui n’ont pas fait l’objet d’une décision définitive de l’administration fiscale ou d’une décision de justice passée en force de chose jugée au moment de l’entrée en vigueur de la loi, ce qui permet d’assurer l’objectif de protection recherché. 

Laïna DURÉCU – étudiante en Master 1 Droit des affaires et fiscalité

Sources : 

https://formation.lefebvre-dalloz.fr/actualite/loi-ndeg-2024-494-du-31-mai-2024-pour-une-justice-patrimoniale-au-sein-de-la-famille#:~:text=La%20Loi%20n%C2%B0%202024,violences%20conjugales%20ou%20de%20divorce.

https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/10289-PGP.html/identifiant%3DBOI-CTX-DRS-10-20151014

https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/1795-PGP.html/identifiant=BOI-REC-FORCE-10-20200819#Regles_communes_aux_differe_11

https://gazette-du-midi.fr/au-sommaire/informations-juridiques/decharge-de-la-responsabilite-solidaire-des-conjoints

https://www.actu-juridique.fr/fiscalite/fiscal-finances/solidarite-fiscale-des-ex-epoux-un-nouveau-cas-de-remise-gracieuse/

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_lois/l16b2052_rapport-fond#_ftn22

https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208088-le-point-sur-les-fondements-de-la-solidarite-fiscale-du-couple-imposable-en-commun

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