Les établissements pénitentiaires français confrontés aux standards européens : observations inquiétantes et perspectives d’une mise en conformité

« Une peine privative de liberté ne doit pas priver l’individu de sa dignité ».

Par cette affirmation, dans l’arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni rendu le 9 juillet 2013, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) rappelle que toute restriction de liberté ne doit en aucun cas s’accompagner de traitements inhumains ou dégradants. Ce principe repose sur l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH), qui dispose que : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Cependant, la France a fait l’objet de plusieurs condamnations de la part de la CEDH pour avoir enfreint l’article 3 de la Convention EDH, en raison des conditions de détention considérées comme indignes.

Il existe deux institutions européennes qui se consacrent à ce sujet : 

  • D’une part, le Conseil de l’Europe qui vise principalement à promouvoir la démocratie et à défendre les droits de l’Homme. La Convention EDH en constitue le texte fondateur et la CEDH se charge de veiller à son application. 
  • D’autre part, l’Union européenne, qui œuvre pour la protection des droits de l’Homme au sein de ses États membres (au nombre de 27 en 2025), notamment à travers la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La France, étant membre de ces deux institutions, doit s’assurer que les conditions de détention sont conformes aux normes européennes.

Un rapport particulièrement alarmant du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), rendu public en mai 2024, dénonce une nouvelle fois la détérioration des conditions de détention dans divers établissements de privation de liberté en France. Cette dégradation amène la CEDH à infliger une nouvelle sanction à la France, soulignant la nécessité urgente d’une réforme structurelle.

L’étude des conditions d’incarcération en France sous l’angle du droit européen implique tout d’abord d’étudier le cadre juridique applicable au regard des normes issues de l’Union européenne, ainsi que celles issues du droit européen des droits de l’Homme (I), d’évaluer la situation actuelle des conditions de détention en France (II), avant de conclure sur les solutions envisagées par la France face aux critiques européennes (III).

I – L’encadrement juridique des conditions de détention à l’échelle européenne

A. Les prescriptions du droit de l’Union européenne

L’encadrement juridique des conditions de détention au niveau européen est basé sur les directives et règlements de l’Union européenne, ainsi que sur les Règles pénitentiaires européennes qui s’inscrivent dans le cadre du droit européen des droits de l’Homme et sont élaborées par le Conseil de l’Europe. Ces normes établissent des critères minimaux concernant le traitement des détenus, les conditions matérielles et les programmes de réintégration. Pour cela, elles contraignent les États membres à honorer la dignité humaine (article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (article 4), ainsi que le droit à un recours effectif et à un tribunal impartial (article 47). 

En France, l’évaluation de la conformité repose sur les rapports émis par la Commission européenne et les décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne, qui visent à harmoniser la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires relatives à la détention. 

B. Les exigences du droit européen des droits de l’Homme

Concernant la détention, le cadre juridique applicable s’appuie également sur les inspections périodiques du Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe. Celles-ci facilitent l’évaluation de la conformité aux normes dérivées de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention EDH). 

Les préconisations du CPT mettent en évidence les écarts persistants entre les pratiques françaises (condamnations par la CEDH ci-dessous) et les normes du droit européen des droits de l’Homme, nécessitant la mise en œuvre de réformes structurelles. Ces dernières assureront le respect des droits fondamentaux, particulièrement le droit à la liberté et à la sûreté (article 5 de la Convention EDH) et le droit à un procès équitable (article 6 de la Convention EDH). 

II – La réalité des conditions carcérales en France

A. Les observations des juridictions de l’Union européenne sur la situation pénitentiaire française

Le 14 mars 2024, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a exprimé une vive inquiétude concernant la surpopulation dans les prisons françaises et a appelé à l’instauration d’un système contraignant de régulation carcérale. 

Il a également exigé des garanties sur l’effectivité du recours créé en 2021, permettant aux détenus de contester leurs conditions de détention. Les autorités françaises ont jusqu’en mars 2025 pour proposer des solutions concrètes.

B. Les condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme

La CEDH rappelle fréquemment à la France ses obligations concernant le respect de la dignité des personnes incarcérées. 

Dans l’affaire J.M.B. et autres c. France du 30 janvier 2020, la Cour a condamné la France pour violation de l’article 3 de la Convention EDH, en raison de l’excès d’occupation dans les prisons menant à des conditions de détention inhumaines. Dans ce cas précis, la Cour a considéré les conditions de vie dégradantes, le manque d’espace individuel ainsi que la surpopulation carcérale comme des conditions de détention inhumaines. Elle condamne également la France pour défaut de mise en œuvre d’un recours effectif permettant aux prisonniers de contester leurs conditions de détention devant une autorité nationale, en violation de l’article 13 de la Convention EDH.

Trois ans plus tard, dans l’arrêt B.M. et autres c. France du 6 juillet 2023, la CEDH souligne à nouveau ce constat en dénonçant les conditions indécentes de détention signalées par trois prisonniers à la maison d’arrêt de Fresnes entre 2016 et 2019. La Cour a déterminé que les conditions indécentes subies par les requérants (en l’espèce, la surpopulation carcérale, les fouilles corporelles intégrales et fréquentes ainsi qu’un manque de recours effectif permettant de contester ces conditions étaient en cause) constituaient à nouveau une violation de l’article 3 de la Convention EDH

Ces décisions mettent en lumière la force obligatoire de l’article 3 de la Convention EDH, qui impose aux États une obligation positive de veiller à des conditions de détention conformes à la dignité humaine, sous le contrôle strict du Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Celui-ci a pour tâche de superviser la mise en œuvre effective des arrêts de la CEDH selon l’article 46 de la Convention EDH.

C. L’alerte des institutions françaises sur la persistance de conditions de détention indignes

En France, la surpopulation carcérale atteint des niveaux préoccupants. Au 1er février 2025, le nombre de détenus s’élevait à 81 599 pour seulement 62 363 places opérationnelles, ce qui représente une densité carcérale totale de 130,8 %. Ce taux excède 200 % dans 18 établissements ou quartiers pénitentiaires. 4 490 détenus sont contraints de dormir sur des matelas posés directement au sol.

D’après une étude du Conseil de l’Europe de juin 2024, la France occupe la troisième position parmi les pays les plus affectés par la surpopulation carcérale, juste après Chypre et la Roumanie. 

Dans les maisons d’arrêt, où sont détenus des prévenus et des condamnés à de courtes peines, la densité s’élève à 158,9 %. Par ailleurs, 21 631 prévenus, représentant approximativement 26 % de la population carcérale, sont détenus en attendant un verdict final.

Cette surpopulation entraîne d’importants impacts sur les conditions de vie en détention.

  • La détérioration des conditions de vie : 

Une promiscuité intense entraîne une augmentation des violences et des tensions, tandis que l’accès aux soins médicaux reste très limité en raison de la saturation des unités de santé pénitentiaires. 

Le personnel pénitentiaire est également touché par cette gestion de surpopulation. Il est confronté à une pénurie de ressources humaines et matérielles, entraînant de l’épuisement, ce qui pose des risques sécuritaires.

  • La détérioration des conditions matérielles et sanitaires : 

Au-delà de la surpopulation, la vétusté des infrastructures et les insuffisances sanitaires représentent une autre source d’inquiétude significative. Un grand nombre d’institutions pénitentiaires sont insalubres, souffrant d’un accès limité à l’eau potable et des conditions d’hygiène dégradées. 

Pourtant, l’article 46 de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 relative au système pénitentiaire dispose que : « Les personnes détenues bénéficient de conditions de prise en charge sanitaire équivalentes à celles offertes à l’ensemble de la population ».

Néanmoins, dans les faits, cet accès équitable à la prise en charge sanitaire est fréquemment entravé par la saturation des unités médicales en milieu carcéral. Ces déficits affectent particulièrement les détenus souffrant de pathologies lourdes, pour qui il est difficile d’assurer un suivi médical adapté ainsi qu’une continuité des soins.

  • La restriction des droits des détenus : 

Les droits fondamentaux des détenus sont également limités par la restriction des activités éducatives, culturelles et professionnelles, essentielles à leur réinsertion. 

Dominique Simonnot, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, souligne la nécessité d’améliorer l’accès au téléphone fixe, qui est essentiel pour maintenir les liens familiaux.

Cependant, le 17 février 2025, après une controverse sur des prestations esthétiques proposées en détention à la prison de Toulouse-Seysses, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, a déclaré l’arrêt des occupations récréatives en milieu carcéral. Seules les activités éducatives, les leçons de français et les exercices sportifs sont maintenus. Cette nouvelle approche disciplinaire suscite des interrogations sur le respect de la dignité des détenus au regard des exigences du Conseil de l’Europe en matière de conditions de détention.

Devant ces observations inquiétantes, un certain nombre d’institutions françaises ont lancé un appel urgent à un réexamen de la politique pénitentiaire dans le but d’assurer des conditions de détention respectueuses des droits fondamentaux.

En novembre 2024, Claire Hédon, Défenseure des droits, a qualifié la situation carcérale française actuelle comme « alarmante ». Elle appelle à l’instauration de mesures urgentes (libération anticipée sous conditions, aménagement de peine, etc.) pour remédier à cette situation.

Dès 2022, l’Observatoire International des Prisons (OIP) avait mis en lumière les lacunes structurelles du système pénitentiaire français, soulignant que la crise sanitaire de 2020 avait davantage détérioré la situation. Les mesures de confinement et les restrictions sanitaires avaient intensifié l’isolement des détenus et réduit leurs interactions avec l’extérieur, exacerbant par conséquent une crise déjà profondément enracinée.

III – Les solutions envisagées par la France face aux critiques européennes

A. Les initiatives gouvernementales

Gérald Darmanin a dévoilé plusieurs initiatives le 23 janvier 2025, afin d’améliorer la situation pénitentiaire et d’accentuer la lutte contre le narcotrafic. 

Cela inclut la création d’une prison de haute sécurité spécialement conçue pour les 100 narcotrafiquants les plus importants, dans le but de les empêcher de poursuivre leurs activités illégales depuis leur cellule. 

Mais aussi, l’augmentation du nombre de places en semi-liberté à 3 000 d’ici à 2027. 

Enfin, le Gouvernement envisage également de renforcer les sanctions alternatives, telles que les bracelets électroniques ou les travaux d’intérêt général. Cela permettrait de diminuer le recours à la détention provisoire, qui constitue un facteur clé de la surpopulation dans les prisons. 

Toutefois, certaines mesures, telles que l’isolement prolongé des narcotrafiquants, soulèvent des interrogations sur leur conformité avec les exigences européennes relatives à la dignité humaine.

B. Le rôle des juridictions et institutions françaises

Parallèlement aux initiatives gouvernementales, dans une décision rendue le 27 septembre 2024, le Conseil d’État a constaté la détérioration des conditions de détention à la prison de Tarbes, en s’appuyant sur les exigences européennes. 

Quant à la CEDH, la Commission européenne, les organisations non gouvernementales, ainsi que la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, ils maintiennent leur position selon laquelle la France doit mettre en place des réformes structurelles pour garantir des conditions conformes aux normes européennes.

En dépit de réformes destinées à accroître le nombre de places en prison et à promouvoir des solutions alternatives à l’incarcération, des problèmes subsistent concernant leur mise en œuvre. Ces difficultés sont notamment associées à des restrictions budgétaires, à la gestion des établissements pénitentiaires. Il est essentiel que les autorités françaises assurent l’application des normes européennes pour garantir des conditions de détention conformes aux engagements internationaux.

La prise de conscience des conditions inhumaines de détention en France s’intègre dans la question plus vaste de l’accès réel des prisonniers à un recours administratif approprié. À ce titre, il convient de consulter la veille juridique de Monsieur HUIJBREGTS Nathan sur les obstacles rencontrés par les personnes détenues dans leurs démarches devant le juge administratif.

Cathy DUTEY – étudiante en Master 1 Droit public, Métiers des Contentieux Publics et du Droit Public Général

Annexes : 

La veille de Monsieur HUIJBREGTS Nathan : 

Différents rapports qui témoignent de la situation carcérale française : 

-Rapport de l’Observatoire International des Prisons de 2022 : https://oip.org/wp-content/uploads/2022/06/oip-ai-rapport-dignite-juin2022.pdf 

-Rapport d’activité pour 2023 de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté rendu public le 15 mai 2024 : https://www.cglpl.fr/app/uploads/2024/05/CGLPL_Rapport-annuel-2023_web.pdf 

-Rapport du Ministère de la Justice sur la situation carcérale française du mois de février 2025 : https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2025-02/statistique_etablissements_personnes_ecrouees_01022025.pdf 

Convention européenne des droits de l’Homme pour les articles 3 et 13 :

https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/convention_FRA#:~:text=portée%20contre%20elle.-,3.,ou%20libérée%20pendant%20la%20procédure.

Sources :

– Décision du 14 mars 2024, Comité des ministres du Conseil de l’Europe, 1492e réunion, 12-14 mars 2024 (DH), H46-13 J.M.B. et autres c. France (Requête n° 9671/15).

– Légifrance : Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire  

– Site Observatoire International des Prisons

– Site Ouest France : https://www.ouest-france.fr/societe/prison/avec-plus-de-81-000-detenus-la-france-bat-un-record-de-population-carcerale-9ae70a38-f685-11ef-b38f-dff807deb5c8

– Site Le Télégramme 

– Site Le Monde :

– Site Vie Publique :https://www.vie-publique.fr/eclairage/269817-prison-les-droits-des-detenus#:~:text=Les%20droits%20des%20personnes%20détenues,-Institutions&text=Droit%20à%20une%20vie%20familiale,droits%20et%20de%20leur%20application

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