Le 13 juin 2025 a été promulguée la loi n°2025-532 « visant à faire sortir la France du piège du narcotrafic ». Cette dernière fait suite à une proposition parlementaire du 12 juillet 2024, étant elle-même le fruit d’une commission d’enquête parlementaire sur l’impact du narcotrafic rendue en mai 2024.
Le texte est adopté dans un contexte perçu comme critique alors que le législateur prend la mesure de la multiplication des trafics de stupéfiants, de leur extension territoriale, de leur violence et de l’ampleur du blanchiment d’argent. L’idée est alors, par cette réforme, de renforcer les outils de l’État et de désarmer les narcotrafiquants dans l’objectif d’améliorer efficacement la lutte contre les réseaux criminels.
Pour appréhender correctement les enjeux de ce texte il convient d’abord de revenir sur ce qu’est le phénomène lui-même et ce qu’il implique, pour ensuite étudier les mesures phares de la loi et leurs conséquences.
I. Qu’est-ce que le narcotrafic ?
Le « narcotrafic » fait référence à l’ensemble des actes de production, transport, détention et vente de produits stupéfiants réalisés dans une perspective lucrative et dans le cadre d’une organisation criminelle.
Pour rappel, la consommation de stupéfiants est illégale en France, qu’il s’agisse de drogue dure ou douce, d’une consommation en public ou en privé, l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique prévoyant alors une peine d’un an d’emprisonnement et de 3 750€ d’amende. Les articles 222-34 à 222-43-1 du Code pénal répriment pour leur part les comportements liés au trafic de stupéfiants, c’est-à-dire la production, détention ou vente de tels produits, par des peines pouvant aller jusque 30 ans de réclusion criminelle et 7.5 millions d’euros d’amende.
Ce phénomène est lié à des réseaux criminels structurés opérant à l’échelle internationale, étant alors difficiles à démanteler et correspondant à l’un des marchés noirs les plus lucratifs au monde. De nombreuses infractions pénales sont liées à un tel trafic comme le blanchiment d’argent, la corruption, le trafic d’armes et parfois même le financement de groupes terroristes.
Les groupements criminels se livrant à cette activité ont un impact sérieux sur l’environnement qui les entoure, entrainant avec eux la dégradation de certains quartiers se trouvant alors piégés dans un climat d’insécurité, et venant de façon plus générale troubler l’ordre public par la violence de leur mode opératoire ainsi que la consommation normalisée de drogues dures qu’ils répandent autour d’eux.
Un rapport de l’Office Anti-Stupéfiants (OFAST) démontre qu’en 2024, 367 assassinats ou tentatives liées au narcotrafic ont été recensées en France, que 173 villes françaises ont été impactées par le phénomène et que le trafic de drogue a fait un chiffre d’affaires estimé à 7 milliards d’euros.
Il apparait alors primordial de lutter contre un phénomène aussi dangereux, à la fois pour assurer l’ordre public et la protection de la santé publique mais aussi pour lutter contre le crime organisé et le développement de l’économie parallèle, constituant aujourd’hui des enjeux majeurs de la politique criminelle. Et si le droit pénal a longtemps été la principale ligne de défense de lutte contre le narcotrafic, la loi de 2025 vient grandement réformer la procédure pénale spéciale de la criminalité organisée, lui octroyant alors une position centrale dans la réaction institutionnelle.
II. Les mesures phares de la loi
Mise en place d’un régime carcéral strict pour les trafiquants dangereux
La loi concrétise la volonté du garde des sceaux, exprimée depuis fin 2024, d’enfermer les narcotrafiquants les plus dangereux dans des prisons de haute sécurité par la création de quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) dans les prisons. Les détenus placés dans ces QLCO sont alors soumis à un isolement strict, une utilisation accrue de la visioconférence afin de limiter les extractions et les agents pénitentiaires les côtoyant sont anonymisés dans les actes de procédure. Les détenus ont vocation à être soumis à un tel régime pour une durée d’un an, renouvelable infiniment sur décision ministérielle. La prison de Vendin-le-Vieil a été la première dotée d’un QLCO en juillet dernier et, pour le mois d’octobre, il est prévu qu’un second soit ouvert au sein de la prison de Condé-sur-Sarthe.
Spécialisation des acteurs de la chaine pénale
Le texte prévoit la création d’un Parquet national anti-criminalité organisée (PNACO) alors spécialisé en la matière, ayant vocation à être opérationnel dès janvier 2026 et compétent pour les dossiers présentant une complexité particulière, les affaires à dimension inter-régionale ou internationale ainsi que pour les ramifications économiques et financières importantes. Cette mesure semble s’inscrire dans une volonté de spécialisation des acteurs de la chaîne pénale en notant par ailleurs que la loi prévoit également un recours à une cour d’assises composée uniquement de magistrats professionnels pour la criminalité organisée, ainsi que la désignation d’un juge de l’application des peines spécialisé en la matière.
Élargissement des moyens d’enquête
Dans une logique de renforcement de l’arsenal policier, le texte prévoit la prolongation, jusqu’à fin 2028, du dispositif expérimental d’interceptions satellitaires pour les atteintes particulièrement graves à l’ordre public, des mesures contre l’usage abusif des nullités de procédure, la possibilité d’activation à distance d’appareils électroniques et d’infiltration civile dans des organisations criminelles. Par ailleurs, est créé le « dossier coffre », un procès-verbal auquel le justiciable ne peut avoir accès aux fins de protection de l’identité des personnes et de non révélation des techniques spéciales d’enquête utilisées.
Consécration d’outils financiers pour fragiliser durablement les organisations criminelles
La loi narcotrafic s’attaque à « l’argent du crime » dans l’idée d’assécher les flux financiers et de couper les réseaux criminels de leurs moyens logistiques et matériels, en permettant aux Préfets de fermer temporairement des commerces ou locaux soupçonnés de blanchiment, en élargissant les obligations de vigilance à de nouveaux professionnels tels que les promoteurs immobiliers, les loueurs de voitures de luxe et les vendeurs de yachts qui devront désormais signaler les opérations suspectes à Tracfin (service de renseignement financier), en posant une présomption de blanchiment aux opérations impliquant des mixeurs de crypto actifs, et par la création d’une procédure administrative de gel de fonds.
Refonte du statut de repentis
Toujours dans la logique de fragilisation des organisations criminelles, le statut de repenti, consacré par la loi Perben II de 2004, est modifié. Ce dernier permet aux personnes qui, ayant participé à des activités criminelles, acceptent de coopérer avec les autorités judiciaires ou policières et obtiennent différents avantages en échange de cette collaboration, à avoir une exemption ou diminution de peine.
Auparavant, les repentis voyaient leur peine réduite de moitié en cas de collaboration, ou réduite à 20 ans de réclusion criminelle s’ils encouraient la perpétuité. Désormais, la réduction passe aux deux tiers de la peine encourue ou à 15 ans si la peine encourue est la perpétuité. Par ailleurs, le statut peut désormais être attribué aux meurtriers, dans la mesure où dans le cadre du crime organisé, ces derniers sont souvent de simples exécutants pouvant alors fournir des informations sur les commanditaires. Le statut est par ailleurs désormais définitif mais, s’il s’avère que dans un délai de 10 ans pour les délits, et 20 ans pour les crimes, les informations données se révèlent fausses ou manifestement erronées, alors le repenti sera incarcéré pour la durée prévue dans la convention initiale.
Une telle refonte du statut a pour objectif d’inciter davantage de criminels à en bénéficier puisqu’en France seules 18 personnes ont pu faire l’objet de ce statut sur une décennie tandis que ce dernier pourrait être un atout majeur dans le cadre de la lutte contre le crime organisé.
III. Des droits fondamentaux fragilisés (ou oubliés) pour l’objectif sécuritaire
Pour rappel, toute personne mise en cause, partie à un procès pénal ou détenue dans un centre pénitentiaire bénéficie de droits fondamentaux devant être garantis à tout prix dans un État de droit tel que la France, parmi lesquels le droit à un procès équitable, le droit à la présomption d’innocence, les droits de la défense et le droit au respect de la dignité humaine, entre autres.
Bien souvent, les lois à objectif sécuritaire viennent empiéter sur les droits humains dans une logique de renforcement d’un arsenal pénal, procédural ou policier, passant par la création de nouveaux outils permettant d’obtenir toujours plus de résultats ou par l’élargissement toujours plus grand de régimes dérogatoires. Un tel processus est légitime et admis lorsqu’il est nécessaire pour la lutte visée et qu’il respecte une balance essentielle entre sécurité et liberté.
Par ailleurs, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a rappelé dans un avis du 18 mars 2025 que la lutte contre le fléau du narcotrafic ne doit pas se faire au détriment du respect des droits et libertés fondamentales, avant de dresser la liste des potentielles violations.
Parmi toutes les mesures prévues par la loi, la création des QLCO est certainement celle faisant le plus débat. Tout d’abord, elle concerne autant les personnes condamnées que celles simplement mises en cause et donc présumées innocentes, et elle est l’objet du pouvoir discrétionnaire du garde des sceaux qui se prononce en fonction de la dangerosité de l’individu sur seul avis non contraignant du juge si la personne concernée est condamnée, à défaut de quoi le juge n’émet pas d’avis mais a la possibilité de s’opposer dans un délai de huit jours si la personne est prévenue.
Par ailleurs, la balance entre sécurité et liberté semble déséquilibrée lorsque l’on constate que dans le cadre de ce régime, sont automatisées de nombreuses mesures parmi les plus attentatoires aux droits humains telles que les fouilles à nu systématiques, les parloirs hygiaphones, l’interdiction d’accès aux unités de vie familiale et parloirs familiaux, ou encore la restriction de l’accès au téléphone à deux heures, deux fois par semaine.
Au-delà de la normalisation de l’isolement humain que provoque cette loi, il est aussi pertinent de se demander si ce dernier a réellement vocation à porter ses fruits et non à aggraver la dangerosité des individus concernés, réalité constatée par une commission indépendante ayant étudié les quartiers de haute sécurité français avant leur suppression en 1982, ces derniers étant similaires aux QLCO.
Également, il est regrettable de voir une telle extension des pouvoirs de l’exécutif au détriment du juge judiciaire permise par la loi, ce dernier présentant de meilleures garanties d’indépendance et de respect des droits fondamentaux, illustrant alors une nette volonté de faire primer l’efficacité des forces de l’ordre sur la nécessité de garantir les droits des individus mis en cause.
Si individuellement beaucoup d’autres mesures attentent aux droits fondamentaux, comme c’est le cas du dossier coffre qui porte atteinte au principe du contradictoire et donc aux droits de la défense, l’objectif sécuritaire le justifie selon le garde des sceaux Gérald Darmanin, ce dernier ayant pour vocation de le poursuivre dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée.
Amélie Courtaud, Master II Justice, Procès et Procédures
Sources :
- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051734851
- https://www.info.gouv.fr/actualite/loi-contre-le-narcotrafic-ce-quil-faut-retenir
- https://www.actu-juridique.fr/penal/loi-contre-le-narcotrafic-il-faut-sattendre-a-une-riposte-de-la-part-des-trafiquants/
- https://www.defenseurdesdroits.fr/avis-sur-la-proposition-de-loi-visant-sortir-la-france-du-piege-du-narcotrafic-838
