« Digital is not different », voilà ce qu’a affirmé la Fédération internationale des associations des bibliothécaires en 2001 lors de sa déclaration de principe sur le droit d’auteur dans l’environnement numérique. L’idée est claire : les bibliothèques doivent continuer à poursuivre leur mission principale en matière d’accès aux connaissances tout en adoptant des mesures efficaces pour protéger les droits d’auteurs sous l’ère numérique.
Dans « Bibliothèques et droit d’auteur : quelle adaptation au numérique ? », Lionel Maurel définit la bibliothèque comme « une institution qui garantit un droit d’usage collectif sur la culture et sur la connaissance ». Il explique également qu’aucune règle n’interfère dans ses missions, et ce, même avec l’arrivée du droit d’auteur au XIXème siècle. Cependant, il nous est impossible aujourd’hui de ne pas reconnaître le bouleversement qu’a créé internet dans l’accès et dans la divulgation des données. En conséquence, de nouvelles plateformes ont émergé afin de s’adapter aux nouveaux modes de consommation des connaissances et des informations, notamment les bibliothèques numériques. Selon le site « La Grande Bibliothèque du Droit » du barreau de Paris, cette dernière peut se définir comme : « ensemble d’écrits numérisés mis à disposition du public en accès libre et généralement gratuit via internet. Elle est associée à une interface permettant de rechercher et consulter différents types de documents. ». Cela peut donc concerner un contenu qui soit, a été préalablement numérisé, soit, qui a initialement été produit dans un format numérique.
Or, le droit français dispose en principe d’un arsenal législatif concernant la protection du droit d’auteur. Cependant, l’absence de frontières sur les plateformes permet-elle une véritable protection des œuvres ? Ou alors permet-elle aux bibliothèques d’échapper une nouvelle fois à toute interférence de règles dans ses activités ?
Ainsi, quelle adaptation le législateur a-t-il opéré face aux bibliothèques numériques ?
Pour comprendre, il serait nécessaire de rappeler la protection effective du droit d’auteur (I) avant de voir que la voie contractuelle a été utilisée comme recours contre certaines zones d’ombres de droit (II) en plus de certaines exceptions législatives (III).
I. Une protection effective du droit d’auteur.
Depuis le XIXème siècle, le droit français ne fait qu’offrir une protection effective des œuvres en conférant aux créateurs, des droits exclusifs sur leurs créations. L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) reconnaît ainsi des droits patrimoniaux (articles L. 122-1 à L. 122-12) : un droit de communication et de représentation ainsi qu’un droit d’adaptation et de reproduction. Soit, seul l’auteur est habilité à autoriser ou interdire l’utilisation ou la réutilisation de son œuvre. Cette protection vaut pendant 70 ans après la mort de l’auteur avant de tomber dans le domaine public selon l’article L. 123-1 du CPI. Mais aussi des droits moraux (articles L. 121-1 à L. 121-9) : un droit de paternité (soit l’obligation de toujours citer le nom de l’auteur et sa qualité), un droit au respect de l’intégrité de l’œuvre et un droit de retrait ou de repentir. L’article L. 111-3 poussant la protection à son maximum en expliquant que l’obtention de la propriété matérielle de l’œuvre n’entraîne en aucun cas, un transfert de droits intellectuels.
En matière numérique, le droit d’auteur s’applique en principe. Le site « La Grande Bibliothèque du Droit » du barreau de Paris prend l’exemple des bibliothèques municipales qui procèdent assez souvent à la numérisation des œuvres qu’elles possèdent. Ce que l’on entend par « possèdent », cela concerne le support matériel. Or, comme cela a été expliqué précédemment, la propriété matérielle n’entraîne pas un transfert des droits. N’ayant aucun droit à l’exploitation, cette numérisation implique donc l’accord des titulaires des droits.
II. La voie contractuelle, un recours contre les zones d’ombres du droit.
Auparavant, les bibliothèques achetaient le support matériel d’un ouvrage pour le proposer à l’emprunt. L’interface matérielle des bibliothèques traditionnelles ne permettant pas de s’adresser qu’à un public restreint. Mais l’évolution dématérialisée de cette interface soulève la question de savoir si finalement, les bibliothèques remplissent-elles toujours une mission d’emprunt ou alors de diffusion d’ouvrages ? Or, le CPI est très clair, seul l’auteur est en capacité de diffuser son ouvrage ou du moins, lui seul est habilité à autoriser la diffusion. Cela voudrait dire que l’achat d’un support, même dématérialisé, n’emporte qu’une propriété matérielle et non un droit de diffusion.
Cependant, cette analyse s’appuie sur des règles prévues pour un support matériel et aucune disposition spécifique n’a été faite pour un support dématérialisé. Ainsi, la voie contractuelle devient une des solutions privilégiées pour combler ces lacunes législatives. Lionel Maurel reprend l’exemple des contrats d’achats d’applications de lecture par des bibliothèques (soit l’achat en principe d’un support dématérialisé). Elles synchronisent ensuite les applications sur plusieurs machines en profitant des lacunes laissées par les constructeurs dans le cadre d’un usage familial (soit un usage privé, restreint), sachant que les usages collectifs sont généralement interdits pour les applications. Mais le fait de se cantonner à cette limite licite permet, dans une certaine mesure, un contrôle de la diffusion de l’œuvre par les bibliothèques, par la programmation par elles-mêmes de cette synchronisation.
Mais il ne faut pas croire que le recours à la voie contractuelle se fait uniquement au profit des bibliothèques. En réalité, ces dernières peuvent vite se retrouver dans un état de dépendance des auteurs. Autre exemple, des éditeurs scientifiques qui proposent des licences aux bibliothèques universitaires pour accéder aux bases de données scientifiques. Une licence étant un accord par lequel le titulaire (concédant) autorise l’exploitation ou le transfert d’une partie de ses droits patrimoniaux à un tiers (le licencié) en échange d’une contrepartie monétaire. Petite précision : ce transfert de droit peut être à durée déterminée ou indéterminée mais cela ne constitue pas un transfert de propriété des droits intellectuels. Les ayants droit pourront toujours retirer leur autorisation de diffusion.
Aussi, le fait de financer une application ne préjuge en aucun cas sur les droits intellectuels, seul un contrat de cession peut les transmettre.
III. Des exceptions législatives au droit d’auteur.
Le Traité de l’OMPI de 1996 offre pour la première fois un cadre législatif protecteur du droit d’auteur face au progrès des nouvelles technologies. Au niveau européen, ces principes seront repris par la directive 2001/29/CE qui interdit notamment tous procédés visant à contourner les mesures de protection technique. Or, cette directive cherche tout de même à trouver un équilibre entre protection des auteurs et les usages. Elle prévoit donc des exceptions dont certaines ont été transposées dans le droit français par la loi DADVSI de 2006. On retrouve notamment une modification de l’article L. 122-5 du CPI listant ces exceptions, mais aussi des conditions à respecter dans leur application : l’exception doit avoir été prévue par la loi, elle ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne créer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
Ainsi, l’article L. 122-5 8° autorise les établissements culturels à numériser, à des fins de conservation, les collections d’œuvres tombées dans le domaine public, mais aussi, des œuvres encore protégées par des droits d’auteur. Il existe cependant plusieurs conditions : la communication doit se faire par le biais de terminaux dédiés tels que des bibliothèques accessibles au public ou des services d’archives et sans poursuivre d’intérêts commerciaux. Autre exception, celle de la « courte citation » qui s’oppose par essence, à la publication intégrale. C’est ainsi que le tribunal de grande instance de Paris en 2009, dans sa décision Edition du seuil et a., SNE et SGDL c/ Google Inc. et Google France rejette la demande d’exonération de responsabilité de Google sur le principe de la citation courte pour avoir mis en ligne un grand nombre de livres au format électronique,
permettant d’accéder à la reproduction intégrale des couvertures des ouvrages numérisés ainsi qu’à des extraits de ceux-ci.
Précédemment, nous avons expliqué que les bibliothèques se cantonnaient à une limite licite vis-à-vis de l’usage de leur application en exploitant les failles d’une gestion familiale du contenu et en respectant l’interdiction de la gestion publique. Mais la loi du 1er mars 2012 sur l’exploitation numérique des livres indisponibles au XXème siècle permet depuis, une gestion collective des droits de numérisation des ouvrages indisponibles à la vente sous forme numérique. Bien que les auteurs disposent d’un droit de se manifester pour se retirer du dispositif dans un délai de 6 mois.
Pour conclure : la bibliothèque numérique est l’exemple parfait des dilemmes actuels opposant la protection des droits d’auteurs et l’opportunité de faciliter l’accès aux collections. Peut-être que la solution réside dans des bibliothèques numériques telles que BNF Gallica dont les équipes privilégient un travail en concertation avec les chercheurs et les auteurs pour accompagner la recherche et l’accès aux connaissances. L’idée serait de réunir l’ensemble des ouvrages sur une seule et unique plateforme publique qui serait la plus à même de proposer une protection plus efficace des auteurs par le biais d’un travail de concertation que d’exploitation. Mais cette situation de monopole pourrait entraîner un bouleversement important dans le fonctionnement des bibliothèques peu habitué à l’interférence de règles. De plus, la propriété publique d’une œuvre ne s’applique que 70 ans après la mort de l’auteur. Qu’en sera-t-il des œuvres dont les auteurs sont encore en vie ou dont la date de mort est inférieure à 70 ans ? L’obligation de numérisation sur une plateforme appartenant à l’État pourrait alors constituer une atteinte injustifiée aux droits. La prise en considération de toutes ces éventualités pourrait donc expliquer pourquoi encore aujourd’hui, le régime juridique des bibliothèques numériques est parsemé de zones d’ombres.
Juliette DESVIGNES – étudiante en Master 2 Droit du patrimoine et des activités culturelles
Principales sources utilisées :
Droit d’auteur, droit à l’image à l’ère du numérique, agence du patrimoine immatériel de l’État : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/apie/propriete_intellectuelle/publications/Droit_auteur_image_numerique.pdf?fbclid=IwY2xjawIsh5RleHRuA2FlbQIxMAABHeguXjI9mDFlh7G_y8pmRx31rOL9CS2s8OsuLR1TwwiKfaEdkEU65Lub3w_aem_BwkzugYVdFH7OeYWnPfhxg
Lionel Maurel, « Bibliothèques et droit d’auteur : quelle adaptation au numérique ? », 2019 : https://hal.science/hal-02313861/document?fbclid=IwY2xjawIsh9JleHRuA2FlbQIxMAABHTOkuIJyxPWCzpzw7-EOifsuPl4CA61pZ6wp3Hfq3xcDD8EOG4a0x9F37w_aem_nByxnhRDEOm2NjnOjXxRYg
« La Grande bibliothèque numérique », barreau de Paris : https://www.lagbd.org/Bibliothèques_numériques_et_la_protection_des_droits_d%27auteur_(fr)?fbclid=IwY2xjawIsh_NleHRuA2FlbQIxMAABHblsQc9FM5-0vO4F50QsXEuhHvO_vz5ru_OjN2uVuy6F7ZvbMXaBrz6yKA_aem_Ui0zIpXdK0-K-XxOmSy3Iw
Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, 18 décembre 2009, n°09/00540 : https://www.doctrine.fr/d/TGI/Paris/2009/FR4013398749FC68C8FC99