Le coronavirus est-il une justification suffisante à la rupture d’une promesse d’embauche ou d’une période d’essai ?

La période de crise sanitaire liée au COVID19 qui frappe la France depuis maintenant plusieurs mois, combinée aux mesures gouvernementales de confinement décrétées le 16 mars dernier, a amené inévitablement à la création de nouveaux litiges et contentieux juridiques, principalement dans le domaine du droit social et de l’embauche.

  En effet, au delà des nombreuses mises au chômage partiel, une partie des employeurs a, dans le meilleur des cas, repoussé la prise d’effet des contrats de travail signés avant la mise en place du confinement ; mais il a également été constaté une forte recrudescence des ruptures des promesses d’embauche ou de période d’essai, s’appuyant sur le motif de cette épidémie. Cette tendance vient traduire les inquiétudes des entreprises pour leur futur économique, qui se montrent ainsi plus prudentes et minimisent leur recrutement d’effectifs.

Mais la crise actuelle et les mesures en vigueur sont elles vraiment à même de justifier légalement la rupture d’une promesse d’embauche ou d’une période d’essai? Quelles nuances peuvent être apportées en fonction des situations ?   Nous constaterons que le régime et la légalité des ruptures ne sera pas identique suivant si l’on se trouve en présence d’une promesse d’embauche (1) ou d’une période d’essai (2).

1/ La rupture d’une promesse d’embauche

Une promesse d’embauche se caractérise comme un acte ferme, précis et inconditionnel par lequel un employeur va s’engager à conclure un contrat de travail avec une personne. Cette promesse devra contenir des précisions quand à la nature du travail à accomplir, la rémunération, la date de l’embauche et sa durée.

  Une distinction a été opérée par la jurisprudence entre l’offre de contrat de travail, où l’employeur pourra se rétracter librement tant que celle-ci n’est pas parvenue à son destinataire (ou qu’un délai raisonnable a été laissé si elle lui est parvenue), et la promesse unilatérale de contrat de travail, qui vaut contrat de travail et qui ne nécessite plus que le consentement du candidat pour que le contrat soit formé, et pour laquelle l’employeur ne pourra plus se rétracter (seul le renoncement du bénéficiaire mettra fin à ses effets).

 Nous observerons que le principe est la rupture fautive de l’employeur qui invoque le COVID-19 en motif, mais qu’il semble exister des cas d’admission.

  • Le principe de rupture fautive de l’employeur :

  Dans la grande majorité des cas, la promesse d’embauche aura été formulée par l’employeur avant l’installation claire de l’épidémie sur le territoire français et la mise en place des mesures de confinement.

  Suivant l’hypothèse où le candidat a reçu et a pris connaissance de la promesse unilatérale de contrat de travail (ou a accepté l’offre de contrat de travail), la rupture unilatérale de celle-ci sera considérée :

  • comme un licenciement sans cause réelle ni sérieuse s’il s’agissait d’un CDI (cass. soc. 15 décembre 2010).
  • comme une rupture abusive de contrat s’il s’agissait d’un CDD (CA Aix-en-Provence 20 janvier 2012).

Dans les deux cas, des recours en indemnisation sont possibles pour le salarié lésé à l’encontre de l’employeur : il pourra obtenir des dommages et intérêts s’il s’agissait d’une offre de contrat de travail, alors que s’il s’agissait d’une promesse unilatérale de contrat de travail, sa formulation valait déjà contrat de travail, et si l’employeur souhaite malgré tout sa rupture, il devra respecter une procédure de licenciement et pourra être condamné pour absence de cause réelle et sérieuse.

  Les employeurs ont essayé de s’exonérer de leur responsabilité suite à la rupture de ces promesses d’embauche, en apparentant la crise sanitaire du coronavirus à un cas de force majeure, réunissant les critères cumulatifs d’imprévisibilité, d’extériorité et d’irrésistibilité (article 1218 du code civil). Cependant :

  • Si la promesse avait été signée avant la crise sanitaire en France, c’est le caractère irrésistible de l’épidémie qui pose problème ; l’employeur n’est pas dans un état de contrainte tel qu’il n’ait plus d’autre solution que de rompre la promesse d’embauche.
  • Si la promesse est signée pendant l’épidémie, c’est alors le caractère imprévisible qui n’est plus applicables, car l’employeur se trouve forcément informé de la situation sanitaire dans le pays et a pu en anticiper les conséquences.

  Puisque la force majeure de la crise épidémique semble difficile à défendre, il apparaît plus judicieux pour les employeurs de trouver un accord amiable avec les candidats souhaitant se prévaloir de la promesse ou l’ayant déjà acceptée, et d’essayer de négocier un report de date d’exécution du travail. Si le salarié ne souhaite pas de report de son activité, l’employeur devra honorer le contrat de travail et tout mettre en œuvre pour aménager un poste de travail à son nouveau salarié, à l’entreprise ou en télétravail, et si cela s’avère impossible, mettre en place un chômage partiel.

  –  Les cas de rupture admissibles :

  Tout d’abord, il est bon de rappeler que les pourparlers entre les parties ne constituent pas une promesse d’embauche, car aucun écrit ne formalise la proposition d’embauche (rien ne lie donc les parties). Ces pourparlers peuvent donc être unilatéralement rompus.

  Ensuite, si l’employeur a émis une proposition formalisée, ferme et écrite au candidat, en application du droit commun des contrats, il lui est possible de se rétracter tant que cette proposition l’est pas parvenue au candidat, et il ne devra alors rien.

  Si la promesse d’embauche est une offre de contrat de travail, l’employeur pourra retirer celle-ci une fois le délai fixé passé (ou une fois un délai raisonnable passé).

Cependant, ces méthodes sont indépendantes de la crise sanitaire que nous traversons et peuvent s’appliquer dans tous les cas. Nous constatons donc que l’épidémie de coronavirus n’est pas une justification tangible pour les employeurs pour mettre fin à une offre de contrat de travail ou à une promesse unilatérale de contrat de travail.

Observons à présent le régime de rupture des périodes d’essai.

2/ la rupture de la période d’essai

La période d’essai se caractérise comme étant une période permettant à l’employeur d’évaluer les compétences de son nouveau salarié à l’exercice de son travail, et au salarié d’apprécier si ses nouvelles fonctions lui conviennent. Cette période d’essai doit être expressément stipulée dans le contrat de travail ou la lettre d’engagement ; elle ne se présume pas (art. L1221-23 Code du Travail).

  Le principe inhérent à la rupture de la période d’essai est que l’employeur, comme le salarié, peuvent y mettre fin librement, sans avoir à nécessairement justifier leur décision (cass. soc. 20 octobre 2010). Toutefois, même s’il n’est pas imposé d’apporter une motivation à la rupture, l’employeur doit :

  • laisser un délai suffisant et raisonnable au salarié pour faire ses preuves (CA Paris 11 décembre 2008), faute de quoi la rupture pourra être qualifiée d’abusive
  • fonder sa rupture sur un motif lié aux aptitudes professionnelles du salarié, directement lié à sa personne (cass. Soc. 20 novembre 2007)

  Le manque dans les aptitudes du salarié est la seule cause pouvant légalement justifier la rupture d’une période d’essai (cass. soc. 10 avril 2013) ; ainsi, l’état de crise sanitaire et l’épidémie de coronavirus ne sont pas des motifs valables à la rupture.

  Il reviendra au salarié de saisir la juridiction prud’homale s’il estime qu’un abus a été commis dans la rupture de sa période d’essai, et de prouver ses allégations. Cependant, il lui incombe aussi la charge de la preuve, et étant donné que la rupture n’a pas à être motivée par l’employeur, il lui faudra prouver le caractère abusif et la véritable intention de l’employeur, ce qui peut être difficile. Toutefois, en cette période exceptionnelle, l’augmentation des contentieux liés à l’embauche va certainement attirer particulièrement l’attention des juges sur les motivations réelles poussant les employeurs à mettre fin aux périodes d’essai. De plus, rappelons que la crise du coronavirus ne semble pas remplir les conditions de la force majeure, l’employeur ne pourra donc pas s’exonérer de sa responsabilité sur ce fondement en cas de rupture abusive.

  Si l’entreprise s’est trouvée mise à l’arrêt consécutivement à la crise, la période d’essai est simplement suspendue et reprendra son cours à la reprise de l’activité. Si l’activité continue mais à temps partiel, l’employeur devra prolonger la période d’essai proportionnellement aux heures de travail supprimées.

  Force est de constater que, malgré les circonstances exceptionnelles de crise, la législation en vigueur se montre protectrice des intérêts des salariés ou des futurs salariés, en condamnant de façon quasi-systématique les employeurs invoquant l’épidémie de coronavirus pour rompre une offre de contrat de travail, une promesse unilatérale de contrat de travail, ou une période d’essai.

 Martin BRUCKER

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